Tiziana Leucci: «Les artistes font peur»

Tiziana Leucci Anthropologue des arts de la performance en Inde

Vous travaillez sur les danseuses indiennes, êtes-vous vous-même danseuse ?

J’ai été formée à la danse classique et contemporaine à l’Académie nationale de danse de Rome, l’équivalent du conservatoire de Paris. J’ai également suivi un cours expérimental à l’université de Bologne, exclusivement dédié aux arts du spectacle, créé par Umberto Eco et d’autres intellectuels de gauche après 68.

Comment vous êtes-vous intéressée à l’Inde ?

J’ai d’abord été profondément marquée par ma professeure d’histoire de l’Inde, très engagée dans les mouvements féministes italiens. J’ai ensuite découvert l’Inde du Sud, en 1987, et j’y suis restée douze ans. Je me suis concentrée sur le style des artistes courtisanes - chanteuses, danseuses, musiciennes et poétesses. Seules femmes cultivées du pays, et non soumises à un mari, elles étaient effectivement plus libres que les autres mais accusées d’être des prostituées. On en trouve des traces dès les premiers siècles de notre ère. Riches et prestigieuses, elles étaient liées à l’idée de royauté - chaque monarque ayant son corps de ballet et son orchestre. Faisant partie de la liturgie du temple, elles ont souffert du puritanisme de l’époque. Dès la seconde moitié du XIXe siècle, et jusqu’à l’indépendance en 1947, une loi a interdit leur présence sur scène.

Qu’est-ce que cette censure révèle de la condition féminine ?

Aujourd’hui encore, les femmes sont les premières à payer. Les luttes sont constantes et devraient nous faire réfléchir ici en Europe. Plus largement, cela pose la question de la liberté d’expression : les artistes et les intellectuels font peur.



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