Syrie: La Turquie veut séparer "rebelles modérés" et djihadistes

par Ezgi Erkoyun et Tom Perry ISTANBUL/BEYROUTH (Reuters) - La Turquie cherche à convaincre les rebelles syriens jugés "modérés" de rompre avec l'alliance djihadiste qui tient la province d'Idlib pour pouvoir y appliquer l'accord de "désescalade" conclu en septembre à Astana, a annoncé mardi le ministre des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu. Russie, Iran et Turquie se sont entendus pour y créer une quatrième "zone de désescalade", destinée à ouvrir la voie à un arrêt des hostilités. Les djihadistes du Fatah al Cham, ex-Front Al Nosra, qui se trouvent à la tête de l'alliance Tahrir al Cham dominante dans la province du Nord-Ouest, refusent toutefois de cesser le combat contre les forces syriennes et leurs alliés, ce qui compromet la mise en oeuvre des mesures décidées à Astana. L'accord prévoit le déploiement d'observateurs turcs dans la province d'Idlib, tandis que la Russie et l'Iran sont chargés d'en surveiller les limites. La première étape consiste donc à faire en sorte que les "rebelles modérés" quittent les "organisations terroristes", a expliqué mardi Mevlut Cavusoglu, évoquant l'ex-Front al Nosra, qui dit avoir rompu avec Al Qaïda. "Imaginez une famille avec quatre fils. Deux sont membres de l'Armée syrienne libre, que tout le monde soutient, l'un n'appartient à rien du tout et le dernier est membre d'une organisation terroriste. Que fait-on ? Allons-nous bombarder cette famille et les tuer tous - la mère, le père et les enfants ?" "Nous devons identifier le dernier et le séparer des autres", a-t-il poursuivi, assurant que ce processus "irait vite". Le chef de la diplomatie turque s'est par ailleurs indigné des bombardements russes et syriens aveugles qui font des victimes civiles. Ses propos confirment les dires d'un membre de l'insurrection ayant requis l'anonymat, selon lequel des puissances étrangères encouragent les défections pour affaiblir l'alliance djihadiste et limiter ses capacités à s'opposer à un déploiement turc. "SE FONDRE DANS LA SOCIÉTÉ" "En ce qui concerne le front Al Nosra, ils essayent de l'affaiblir avec des opérations des services de renseignement" tels que des assassinats ou des campagnes destinées à priver le mouvement du soutien de la population, a-t-il déclaré à Reuters. L'objectif serait d'encourager les combattants qui ne sont pas membres d'Al Qaïda à "se fondre dans la société". Les mouvements Nourredine al Zinki et Djaïch al Ahrar, deux pièces importantes de l'alliance Tahrir al Cham, ont fait défection récemment. Deux millions de personnes se trouvent dans la province d'Idlib, ce qui en fait la zone rebelle la plus peuplée. Des milliers de civils et de combattants venant de régions reprises par les forces gouvernementales avec l'appui de l'aviation russe y ont trouvé refuge. Outre Tahrir al Cham, plusieurs composantes de l'Armée syrienne libre y sont actives et certaines prêtent parfois mains fortes aux djihadistes. L'armée turque, qui a effectué une incursion dans le nord de la Syrie en 2015, est déjà présente à l'est de la province. Deux mille combattants locaux entraînés par ses soins pourraient prendre position dans la province elle-même, où une bonne partie de la population entretient des liens étroits avec la Turquie et pourrait leur faire bon accueil, selon le même membre de l'insurrection. La Turquie réclame le départ de Bachar al Assad et soutient plusieurs mouvement rebelles, mais s'est récemment rapprochée de l'Iran et de la Russie, tous deux très impliqués militairement aux côtés du président syrien, pour tenter d'enrayer le conflit qui fait rage depuis six à ses frontières. Outre la province d'Idlib, dans le Nord-Ouest, les zones de désescalades couvrent totalement ou partiellement la Goutha orientale, à l'est de Damas, ainsi que les provinces de Homs, de Lattaquié, d'Alep et de Hama. (Jean-Philippe Lefief pour le service français)