Syrie : les positions pro-Bachar al-Assad de l’extrême droite lui reviennent comme un boomerang
POLITIQUE - Lundi 9 décembre, 9h du matin. Alors que cela fait plus de 24 heures que Bachar al-Assad a été renversé en Syrie, Marine Le Pen (qui a pourtant toujours pour ambition de devenir cheffe de l’État), n’a pas eu le moindre commentaire sur ce bouleversement géopolitique d’ampleur. Au Rassemblement national, c’est Jordan Bardella qui s’est chargé d’éclaircir la position du parti.
Interrogé sur le plateau de Dimanche en politique sur France 3 ce dimanche, il a répondu en brandissant de potentiels effets néfastes pour la France. « Dans quelques mois, il est possible que nous payions les conséquences de cette prise de pouvoir des fondamentalistes islamistes par des flux migratoires importants » , a répondu le président du RN, avant d’appeler l’Union européenne à « anticiper le risque d’un déferlement migratoire, où pourraient se glisser des terroristes islamistes ».
Al-Assad vu comme le rempart qu’il n’a jamais été
Une position partagée par son allié Éric Ciotti, qui prédit un « un chaos aux conséquences incalculables, notamment migratoires pour l’Europe ». Comme si le « boucher de Damas » et son régime de terreur n’étaient eux-mêmes pas responsables de l’exil de plusieurs centaines de milliers de Syriens depuis le début de la guerre de la civile. Qu’importe pour l’extrême droite française, qui persiste à présenter Bachar al-Assad comme un rempart face à l’islamisme, même s’il est établi que le dictateur syrien a sciemment libéré des centaines de jihadistes en mai 2011.
Le profil du leader des rebelles islamistes syriens, Abou Mohammad al-Jolani, est d’ailleurs brandi comme une preuve que la chute du dictateur syrien, en dépit des multiples atrocités qu’il a commises, est nécessairement une mauvaise une nouvelle. « Alors que certains se réjouissent de la chute du régime de Bachar al-Assad, on en apprend un peu plus sur les nouveaux dictateurs qui vont le remplacer, et plonger la Syrie dans un nouvel enfer. Régime islamique à l’iranienne ou à l’afghane ? Telle est maintenant la question… », s’interroge sur le réseau social X la députée RN de l’Eure Katiana Levavasseur.
« Le camp du mal c’est Daech. Est-ce que Bachar envoie des soldats tuer nos enfants dans nos rues ? » Marine Le Pen, en 2017.
Connu pour son positionnement pro-Russe et sa proximité avec Bachar al-Assad, l’eurodéputé RN Thierry Mariani vient sans surprise au secours du dictateur syrien, en reprenant le narratif (martelé par ailleurs par Vladimir Poutine) d’un pays dorénavant laissé aux mains des islamistes. « La France se félicite de la victoire des islamistes en Syrie. Bientôt, les mêmes regretteront une nouvelle vague de réfugiés et une montée de la menace terroriste islamiste en Europe », a écrit l’eurodéputé, dans l’un des nombreux tweets qu’il a consacrés à la situation. Or, si l’ensemble des chancelleries occidentales expriment leur satisfaction de voir tomber ce régime, toutes formulent leur vive inquiétude et leur vigilance sur la transition à venir. Car se réjouir de la fin d’une dictature au bilan humain effroyable est une chose, et demeurer lucide sur la suite des événements en est une autre.
Or, le Front national, puis le Rassemblement national, n’a jamais fait autre chose que de soutenir Bachar al-Assad, pourtant ostracisé du concert des nations, au prétexte qu’il était — a minima — un « moindre mal » face au jihadisme. « Le camp du mal c’est Daech. Est-ce que Bachar envoie des soldats tuer nos enfants dans nos rues ? », interrogeait Marine Le Pen en 2017, sans s’interroger sur la responsabilité du dictateur syrien dans l’éclosion de l’État islamique. Un positionnement binaire qui a plusieurs fois conduit les responsables du parti lepénistes à nier les atrocités commises par le régime. Après une (énième) attaque chimique lancée par l’armée syrienne à Khan Cheikhoun en avril 2017, Marine Le Pen s’offusquait de la réaction de Donald Trump, qui avait ordonné en représailles un bombardement en Syrie.
