La tendance "cottagecore": quand les réseaux sociaux fantasment la vie à la campagne

Des photos cottagecore sur Instagram - Captures d'écran Instagram
Des photos cottagecore sur Instagram - Captures d'écran Instagram

Au beau milieu du Web, quelque part entre les danses virales de TikTok, les vidéos de chatons, les selfies des Kardashian et les clashs de Twitter, se trouve un havre de paix qu’on appelle le cottagecore. Contraction de “cottage” (que l'on peut traduire par maison de campagne, chalet) et “hardcore”, ce courant esthétique 2.0 promeut un mode de vie simple au milieu de la nature, ainsi qu’un retour aux choses essentielles et traditionnelles, loin du bourdonnement néfaste des réseaux sociaux.

Le cottagecore est l’art de mettre en scène une version romancée (et très idéalisée) de la vie agreste, avec le bon angle et le bon filtre vintage. Sous le hashtag dédié, des jeunes femmes aux cheveux de nymphes décorés de rubans cuisinent des tartes aux myrtilles, rêvassent sur un rocking-chair, partent à la cueillette aux champignons, jardinent, brodent, lisent Jane Eyre au bord d’un ruisseau ou tricotent à la lumière d’une bougie - et n’oublient pas de se prendre en photo pour alimenter leur compte Instagram. En fait le cottagecore, c’est l’idée de “Tout plaquer et partir faire de la confiture dans une ferme”, mais version Génération Z.

“Ce mode de vie appelle à apprécier les petites choses, et prendre le temps de réhabiliter des passe-temps lents, qui sont passés à la trappe dans notre monde moderne et si rapide”, nous explique Audrey, aka Babie Lamb sur Instagram, où plus de 37.000 personnes la suivent.

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A l’heure où tout va trop vite, où tout peut devenir viral et disparaître dans l’instant, le cottagecore apparaît en 2020 comme un bouclier face à l’anxiété liée aux nouvelles technologies. Paradoxalement, c’est bel et bien sur les réseaux sociaux que cette sous-culture se développe et que la communauté cottagecore se retrouve, à coup d’images montrant des détails anodins d’une vie sans artifices et de vidéos filmées durant une cueillette de pommes.

Audrey, Canadienne de 21 ans, a créé son compte en 2017 pour “partager des moments simples qui l’ont rendue heureuse”. Avec ses photos, elle veut encourager ses abonnés à “vivre de façon aussi durable et consciente que possible”. “Cultivez votre propre nourriture, apprenez à réparer les vêtements, à acheter de la seconde main. Ce sont toutes des activités que je trouve très gratifiantes et des valeurs qui me correspondent”, dit-elle.

Animal Crossing, Taylor Swift et pandémie

Le cottagecore n’est pas récent - le New York Times estime que le mouvement a émergé en 2017. Mais c’est en 2020, année ô combien anxiogène, qu’il explose. Au mois d’avril, alors que des milliards de personnes étaient contraintes de rester chez elles, le site de partage de photos Tumblr a noté une augmentation de 153% des posts estampillés "cottagecore", selon le site Insider.

“Je pense qu’avec le confinement, de nombreuses personnes enfermées en ville ont ressenti le besoin imminent d’air frais. Et le cottagecore en regorge. Tout repose et apporte des sentiment positifs: des souvenirs heureux d’enfance, de jours plus beaux”, estime Ellen Tyn, une influenceuse russe de 23 ans suivie par plus de 270.000 personnes sur Instagram. “Ma vie est remplie de petites choses et d'actions simples, qui semblent sorties d'un autre siècle. Ce sont des petits moments de vie au ralenti, et c’est exactement ce dont tout le monde a besoin dans le monde actuel”.

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Loin de retomber comme un soufflé (ou une tourte à la cerise tout juste sortie du four) une fois le déconfinement arrivé, la tendance n’a fait que convaincre de plus en plus d’adeptes. “Les mentions du terme CottageCore ont augmenté de 23 % en août 2020 sur les réseaux sociaux”, note la plateforme de data mode Lyst. Mais le dégoût des citadins ayant passé des semaines (voire des mois) enfermés dans des petits appartements n’est pas le seul élément à avoir boosté la tendance.

L’incroyable succès du jeu vidéo Animal Crossing, dans lequel on incarne un personnage mignon et souriant qui s'affaire sur une île peuplée d'habitants amicaux, de fleurs à faire pousser, de fruits à ramasser et de poissons à pêcher, est aussi à prendre en compte. “Le jeu se concentre sur l'artisanat et le jardinage dans un environnement naturel, ce qui reflète parfaitement les codes de l'esthétique cottagecore”, note Pierre Lavenir, chargé de communication chez Lyst.

