Le tennis français, l'US Open, le duel Djokovic-Alcaraz... l'interview intégrale de John McEnroe dans Bartoli Time sur RMC
John McEnroe, tout le monde vous connaît pour vos performances mémorables sur le court, mais quelles sont les activités qui occupent votre emploi du temps aujourd’hui?
Pour les nouvelles fraîches, j’ai une académie depuis 12 ans (ndlr, elle a vu le jouer en 2010), tout proche de Flushing Meadows, à environ cinq minutes du site. C’est une passion pour moi, parce que j’ai grandi à New-York, et mon rêve, ce serait que quelqu’un qui vienne de mon académie gagne l’US Open ou le Grand Chelem français, des événements majeurs. C’est un long processus. J’adore commenter leurs performances, c’est comme être un moniteur d’auto-école, c’est un métier facile. Tu dois dire aux athlètes ce qu’ils auraient dû faire au lieu de ce qu’ils ont fait. J’adore aussi l’art. Je suis un collectionneur d’art, je tiens une galerie d’art à Manhattan. Ma plus grande passion, c’est peut-être aussi la musique, j’adore jouer de la guitare, jouer à des événements de charité. J’ai tout cela qui m’occupe, le plus inattendu étant que je sois devenu le narrateur d’un show qui s’appelle Never have I ever. Ça parle de l’adolescence des jeunes américaines qui essaient de se faire des amies et qui sont confrontées à la dure réalité du lycée. Je fais ça depuis 4 ans. C’est assez excitant de faire quelque chose de différent.
Vous êtes un enfant de l’US Open, qu’est-ce que ce tournoi a de plus que les autres?
Oh ! celle-ci n’est pas évidente... Lors du premier US Open que j'ai gagné, je jouais contre mon vieil ami Vitas Gerulaitis qui a aussi grandi à 10 ou 15 minutes de Flushing Meadows. C’était bizarre d’être opposé l’un à l’autre parce qu’on était deux gamins du Queens et ils voulaient voir Borg contre Connors.
C’était un peu frustrant...
Exactement, et mon ami Vitas Gerulaitis était charismatique, donc on se disait: "eh c’est notre moment ! Il faut nous supporter maintenant". Mon meilleur souvenir, finalement, c’était peut-être les matches contre Connors et Borg en demi-finale, deux années consécutives. Les deux matches se sont joués en 5 sets. C’était après la perte de ce fameux match contre Björn Borg, à Wimbledon, en 1980. Je suis très fier de ça. Et je dois dire bon anniversaire à Jimmy Connors, c’est son anniversaire aujourd’hui (ndlr, l'interview a été réalisée samedi 2 septembre) ! Même si on ne s’entend pas, on est toujours de supers rivaux.
Sur votre quatre titres à Flushing, un match vous a-t-il plus marqué que les autres?
Ce que je préfère, c’est l’énergie. J’ai grandi à New-York, j’ai l’habitude des gens qui crient tout le temps. C’est ce que j’aime et ce qui m’aide. Wimbledon, la première fois que j’y ai gagné, j’ai trouvé ça bizarre. C’est tellement calme, silencieux. Je ne comprends pas ces gens. Je préfère l’ambiance plus déjantée de New-York. Je comprends que ça rende fou, les gens qui te crient "t’es nul !" Les gens me criaient ça tout le temps. C’était frustrant, mais au final, je le comprenais, parce que j’étais le New-Yorkais typique, qui adore s’exprimer. J’adore ça. Et puis, je pouvais rester à la maison, ce qui était beaucoup plus facile, c’était un avantage pour moi. Mais vous avez aussi beaucoup d’amis et de famille qui viennent vous voir, et ça vous met la pression, parce que vous voulez faire les choses bien devant vos amis et votre famille. Mais c’est aussi agréable de dormir dans son propre lit.
On connaît votre tempérament explosif, et vos célèbres colères noires, un souvenir vous revient-il d’un moment où vous vous êtes dit: "là, il se passe quelque chose à l’US Open"?
J’ai eu un moment où je jouais contre Jimmy Connors, et à l’époque on avait l’habitude d’avoir des célébrités sur le court. Vous savez, aujourd'hui, les joueurs utilisent tellement de courts différents. Mais, à l'époque, il y avait des célébrités sur les courts, Jack Nicholson était à un mètre de moi, et je me disais "oh mon dieu c’est incroyable, c’est mon acteur préféré, je dois botter le cul de Jimmy Connors pour lui montrer qui je suis". Et il n’arrêtait pas de dire "Johnny Mac ! Johnny Mac !" J’étais gonflé à bloc, ça m’a aidé à gagner un match comme ça. On ne peut rien faire contre un mec gonflé à bloc comme ça. Et la première fois que je l’ai gagné, j’étais sifflé par quelqu'un dans le public, ça me frustrait vraiment. Il me criait dessus, je lui criais dessus et d’un coup ça s’est arrêté, je ne comprenais pas pourquoi. J’ai appris ensuite qu’un de mes meilleurs amis du Queens s’était assis à côté de lui. C’est un mec costaud mon pote, et il a dit au gars que ce serait peut être bien qu’il se taise. Après ça, j’ai remercié mon pote de m’avoir aidé quand j’en ai eu besoin.
Qui de Carlos Alcaraz ou de Novak Djokovic vous impressionne le plus dans ce tournoi? Le Serbe a remonté un handicap de deux sets pour se qualifier en huitièmes.