Réhabilitation
Quant à Marion Maréchal, alors députée FN, elle allait jusqu’à reprendre la propagande du régime syrien, en laissant entendre que toutes ces histoires d’utilisation d’armes chimiques n’étaient que des manipulations occidentales. « Au moment où la Syrie connaît une éclaircie diplomatique, pourquoi Bachar al-Assad choisirait précisément ce moment pour déclencher une attaque ? », questionnait-elle, réclamant « une enquête indépendante » sur les crimes attribués à Bachar al-Assad, malgré les nombreux témoignages récoltés par les ONG et la presse sur place et les photos d’enfants gazés qui choquaient la communauté internationale. Sur la question des armes chimiques précisément, Marine Le Pen a plusieurs fois donné l’impression de mettre en doute leur véracité, comme on peut le voir dans cet extrait exhumé par l’eurodéputée macroniste, Nathalie Loiseau.
Imaginez où Marine Le Pen entraînerait la France si elle venait au pouvoir. Écoutez-la nier le nombre de victimes de Bachar Al Assad et les attaques chimiques contre le peuple syrien, mélange de cynisme et d’incompétence. pic.twitter.com/DlbcoxZirB
— Nathalie Loiseau (@NathalieLoiseau) December 8, 2024
Cette complaisance à l’égard de Damas a parfois changé de degré, mais jamais de nature. Ainsi, en 2019, l’eurodéputé RN Virginie Joron expliquait de retour d’un voyage en Syrie que les rues de Paris étaient plus dangereuses que celles de la capitale syrienne. Lors de ce même voyage, son collègue Thierry Mariani se félicitait de trouver dans un restaurant de Sednaya une bouteille de côtes-du-Rhône, malgré les sanctions et l’embargo qui frappaient Damas.
« Bravo à nos viticulteurs à nos viticulteurs qui ont réussi à distribuer leur vin jusqu’ici », se félicitait-il attablé en terrasse, dans cette ville où le régime avait installé la plus terrible de ses prisons politiques, qualifiée « d’abattoir humain ». Deux ans plus tard, en août 2021, le même Thierry Mariani retournait voir son dictateur préféré, accompagné pour l’occasion d’Andréa Kotarak, qui deviendra ensuite porte-parole du RN. Sur Twitter, l’élu frontiste n’hésitait pas à tresser les louanges de Bachar al-Assad. Un dirigeant accusé depuis 2013 par l’ONU de « crimes contre l’humanité ».
Avis aux islamo-gauchistes et hurluberlus racialistes.
« Il faut un équilibre et une séparation stricte entre le religieux et le politique. Si la pensée religieuse prend le pas sur l’appartenance nationale, alors la Nation se fracture et court de graves conséquences » (#Assad) pic.twitter.com/32TvWvurjS— Andréa Kotarac (@AndreaKotarac) August 22, 2021
Plus récemment, en 2022, Marine Le Pen appelait à reprendre les relations diplomatiques avec le dictateur syrien. « La rupture des relations diplomatiques avec la Syrie nous a aveuglés, notamment dans le domaine de la lutte contre le terrorisme islamiste, peut-être au moment le plus dangereux que traversait le pays », expliquait la candidate RN à l’élection présidentielle, proposant ni plus ni moins que la réhabilitation d’un tyran. De quoi, sans doute, expliquer l’embarras de la députée du Pas-de-Calais, dont l’un des vieux amis, Frédéric Chatillon, a lui aussi participé aux défilés des figures d’extrême droite aux côtés de Bachar al-Assad.
À voir également sur Le HuffPost :
Après la chute de Bachar al-Assad, pourquoi les Syriens espèrent une « nouvelle histoire »
Syrie : Bachar al-Assad est à Moscou avec sa famille, selon les agences de presse russes