Comment les taxes sur les yachts et les jets privés pourraient contribuer à financer l'action climatique ?
La demande se fait de plus en plus pressante, du côté des défenseurs du climat, pour cibler davantage les activités particulièrement polluantes d'une poignée d'ultra-riches.
Jusque-là, plusieurs pays ont proposé de taxer les milliardaires pour, notamment, lever des fonds affectés à la lutte contre le changement climatique. Au début de l'année, les responsables financiers des pays du G20 se sont mis d'accord sur la mise en place d'un impôt sur la fortune des ultra-riches.
Ce dernier pourrait rapporter près de 230 milliards d'euros pour lutter contre des problèmes tels que le réchauffement climatique et la pauvreté.
Cependant, des désaccords sont apparus quant à la viabilité du projet, mais aussi en ce qui concerne la supervision du processus et l'entrée en vigueur de cet impôt.
Comment évaluer les émissions de gaz à effet de serre des personnes les plus riches du monde ?
De nouvelles recherches ont montré qu'il reste difficile d'estimer avec précision, pour le quidam, de quelle manière la richesse modifie l'empreinte carbone des individus. Ce qui pourrait avoir un impact sur le soutien de l'opinion à ce type de taxation.
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Une analyse, réalisée par Oxfam et des chercheurs américains en novembre dernier, s'est penchée sur les acquisitions de 12 milliardaires dans le domaine du luxe et leurs investissements financiers. Les résultats sont sans équivoque : ces acquisitions ont généré près de 17 millions de tonnes de gaz à effet de serre par an, soit l'équivalent de 2,1 millions de foyers moyens ou de 4,6 centrales électriques au charbon par an.
Des recherches antérieures ont également montré que les 1 % de personnes les plus riches produisaient plus d'émissions que les deux tiers de l'humanité.
Selon une étude réalisée l'année dernière par Green Alliance, les vols en jet privé émettent dix fois plus de carbone par passager que les vols commerciaux. Et les émissions de CO2 liées à ce mode de déplacement ont bondi ces dernières années, avec une hausse de 31 % entre 2005 et 2019, bien plus importante que dans le secteur de l'aviation commerciale.
Quel serait le montant d'une taxe sur les superyachts et les jets privés ?
Au Royaume-Uni, qui compte près de 450 superyachts, une taxe équitable sur ceux-ci et sur les jets privés aurait pu rapporter 2 milliards de livres sterling (2,4 milliards d'euros) supplémentaires l'année dernière pour contribuer à la lutte contre la crise climatique, selon Oxfam.
Et l'organisation caritative propose aussi d'autres pistes, comme le relèvement des taxes aériennes sur les passagers des jets privés, un impôt pour les propriétaires de superyachts, des taxes plus élevées sur le carburant des jets privés, mais aussi en ce qui concerne les créneaux de décollage et d'atterrissage.
"Alors que les ultra-riches continuent de polluer à outrance, ce sont les personnes vivant dans la pauvreté - au Royaume-Uni et dans le monde entier - qui ont le moins contribué à la crise climatique qui souffrent le plus de ses effets dévastateurs", déclare Natalie Shortall, conseillère politique d'Oxfam GB en matière de justice climatique.
"D'autres mesures visant à mieux taxer l'extrême richesse sont nécessaires pour accélérer l'action climatique et lutter contre les inégalités - l'augmentation des taxes sur les jets privés et les superyachts est un point de départ évident pour le gouvernement".
Selon Natalie Shortall, il s'agit de "solutions de bon sens", nécessaires pour réduire les émissions de CO2 et lever des fonds essentiels au financement de la lutte contre le changement climatique en "faisant payer les pollueurs les plus notoires et les plus riches".
Une perception biaisée de l'empreinte carbone
Pour déterminer à quel point il est difficile d'évaluer correctement sa propre empreinte carbone, un groupe international de chercheurs dirigé par la Copenhagen Business School, l'université de Bâle et l'université de Cambridge a interrogé 4 000 personnes au Danemark, en Inde, au Nigeria et aux États-Unis.
Résultat, la grande majorité des participants des quatre pays ont surestimé l'empreinte carbone personnelle moyenne des 50 % les plus pauvres, et sous-estimé celles des 10 % et 1 % les plus riches. Des perceptions biaisées de l'empreinte carbone ont été constatées dans tous les groupes socio-économiques interrogés.
Après avoir pris connaissance des différences réelles, la plupart des participants ont trouvé l'inégalité en question relativement injuste, le sentiment d'injustice étant plus marqué auprès des panels danois et américain.
"Cela pourrait s'expliquer par le fait qu'ils tentent de justifier leur plus grande empreinte carbone", explique le Dr Ramit Debnath, coauteur de l'étude, professeur adjoint à l'université de Cambridge.
"Ces pays sont très différents, mais nous avons constaté que les riches sont assez semblables où que l'on aille, et que leurs préoccupations étaient différentes de celles du reste de la société. Le contraste est énorme entre les milliardaires qui voyagent en jet privé et ceux qui boivent avec des pailles en papier détrempées : l'une de ces activités a un impact important sur l'empreinte carbone d'un individu, l'autre non".
Quel est l'impact de cette perception biaisée sur le soutien aux politiques climatiques ?
Au Danemark et au Nigeria, ce biais de perception se traduit par un soutien moins affirmé aux politiques climatiques, et à de nouvelles taxations.
"Les plus pauvres ont des préoccupations plus immédiates, comme la façon dont ils vont payer leur loyer ou subvenir aux besoins de leur famille", explique le Dr Kristian Steensen Nielsen, premier auteur de l'étude, de l'école de commerce de Copenhague.
"Mais dans toutes les catégories de revenus, les gens veulent de vraies solutions à la crise climatique, qu'elles soient réglementaires ou technologiques. Toutefois, ce sont les personnes dont l'empreinte carbone est la plus élevée qui ont la plus grande responsabilité en ce qui concerne la possibilité de réduire leur empreinte".
Cependant, compte tenu de leur plus grande influence financière et politique, ajoute M. Nielsen, la plupart des politiques climatiques reflètent les intérêts des plus riches de la société et prévoient rarement des changements fondamentaux en ce qui concerne leur mode de vie.