Syrie: quelles sont les intentions des rebelles jihadistes qui ne cessent de progresser dans le pays?

Après Alep et Hama, les deux et quatrièmes plus grandes villes de la Syrie, la ville de Homs semble sur le point de tomber entre les mains de la coalition rebelle dominée par les jihadistes ce vendredi 6 décembre. Cette prise les rapprocherait de Damas, la capitale au sud du pays, qui serait alors la dernière grande ville sous le contrôle de Bachar Al-Assad, affaibli.

"Si Homs tombe cela constituerait un potentiel point de bascule. Et le prochain objectif serait Damas", assure David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), contacté par BFMTV.com.

"Cela va dépendre si les forces du régime arrivent à repousser les forces rebelles. Il est permis d'en douter vu leur état de déliquescence", continue le spécialiste du Moyen-Orient, se disant "surpris", non pas par l'opération en tant que telle, mais par sa "rapidité" et son "efficacité opérationnelle".

"Tous les moyens nécessaires" sur la table

Derrière les conquêtes territoriales, les rebelles jihadistes ont un objectif clair: renverser le régime de Bachar Al-Assad contesté depuis le Printemps arabe et le début de la guerre en 2011.

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"Lorsque nous parlons d'objectifs, le but de la révolution, c'est de renverser ce régime. Nous avons le droit d'utiliser tous les moyens nécessaires pour atteindre cet objectif", a déclaré à CNN ce vendredi le chef du groupe Hayat Tahrir al-Sham (HTS), Abou Mohammed al-Joulani, qui mène l'offensive.

"Les germes de la défaite du régime ont toujours été présents en lui… Les Iraniens ont tenté de le ressusciter, de lui faire gagner du temps, et plus tard les Russes ont également essayé de le soutenir. Mais la vérité demeure: ce régime est mort", a ajouté le chef de l'alliance dominée par l'ancienne branche syrienne d'Al-Qaïda.

Dans cette même interview, Abou Mohammed al-Joulani assure que la Syrie évoluera vers "un État de gouvernance, d'institutions" une fois Bachar Al-Assad renversé. Il a évoqué des projets visant à créer un gouvernement et un "conseil choisi par le peuple".

Les jihadistes polissent leur image

Le chef de l'opposition jihadiste - qui s'est radicalisé auprès du futur créateur de Daesh, Abou Bakr al-Baghdadi, après les attentats du 11 septembre 2001 et qui a fait ses armes en Irak avec Al-Qaïda - tient à polir son image, à rassurer, à dire qu'il a changé.

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"Une personne dans la vingtaine aura une personnalité différente de quelqu’un dans la trentaine ou la quarantaine, et certainement d’une personne dans la cinquantaine. C’est la nature humaine", s'est-il justifié auprès de CNN.

Avant d'ajouter: "les gens qui craignent la gouvernance islamique ont vu sa mise en œuvre incorrecte ou ne la comprennent pas correctement".

Cette image, Abou Mohammed al-Joulani la façonne depuis qu'il a rompu avec Al-Qaïda en 2017, avant de créer HTS considéré comme une organisation terroriste par les États-Unis.

"En rompant avec Al-Qaïda, le groupe a renoncé en quelque sorte au terrorisme, il veut s'inscrire dans ce que l'on pourrait qualifier de salafisme-djihadisme plus réaliste. Il rouvre le dialogue avec les États-Unis, dissocie le militaire du politique...", explique à BFMTV.com Pierre Boussel, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique et spécialiste de l'organisation Hayat Tahrir al-Sham.

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"Il y a une stratégie de communication assez élaborée", abonde David Rigoulet-Roze.

Les rebelles jihadistes veulent notamment séduire la communauté internationale, ou du moins, ne pas s'attirer ses foudres. Et pour cela, il tente de rassurer sur leur doctrine "islamo-jihadiste" qui "s'inscrit dans un cadre national" et non "international", précise le spécialiste. "Ils veulent rassurer pour ne pas être taxé d'organisation terroriste".

