Tacticien brillant, accro aux réseaux sociaux... Qui est Rassie Erasmus, le "vrai" patron des Springboks?
"Rassie Erasmus a été qualifié de génie. On l’a traité de téméraire. Toute sa vie, il a fait les choses différemment", il suffit de lire les premières lignes du récent livre consacré à sa vie et à sa carrière pour cerner un peu mieux la personnalité de Johan "Rassie" Erasmus.
Directeur du rugby et véritable patron du XV sud-africain, le technicien se retrouvera au cœur du très attendu quart de finale de Coupe du monde de rugby entre le XV de France et les Springboks, ce dimanche au Stade de France (21h). Après le titre obtenu au Japon en 2019, Rassie Erasmus espère venir à bout des Bleus et garde l’espoir d’un fabuleux doublé au Mondial.
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Un joueur en "avance sur son temps" mais frustré par les blessures
À l’image de Fabien Galthié, ancien joueur vedette du XV de France, Rassie Erasmus a signé une solide carrière avec les Springboks. L’ex-troisième ligne a notamment participé à l’aventure de la sélection jusqu’à la troisième place du Mondial en 1999 sous la férule de Nick Mallet et a accumulé 36 capes pendant ses quatre années avec le maillot de l’Afrique du Sud (1997-2001).
Mais la fin de carrière de celui qui compte le Tri Nations 1999 (devenu Rugby Championship en 2012) comme seul trophée majeur est perturbée par de nombreuses blessures. Pendant sa carrière sur le terrain du côté des franchises des Cheetahs, des Lions ou des Stormers et aussi chez les Springboks, il ne fait déjà aucun doute que Rassie Erasmus deviendra un jour un coach de renom.
"Il s'intéressait à tout ce que nous faisions", se souvenait Alan Solomon, ex-adjoint de Nick Mallet chez les Boks, auprès du quotidien The Telegraph en 2018.
"Il avait son propre ordinateur portable, qu’il payait lui-même, et il regardait autant de séquences vidéo qu’il le pouvait. C’était en 1998 et personne d’autre ne faisait ça à l’époque. Il était bien en avance sur son temps. Cela vous faisait penser que ce type irait loin."
Un coach innovant mais un palmarès longtemps limité
Presque aussitôt après sa retraite sportive, Rassie Erasmus rebondit ainsi sur le banc en prenant les rênes de son premier club aux Cheetahs. Pendant près de trois ans, le jeune entraîneur va guider l’équipe vers les sommets avec deux titres en Currie Cup (2005 et 2006) et la fin d’une disette de 29 ans. L’ancien troisième ligne innove en préférant s’installer en tribunes pour suivre les rencontres et en développant un système de lumières pour transmettre ses consignes à ses joueurs. Une méthode toujours utilisée actuellement chez les Springboks.
Fort de cette première expérience réussie, l’ancien troisième ligne va brièvement intégrer le staff des Springboks en marge du Mondial 2007 en France. Son rôle de conseiller technique, qu’il quitte avant la compétition pour diriger la franchise de la Western Province en Super Rugby, contribue au sacre décroché par la sélection emmenée par Jake White.
Un peu moins en réussite avec la Western Province, malgré une finale de Currie Cup, Rassie Erasmus va ensuite tenter sa chance à la tête des Stormers puis du Munster en Irlande.
Là encore, il guide ses équipes jusqu’en finale de Super 14 (devenu Super Rugby) ou de Pro12 (devenu United Rugby Championship) mais sans remporter de trophées. Un manque de réussite qui ne va pas l’empêcher de prendre en main la destinée de l’Afrique du Sud en tant que directeur du rugby en 2017. Avant de doubler cette fonction avec celle de sélectionneur (2018-2019) et de conduire ses Springboks à leur troisième titre mondial lors de la Coupe du monde au Japon.
Un mordu de stats et d’analyses vidéo
Et plus que son palmarès, pourtant prestigieux, c’est bien la méthode Erasmus qui fait de lui un coach aussi marquant dans le rugby actuel. Déjà adepte de vidéos et de stats pendant sa carrière de joueur, il a élevé cette méthode de travail au rang d’art après sa reconversion comme technicien. Parfois critiquée pour son rugby limité dans le jeu, l’Afrique du Sud version Erasmus se veut froide, méthodique… efficace.
Il suffit de voir comment le directeur du rugby répond à ses détracteurs sur les réseaux sociaux pour comprendre l’importance de la data à ses yeux. Quand un internaute lui demande sur X (anciennement Twitter) si le jeu d’avants va dominer le rugby dans le futur, le technicien lui rétorque avec un tableau de stats sur le nombre d’essais marqués par ses arrières depuis deux ans.
