Ségolène Royal, l'électron libre du gouvernement

par Elizabeth Pineau PARIS (Reuters) - Ségolène Royal multiplie les prises de position "personnelles" et parfois contraires aux décisions du gouvernement sur l'environnement, un franc-parler irritant pour de nombreux ministres impuissants face à l'immunité dont elle jouit. Forte de sa relation avec François Hollande, père de ses quatre enfants, la ministre de l'Ecologie, du Développement durable et de l'Energie s'appuie aussi sur le soutien de Matignon, qui loue le "sens politique" de ce "pilier du gouvernement" dont la liberté de ton sert l'image de l'exécutif. De l'écotaxe à l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) en passant par le "cimetière nucléaire" de Bure (Meuse), la numéro trois du gouvernement, derrière le Premier ministre Manuel Valls et le chef de la diplomatie Laurent Fabius, dit ce qu'elle pense, quoi qu'il arrive. Le projet d'enfouissement des déchets radioactifs à Bure, tout juste entériné par l'Assemblée nationale sur la base d'un amendement approuvé par le gouvernement ? "A titre personnel, je ne suis pas favorable à l'enfouissement des déchets nucléaires, d'ailleurs je m'y suis opposée dans mon département", dit-elle. La reprise des travaux de l'aéroport Notre-Dame-des-Landes, validée par Manuel Valls quelques minutes après que la justice eut rejeté les recours des opposants? "Je ne veux pas faire de polémique sur ce sujet-là, surtout que le Premier ministre s'est exprimé, donc il a déclaré ce qu'il pensait devoir faire et je n'ai rien à ajouter à ce qui a été dit", a déclaré l'ex-présidente de la région Poitou-Charentes, qui redit ainsi ses réticences sur ce dossier. NUTELLA ET PARTICULES FINES Les exemples similaires sont légion. Si l'abandon de l'écotaxe est surtout dû à la mobilisation parfois violente des "bonnets rouges", Ségolène Royal a toujours dit qu'elle refusait l'écologie "punitive" par les impôts. Elle a ainsi rejeté d'emblée la semaine dernière la proposition d'un rapport parlementaire bipartisan sur l'alignement progressif, jusqu'en 2020, de la fiscalité de l'essence et du diesel, un carburant émetteur de particules fines, alors que ce rapprochement est officiellement programmé. Les exemples récents d'indépendance affichée de celle qui aime se présenter en "femme politique libre" ne manquent pas. Les pics de pollution attisés par la canicule font régulièrement l'objet de joutes entre son ministère et la mairie de Paris, qui réclame la circulation alternée et l'interdiction des feux de cheminée, dont Ségolène Royal ne veut pas. Son idée de rendre les autoroutes gratuites le week-end pour rendre du pouvoir d'achat aux consommateurs a fait sursauter plus d'un ministre et le dérapage se produit parfois. En juin, la ministre a dû présenter sur Twitter ses excuses à une Italie scandalisée par ses appels au boycott de la pâte à tartiner Nutella, accusée de contribuer à la déforestation en raison de la présence d'huile de palme dans sa composition. A l'Elysée comme à Matignon, on se dit ni surpris ni irrité par les prises de position de l'ex-candidate socialiste à l'élection présidentielle de 2007. "Ségolène Royal a un vrai sens politique et elle est un pilier de ce gouvernement", souligne lundi l'entourage du Premier ministre. "Elle y apporte son expérience et son sens politique. Quand il y a des points à arbitrer sur des dossiers au niveau interministériel, Matignon tranche et décide. C'est son rôle", ajoute un conseiller de Manuel Valls. ROYAL, ENNEMIE DE ROYAL A la présidence, on se contente d'affirmer que la question ne constitue "pas un sujet particulier." La popularité de Ségolène Royal a progressé depuis le début de l'année, au point de la placer deuxième derrière Manuel Valls dans le classement des membres du gouvernement "présidentiables" dans un sondage Viavoice pour Libération. Appréciée pour "son franc-parler et sa capacité à être antisystème", Ségolène Royal "a dans l'opinion un soutien qu'elle n'avait pas quand elle n'était pas au gouvernement", dit François Miquet-Marty, de l'institut de sondages Viavoice. Bonne pour sa propre carrière, "sa stratégie gagnant-gagnant est utile à l'exécutif, heureux d'avoir en son sein une parole plus libre dès lors qu'il est en quête de soutiens nouveaux, notamment écologistes", a dit le politologue à Reuters. A cinq mois de la Conférence mondiale sur le climat, qu'elle orchestrera de concert avec Laurent Fabius, Ségolène Royal devra toutefois prendre garde à ne pas se laisser emporter par sa nature spontanée, qui l'a desservie par le passé. Matthieu Orphelin, porte-parole de la Fondation Nicolas Hulot de défense de l'environnement, souligne que la ministre de l'Ecologie est parfois difficile à suivre. "C'est quelqu'un qui a un poids politique très fort qui fait qu'elle peut emporter des décisions du gouvernement et du président de la république, mais dans des sens qui parfois nous sont favorables ou défavorables", a-t-il dit à Reuters. François Miquet-Marty souligne, lui, les dangers. "Aller trop loin dans la transgression, ça se retourne contre son auteur", prévient-t-il. "Toute sa vie politique, elle a dû faire un arbitrage subtil entre la transgression et un excès qui pouvait la disqualifier. Le pire ennemi de Ségolène Royal, c'est Ségolène Royal." (Avec Marine Pennetier, édité par Yves Clarisse)