Le conseiller à la sécurité nationale du président Biden, Jake Sullivan, a déclaré dimanche à CNN qu’il ne "pleurerait pas sur le fait que le gouvernement Assad subisse certains types de pressions", bien qu’il ait "de réelles inquiétudes quant aux desseins et aux objectifs" du HTS.

Rassurer les minorités

Les forces rebelles islamistes, qui avant cette offensive contrôlait déjà depuis 2015 la région d'Idlib dans le nord-ouest de la Syrie, tentent aussi de rassurer les populations. Les sunnites modérés mais surtout les minorités comme les chrétiens et les alaouites (chiites).

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"À notre grand étonnement, le comportement des nouveaux occupants d'Alep est complètement différent de ce à quoi on s'attendait", dit un habitant chrétien, joint par l'AFP par téléphone et qui a requis l'anonymat.

"Tous les discours qu'ils tiennent, c'est pour dire qu'ils ne sont pas là pour nous faire souffrir. Ils sont là pour nous aider. Ils disent 'tout ce qu'on veut, c'est faire tomber le régime d'Assad'", ajoute-t-il.

Pour le chercheur à l'IRIS David Rigoulet-Roze, si pour le moment, HTS applique la charia avec tolérance dans la région d'Idlib, citant pour exemple le droit à l'éducation pour les filles et la tolérance de l'alcool pour la confession chrétienne, il souligne qu'on "ne sait jamais ce qu'il peut se passer par la suite".

"Les civils n'ont pour la plupart pas accueilli d'un bon œil leur arrivée"

L'inquiétude reste en effet vive chez la population syrienne, preuve en est des 280.000 déplacés selon l'ONU. S'ils fuient les combats, certains fuient aussi les islamistes.

"Malgré l'image qu'ils veulent donner, les civils n'ont pour la plupart pas du tout accueilli d'un bon œil leur arrivée. Ils sont terrorisés, beaucoup se terrent chez eux", souligne Myriam Benraad, professeure en relations internationales à l'université de Schiller à Paris, contactée par BFMTV.com.

"Au final, les civils étaient plus ou moins satisfaits du retour du régime de Bachar Al-Assad (qui avait repris le dessus sur les rebelles en 2016, NDLR) par pur souci de stabilisation", abonde la spécialiste du Moyen-Orient. Elle rappelle d'ailleurs que contrairement à la "propagande" de HTS, tout ne passe pas aussi bien qu'ils veulent laisser paraître dans la région d'ldlib qu'ils administrent déjà.

Depuis plusieurs mois, des manifestations ont lieu contre le pouvoir de Abou Mohammed al-Joulani. Des manifestations parfois violemment réprimées. Des arrestations, des suspicions de torture et d'autres exactions sont également avancées, selon des médias allemands. Le chef de HTS est devenu de plus "dictatorial", d'après André Bank, expert de la Syrie à l'Institut Giga de Hambourg, interrogé par la chaîne de télévision Deutsche Welle.

"C'est typiquement, ce qu'il s'est passé avec l'État islamique"

Et cette radicalisation, certains spécialistes la craignent si HTS parvient à mettre la main sur l'ensemble du pays car pour eux, malgré les apparences, le groupe n'a pas rompu avec l'idéologie jiadhiste d'Al-Qaïda.

"Idéologiquement, ça n'a pas changé. Leurs propos servent à renvoyer une image positive, ils essayent de construire une forme de respectabilité", souligne Myriam Benraad, professeure en relations internationales à l'université de Schiller à Paris. "Ils ne veulent pas qu'on les 'talibanisent'", image-t-elle.

"Ils ne sont pas dans une perspective de libération mais ils veulent imposer un diktat islamiste rigoriste, fondamentaliste", assure la spécialiste du Moyen-Orient, qui craint notamment pour les droits des femmes et des minorités.

Même si aux côtés des jihadistes combattent des rebelles "moins extrêmes" dans les rangs de l'Armée nationale syrienne soutenue par la Turquie, in fine, "c'est la frange la plus puissante qui prendra le contrôle", explique Myriam Benraad, autrice de Mécanique des conflits: Cycles de violence et résolutions. "C'est typiquement, ce qu'il s'est passé avec l'État islamique".

Article original publié sur BFMTV.com