"Je me souviens qu'il était très intéressé par les statistiques et les chiffres dans le jeu, et je pense que vous pouvez probablement le voir à la façon dont jouent les Springboks", a ainsi confié le technicien Dave Wessels en 2019 sur Rassie Erasmus dans la presse australienne.
Et celui qui a travaillé à ses côtés comme consultant aux Stomers d’ajouter: "Pour lui, il ne crée pas les règles. Son travail consiste à gagner selon les règles qui lui sont fixées. Parfois, il a été critiqué pour la manière conservatrice dont ils ont joué, mais cela a été très réussi."
Un adepte des réseaux sociaux et un technicien très cash
Au-delà de sa passion pour les données statistiques, l’activité débordante de Rassie Erasmus sur les réseaux sociaux révèle aussi un autre pendant de sa personnalité: une vraie franchise. Premier sélectionneur de l’Afrique du Sud à nommer un capitaine de couleur avec Siya Kolisi, il assume ensuite son choix malgré les critiques. Quoi qu'il arrive, Rassie Erasmus dit ce qu’il pense sans détour, avec souvent une bonne dose d'ironie.
Après la défaite face aux Bleus (30-26) lors d’un test-match en novembre 2022, le directeur du rugby sud-africain s'est amusé à poster certaines séquences polémiques du match où il estimait que l'arbitre avait fait preuve d'un mauvais jugement. Le tout en usant d'un ton passif-agressif totalement assumé, comme sur cette faute apparente de Gaël Fickou non sifflée.
"C’est tellement intelligent de la part de Fickou, la façon dont il se déplace sur le côté du ruck n’a aucune influence sur la vitesse de sortie du ballon", a ainsi ironisé Rassie Erasmus. "Nous pouvons certainement en tirer des leçons!!"
Plus récemment, quand le sélectionneur des All Blacks Ian Foster peste contre le jeu proposé lors du choc Irlande-Afrique du Sud (13-8) au Mondial, le patron des Springboks lui répond sans se cacher, stats à l'appui: "Ian est toujours quelqu’un de franc et dit les choses comme il le pense! J’ai du respect pour lui depuis qu’il a entraîné les Chiefs!! Mais je pense qu’entre deux minutes temps de jeu supplémentaire et une bataille épique entre l’Irlande et les Boks, c’est ça que je préférerais regarder!!"
Franc sur les réseaux sociaux, Rassie Eramus semble pourtant convaincre ses joueurs par cette honnêteté brutale. "J’ai adoré travailler avec Rassie", a récemment reconnu l’Irlandais Simon Zebo auprès de médias locaux au sujet de leur expérience commune au Munster en 2016-2017.
"Je n’ai jamais vu quelqu’un parler aussi honnêtement avec le groupe, de ce que pensent les entraîneurs, de ce qui se passe dans l’organisation, des raisons pour lesquelles les gens sont sélectionnés et, surtout, pourquoi ils ne le sont pas."
"C’était une honnêteté que je n’avais jamais vue dans le rugby au Munster à travers tous les entraîneurs que j’avais croisés, a encore indiqué l’ailier passé par le Racing 92. À partir de là, il savait comment motiver chaque joueur et en tirer le maximum. Et s’il pensait que vous n’ajoutiez rien au groupe ou qu’il pensait que vous étiez un poison, il vous interpellait devant tout le monde - il n’y avait tout simplement pas de zone grise."
Une relation unique avec son frère d’armes Nienaber
Si cette franchise est plutôt saluée par ses joueurs et ses abonnés, l’image de Rassie Erasmus semble un peu plus floue au niveau de son statut chez les Springboks. Officiellement directeur du rugby, Erasmus n'est plus à proprement parler sélectionneur des Springboks, ce rôle étant officiellement occupé par Jacques Nienaber depuis 2019. Mais son emprise sur l'équipe reste forte, d'autant qu'il continue à prendre très régulièrement la parole sur les réseaux sociaux. Ses détracteurs l'accusent ainsi de fuir les obligations médiatiques, laissant Jacques Nienaber au feu en première ligne.
Rien de tout cela, pour Rassie Erasmus, qui voit en ce choix l’expression de sa confiance envers celui qui l’a accompagné à chacune de ses expériences dans le rugby depuis près de 20 ans. Plus fort encore, ils ont fait l’armée ensemble pendant leur service national. Depuis, ils ne se sont presque jamais quittés.
Si la position de Nienaber peut sembler inconfortable, le sélectionneur des Boks peinant forcément à émerger de l’ombre de son encombrant prédécesseur, il semble toutefois parfaitement s’en accommoder.
C’est désormais cet étonnant duo qui va tenter de mettre fin au rêve du XV de France de remporter "sa" Coupe du monde cet automne. Un éventuel succès qui porterait, à n’en pas douter, la marque de Rassie Rasmus: une grande gueule à la tactique impeccable.