Je pense que ça donne de l’espoir à d’autres joueurs comme Medvedev qui en a gagné un, Sinner, qui, pour moi joue le meilleur tennis de sa vie. Et on a besoin d’un joueur américain, aux Etats Unis. Tiafoe a l’air bien, Fritz aussi, Paul aussi, Ben Shelton pourrait être un joueur de top 5, c’est excitant. Battre Djokovic ou Alcaraz ne sera pas facile, mais ce serait énorme qu’un Américain les batte. Je ne suis pas sûr qu’ils jouent leur meilleur tennis, mais vous n’avez pas besoin d’avoir le meilleur tennis en première semaine, vous devez juste passer. Et ensuite, vous voulez garder le meilleur pour la fin. Mais ça me surprend. Je savais que Djere était fort, mais je ne pensais pas qu’il pouvait remporter les deux premiers sets. Ça m'inquiète un peu pour Novak. Il a 36 ans, la récupération devient un problème.
La finale de l’US Open opposera-t-elle Djokovic et Alcaraz?
Je pense que ce serait incroyable évidemment si Tiafoe pouvait passer un autre tour (ndlr, qualifié pourle huitièmes, l'Américain pourrait affronter Djokovic en demie). L’année dernière il a battu Rafa, Rublev, il est au 5e set avec Alcaraz. Je pense qu’il a encore plus faim aujourd’hui. Il le veut plus que jamais. Ce pourrait être très intéressant pour le tennis américain d’avoir un athlète en finale, 20 ans après. Avant le tournoi, je me disais "Ok Djokovic contre Alcaraz, cette légende contre cette incroyable étoile montante". Pour moi ce serait LE match à avoir en finale, sauf si, à la place, on a Frances ou Shelton, un Américain. Ce serait incroyable.
L’US Open 2023, c’est aussi le retour sur les courts gagnant de Caroline Wozniacki.
Je pense que ce match est très intéressant. J’ai travaillé un peu avec Caroline, elle bossait comme commentatrice à ESPN. Et elle m’avait dit : "Je vais faire mon come-back, je vais y retourner". Et je lui avais dit: "tu veux vraiment y retourner ? Tu viens d’avoir deux enfants ! Tu n’as pas joué depuis 3 ans et demi." Mais elle avait ce truc dans ses yeux et elle disait: "Je vais faire mon come back, je serai meilleure que ces gens que je regarde !"
Elle est dans une grande forme, je suis impressionné, elle a vraiment travaillé dur pour revenir, elle a l’air heureuse, c’est une très belle histoire. Ce sera un grand match contre Coco (Gauff), elle a eu quelques matchs frustrant, tout le monde parle d’elle contre Swiatek. Je pense que c’est ce qui va arriver, ce serait un match énorme. J’ai dit avant le tournoi 'peu importe qui gagne ce match, ce sera celle qui gagnera le tournoi'.
Pour la première fois, cette année, les femmes et les hommes jouent avec les mêmes balles, qu’en pensez-vous ?
C’est une question intéressante. Tu connais la réponse mieux que moi parce qu’au fil des années, moi, j’utilise toujours les balles que les hommes utilisent occasionnellement. Quand je joue avec les filles à l'entraînement ou en double mixte, je joue avec les balles des filles. Mais la vérité, c’est que c’est la même chose. Les balles des filles sont plus légères, c’est peut-être là que réside la principale différence, la façon dont elle flotte dans l’air, ce qui pourrait aider les mecs un peu plus légers qui jouent contre des plus lourds, les mecs plus lourds sur les retours, qui veulent être consistant mais forts aussi. Mais peut être que ça aide Coco aussi, parce que j'ai l'impression qu’elle joue le meilleur tennis de sa vie. Même si elle ne va pas en finale, elle a l’air plus en confiance. Il faut attendre et voir, j’ai pas l’impression que les filles s’en plaignent. C’est peut-être plus simple que tout le monde joue avec la même balle.
En France, nous sommes inquiets du niveau général du tennis français, l’êtes-vous également ?
Je le suis un peu, oui, parce que vous sortez d'une période magique, en France, mais Yannick a gagné en 1983, et vous attendez depuis tout ce temps. Je sais qu’ils adorent le tennis en France, ils sont très passionnés. Et ce doit être frustrant d’avoir eu des joueurs comme Monfils qui aurait pu gagner un tournoi majeur, ou Tsonga qui a été si proche ou encore Richard Gasquet qui était un joueur très solide. Je me souviens des images de lui avec Rafa, Richard allait devenir la prochaine superstar, mais ce n’est pas arrivé.
De tous les gars que j’ai vu, je préfère Arthur Fils. Je pense encore qu’il y a de solides joueurs en France, mais je pense que Fils est quelqu’un qu’il faut surveiller, c’est le mec qui a le plus de potentiel pour devenir un grand joueur. Il apprend encore ce que c’est d’être un professionnel, mais il fait du bon boulot. Je pense d'ailleurs qu'il est le plus jeune mec dans le top 50 ou top 100.
Ce serait un bon coup de boost évidemment de voir un top joueur français faire quelque chose. C’est comme aux Etats-Unis, on a besoin d’un Américain qui casse tout. C’est un problème depuis longtemps aux Etats-Unis et en France !
Des joueurs actuels, lequel auriez-vous aimé affronter, sur quel court, et surtout, l’auriez-vous emporté ?
(Rires) J’aurais aimé jouer Novak Djokovic. Mais le match le plus dur à jouer aurait été contre Rafael Nadal à Roland Garros. Quoique, non ! Je ne veux pas faire ça ! Jouer Novak sur l’herbe ou sur dur aurait été le défi ultime, voir mon jeu contre le sien, parce qu’il est dur, solide. Mais j’aurais aimé essayer ça. Je ne pense pas que ça aurait bien tourné, je crois que je lui aurais tenu tête.