Enfin, on peut voir dans cet engouement un effet Taylor Swift. Folklore, son nouvel album, est numéro 1 des hits depuis sa sortie début juillet. La chanteuse américaine y délaisse sa pop énergique au profit de balades romantiques et calmes, et promeut son disque avec des photos dans la forêt, et un clip tourné dans une vieille maison en pleine campagne.

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Cardigans, manches bouffantes et robes fluides

A l’origine, la tendance du cottagecore puise son inspiration dans la littérature et la peinture du 19e siècle, ainsi que les années 1970. "En réponse à la révolution industrielle, de nombreux artistes comme Jean-François Millet ont commencé à faire de la vie paysanne et de la campagne de véritables sujets artistiques. Ensuite, les séries télévisées des années 70 [à l’image de La petite maison dans la prairie, NDLR] ont démocratisé la tendance”, analyse Pierre Lavenir.

“Je ne me suis jamais dit que sécher des vêtements sur une corde dans mon jardin pouvait être esthétique. Mais cela devient vraiment beau, si vous y prêtez attention”, nous confie Ellen Tyn, qui prend rarement la pose sans fleurs dans les cheveux, et porte des robes qu’elle coud elle-même.

Côté mode, imaginez un mélange de Laura Ingalls et des soeurs Lisbon, héroïnes du film Virgin Suicides de Sofia Coppola. La pièce phare d’un dressing cottagecore, c’est la longue robe romantique, si possible agrémentée de dentelle, de manches bouffantes et d’un jupon. Selon des chiffres que Lyst nous a transmis au mois d’août, les requêtes autour des mots-clés “fluide” et “bohème” ont d’ailleurs augmenté de 79 %. Les modèles de robes à manches bouffantes et les “nap dresses” (soit “robes pour faire la sieste”, typiques du 19e siècle), sont particulièrement appréciés, avec une hausse des recherches de 22 %, à l’instar de l’imprimé vichy (+18%).

Pour les températures plus fraîches, rien ne vaut le gros gilet en laine épaisse, popularisé cet été par le titre Cardigan de Taylor Swift (encore elle) et le challenge #HarryStylesCardigan sur TikTok (le chanteur était apparu vêtu d’un cardigan à design patchwork du créateur JW Anderson). En ligne, les recherches de gilets ont continué de progresser à hauteur de 19 % au cours du dernier mois. Mais le mieux reste le gilet tricoté main (au coin du feu).

Parce que ce style appelle à un mode de vie plus raisonné et un retour aux choses authentiques et durables, les pièces vintage rencontrent un vrai succès. Mais de plus en plus de citadines s'inspirent des codes du cottagecore pour s'habiller. Elles optent alors plutôt pour du neuf, et se tournent vers les pièces de la griffe Ganni, connue pour ses robes à manches bouffantes, les pulls en maille du label Khaite, ou encore les collections du label minimaliste CMMN SWDN, qui s’inspirent de la campagne suédoise, selon Lyst.

Echapper à la réalité, un privilège

“N’oublions pas que la vie à la campagne ou à la ferme n’est pas toujours facile, et que vivre dans une zone rurale a aussi ses inconvénients”, prévient toutefois Ellen Tyn, lasse que l’esthétisme cottagecore prenne le pas sur la réalité d’un quotidien isolé en pleine nature. La jeune femme rappelle que si son mode de vie peut faire rêver en photo, la vie à la campagne n’est pas forcément idyllique. “Chez moi, nous n’avons pas l'eau courante, nous utilisons un puits. Alors oui, c’est beau et authentique, mais ça rend aussi la vie un peu difficile parfois”, raconte-t-elle.

Et si elle aime l’esprit "léger et nostalgique" de cette tendance, ainsi que sa capacité à l’aider à s’échapper d’une époque anxiogène, elle assure "ne pas vouloir vivre dans le passé". "Certes, ça a l’air très beau dans les films et les romans mais nous oublions beaucoup de moeurs d’avant, qui nous semblent tellement bizarre de nos jours", rappelle-t-elle.

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"Je pense qu’il est normal que les gens cherchent des moyens d’échapper à la réalité lorsque celle-ci se transforme en quelque chose d’étrange et d’inconnu", renchérrit Audrey. "Le cottagecore est devenu un endroit sûr en ligne où les gens peuvent s’accrocher à des concepts et des valeurs qu’ils connaissent par cœur, ce qui est très réconfortant lorsque l’on se sent anxieux".

"D’un autre côté, il est important de rester informé, et de faire tout notre possible pour aider face aux problèmes qui se produisent dans le monde réel", rappelle-t-elle. "Parce que tout le monde n’a pas la chance de pouvoir échapper à cette réalité".

Article original publié sur BFMTV.com