Syrie : que va devenir le Rojava, cette « utopie » kurde, après la chute de Bachar al-Assad

En Syrie, que va devenir le Rojava, cette « utopie » kurde, après la chute de Bachar al-Assad (Photo de manifestants lors d’une mobilisation pour la défense du Rojava, à Paris en novembre 2019)
LIONEL BONAVENTURE / AFP En Syrie, que va devenir le Rojava, cette « utopie » kurde, après la chute de Bachar al-Assad (Photo de manifestants lors d’une mobilisation pour la défense du Rojava, à Paris en novembre 2019)

SYRIE - Une « oasis au sein du chaos », comme l’appelait le magazine Sciences Humaines en novembre 2021, mais pour combien de temps encore ? Alors que la Syrie est en plein bouleversement depuis la chute du tyrannique Bachar al-Assad, de grandes interrogations se posent sur la suite et comment se comportera le nouveau régime qui va, invariablement, se mettre en place. Au nord du pays, un territoire un peu particulier tente de se maintenir dans la tempête : le Rojava, région rebelle sous administration kurde.

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Dans un pays totalement meurtri par les conflits et les répressions du régime Assad, en ruine et rasé pour certaines villes, cette région autonome, aussi appelée Kurdistan syrien, a réussi à naître en 2014 et survivre tant bien que mal, entre les attaques de Daesh et celles de la Turquie qui s’est donné pour mission d’éradiquer tous les Kurdes.

Interrogé par Le HuffPost, Boris James, maître de conférences à l’université Paul Valéry, Montpellier 3, souligne que le terme Rojava, né dès 2012, n’est plus vraiment adéquat car il signifie « Kurdistan de l’Ouest ». À cette époque-là, ses créateurs s’étaient installés dans des régions habitées majoritairement par des Kurdes. Mais depuis 2014, la zone s’est étendue à des territoires habités majoritairement par des populations arabes. Le nom « Administration autonome du nord est syrien (AANES) » a donc été choisi.

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Celle-ci occupe un quart de la Syrie et est gérée par les Forces démocratiques syriennes (FDS) qui ont tenté, pour l’instant semble-t-il avec succès, de créer un idéal démocratique, porteur d’un projet égalitaire. Sur le papier, cette zone semble réellement détonner dans un pays ravagé.

Féminisme et écologie en Syrie

Comme l’explique Marianne, dans les grandes lignes, l’idéologie prônée au Rojava est inspirée d’Abdullah Öcalan, fondateur du PKK. Celui-ci a eu l’idée d’un « confédéralisme démocratique, où démocratie directe, écologisme et féminisme sont liés ».

Du féminisme et de l’écologie en Syrie. Si le principe semble contre-intuitif, il fonctionne pourtant réellement. Selon le site Ritimo, réseau d’information spécialisé sur la solidarité internationale, « l’émancipation des femmes est un pilier de la modernité démocratique telle que la voit Öcalan ». Ainsi, au sein du Rojava, les femmes participent aux prises de décisions, sont présentes dans les structures et (elles ont même un droit de veto sur toutes celles qui les concernent). Le site précise qu’un quota minimal de 40 % de sièges dans les structures mixtes leur est réservé.

L’écologie est également une des causes défendues dans la région, notamment pour tenter de faire revenir la nature à la vie dans un territoire dévasté par les bombes. Comme le souligne Cairn.info, plusieurs projets écologiques ont été lancés, dont « Make Rojava Green Again », qui doit contribuer à la reforestation du nord de la Syrie.

Pris en étau entre la Turquie et les milices islamistes

Si cette région autonome est parvenue à se développer depuis dix ans, la chute du régime de Bachar al-Assad ces derniers jours provoquée par le groupe islamiste Hayat Tahrir al-Cham (HTS), menace de changer la donne. Car des milices de l’ASN, le bras armé de la Turquie se sont jointes au groupe rebelle.

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À noter toutefois que HTS semble vouloir calmer le jeu pour éviter de créer un deuxième front. Selon Boris James, le groupe islamiste s’efforce de contrôler l’ASN, parfois en arrêtant ses membres, qui attaque les Forces démocratiques syriennes par idéologie, mais aussi à la demande de la Turquie. « HTS ne veut pas se priver d’une opportunité de se rapprocher des FDS si l’occasion se présente », souligne le maître de conférences.

En plus des attaques des milices, le Rojava va devoir continuer de résister à celles de la Turquie, qui profite de chaque instabilité pour assaillir les infrastructures du territoir autonome. Rien que ce lundi 9 décembre, onze civils, tous membres d’une même famille, dont six enfants, ont été tués dans une frappe de drone turc visant une maison dans un village du Rojava, a indiqué l’Observatoire syrien des droits de l’homme, cité par l’AFP.

La veille, au moins 26 combattants ont été tués alors que des factions syriennes, soutenues par la Turquie, ont lancé une offensive dans la région de Manbij, également tenue par les Forces démocratiques syriennes. Enfin, le retrait des troupes russes de la zone de Kobané peut, selon Boris James, « ouvrir une voie à la Turquie, alors que cette zone est particulièrement habitée par des Kurdes ».

Un bouleversement bénéfique ?

D’un autre côté, la chute du régime d’Assad peut être bénéfique au Rojava. Car qui dit effondrement, dit retrait des forces du régime. Ainsi, les Kurdes ont l’occasion de reprendre des territoires abandonnés par l’armée syrienne.

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C’est le cas notamment dans le sud de l’AANES où un partage territorial existait entre les FDS et le régime. Ce dernier n’étant plus là, la coalition kurdo-arabe peut désormais pleinement s'y installer.

Maintenant que les cartes ont été rebattues, reste à savoir quels pions les milices islamistes et la Turquie vont avancer. « Celle-ci pourrait tenter d’intensifier ses actions contre la zone et essayer de prendre la ville de Manbij, déjà en proie aux attaques », nous explique Boris James. Ce qui lui faciliterait grandement la tâche, ce serait le feu vert du président élu Donald Trump pour mener une incursion terrestre, sans passer par les milices.

« L’utopie du peuple kurde de Syrie », selon les mots de Marianne, est menacée de toutes parts. Dix ans après sa création, reste à savoir si elle survivra à la chute de Bachar al-Assad.

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