Sydney Sweeney est si crédible dans « Reality » en lanceuse d’alerte que le thriller ressemble à un documentaire
CINÉMA - Son prénom semble avoir été choisi pour l’occasion. La vraie histoire de la lanceuse d’alerte Reality Winner est le sujet du film Reality de Tina Satter, sorti en salles cette semaine. Le 3 juin 2017, deux agents du FBI viennent interroger cette Américaine de vingt-cinq ans à son domicile.
Pendant une heure et quarante-quatre minutes, elle doit répondre à des questions en apparence banales, puis de plus en plus pressantes. Reality Winner sera arrêtée par le FBI à l’issue de cette conversation, pour avoir transmis un document classifié évoquant des tentatives russes de piratage de l’élection présidentielle américaine de 2016 à un organe de presse.
La réalisatrice Tina Satter connaît bien l’histoire de Reality, pour l’avoir déjà adaptée dans la pièce de théâtre Is This A Room à Broadway en 2021. Son premier long métrage met en scène Sydney Sweeney dans le rôle de la lanceuse d’alerte.
Tant elle est convaincante, l’actrice connue pour la série Euphoria réussit à nous faire oublier qu’il ne s’agit pas d’un documentaire. Elle incarne avec justesse cette jeune femme troublante, mélange de naïveté et de culpabilité, avec qui elle s’est entretenue par Zoom et SMS pour préparer le tournage.
Plus complexe qu’elle n’en a l’air
Le film apporte peu de contexte à l’histoire. Il démarre avec Reality dans un open space et seuls quelques passages télévisés sur Fox News permettent de nous situer sous la présidence Trump. La Texane est très critique du président républicain et, comme beaucoup d’Américains, sature d’entendre parler des scandales politiques qui l’entourent.
Elle donne des cours de yoga à ses heures perdues, adore voyager et passer du temps avec ses animaux de compagnie et poste des photos sur Instagram, rien d’anormal pour une Milléniale en 2017. Tel un oignon dont on éplucherait les couches, la complexité de Reality met du temps à se dévoiler.
Son jeune âge et son visage poupon ne laissent pas penser qu’elle a passé six ans dans l’US Air Force, maîtrise le pachtou, le dari et le farsi, et possède plusieurs armes chez elles, dont un fusil semi-automatique AR-15 rose. Et contrairement à ce que la décoration du bureau suggère, son travail n’a rien de banal. Reality est linguiste dans une société travaillant pour l’Agence nationale de la sécurité (NSA) et bénéficie d’une accréditation de sécurité de niveau top-secret.
Un scénario coécrit par le FBI
Lorsque les agents du FBI Justin C. Garrick (joué par Josh Hamilton) et R. Wallace Taylor (Marchánt Davis) débarquent devant la petite maison de banlieue de la jeune femme alors qu’elle rentre des courses, on pense d’abord à une erreur tant ils détonnent dans le paysage.
Ils se présentent, demandent si elle a des animaux de compagnie et des armes à l’intérieur, précisent qu’ils ont un mandat de perquisition mais n’expliquent pas la raison de leur visite. Derrière la politesse des agents et le sourire faussement détendu de Reality, le malaise s’installe.
À partir de leur rencontre et jusqu’à la fin du film, les dialogues entre Reality et les agents spéciaux rejouent presque mot pour mot, silence pour silence, la transcription de l’enregistrement du FBI qui apparaît parfois à l’écran. Lorsqu’une ligne du rapport est rayée en noir car classifiée, la réalisatrice fait grésiller le son et l’image et les acteurs s’effacent, comme si elle s’interdisait de remplir les blancs avec de la fiction.
Entre quatre murs
Pendant qu’une équipe du FBI fouille le domicile de Reality, les deux agents interrogent la jeune femme dans une pièce inutilisée et entièrement vide. Le décor est à l’image du film : le superflu a été enlevé et tout repose sur le jeu troublant de Sydney Sweeney.
Reality se transforme rapidement en huis clos anxiogène. La jeune femme blague sur son poids renseigné sur son permis de conduire et admet, droit dans les yeux, « Ok, j’ai menti ». Chaque tournure de phrase ou quinte de toux des agents spéciaux fait monter la tension d’un cran.
Dans la pièce de l’interrogatoire comme dans la salle de cinéma, plus l’étau se resserre autour de Reality, plus on semble manquer d’air. Lorsque les agents du FBI font mine de blaguer avec elle pour détendre l’atmosphère, cela devient irrespirable.
Un thriller documentaire
Consciente d’être prise au piège, littéralement au pied du mur, Reality finit par admettre avoir imprimé un document classifié à son travail. Son argumentation passe de la fausse naïveté — elle était curieuse et arrive mieux à lire sur papier — à une vraie prise de responsabilité — les Américains avaient le droit de savoir.
Le thriller de Tina Satter prend alors des airs de documentaire engagé sur la lanceuse d’alerte, qui ne souhaitait pas « être une Edward Snowden » mais ne pouvait pas rester silencieuse en bonne conscience. La caméra quitte Sydney Sweeney, menottes à la main, le regard presque apaisé.
À l’écran s’affiche alors la suite de l’histoire, la vraie : Reality Winner a été condamnée à cinq ans et trois mois de prison, la plus lourde peine jamais donnée pour une fuite de document de ce genre. Donald Trump a fait d’elle un exemple de répression, le film de Tina Satter fait, lui, le portrait d’une citoyenne courageuse.
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