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Suzane, nommée aux Victoires 2021: "C'est aussi pour ce genre de moments qu'on fait ce métier"

Suzane - 3e bureau - Liswaya
Suzane - 3e bureau - Liswaya

L'année commence bien pour Suzane: à 30 ans, la chanteuse fait partie des nommées dans la catégorie artiste féminine aux prochaines Victoires de la musique. Elle sera en compétition face à Aya Nakamura et Pomme pour remporter le trophée, le 12 février prochain à la Seine musicale.

Qu'elle soit ou non suivie d'une victoire, cette nomination constitue déjà un symbole. Parce qu'il y a seulement un an, Suzane a été sacrée révélation scène durant la même cérémonie. Au moment où les finalistes avaient été annoncés, elle n'avait même pas encore sorti son premier album. Mais elle s'était déjà assuré une base de fans solide, avec 20 millions de streams et presque 200 concerts (dont certains en Asie), comme le rapportait alors Le Monde.

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Depuis, Océane Colom (son vrai nom) a transformé l'essai, et ce malgré une année 2020 peu propice à l'épanouissement artistique. La sortie de son album Toï Toï en janvier dernier a éclipsé ses longues années à attendre le succès derrière les comptoirs des bars où elle officiait comme serveuse. Si elle n'a pas pu le défendre sur scène à cause du coronavirus, elle l'a ressorti vendredi dans une nouvelle version baptisée Toï Toï II, agrémentée de cinq titres dans lesquels elle reçoit du beau monde: le slameur Grand Corps Malade et le DJ Feder. Une preuve, encore, qu'elle s'est imposée parmi les artistes qui comptent.

Dans ces cinq nouveaux morceaux, on retrouve la patte qui a fait le succès de ses premiers tubes: des arrangements résolument électroniques pour accompagner des textes à messages, écrits d'une plume habile. Celle qui s'est fait connaître en parlant du mal du siècle (L'Insatisfait), en dénonçant le harcèlement de rue (SLT) ou en alertant sur le réchauffement climatique (Il est où le SAV?) se dévoile cette fois un peu plus, en évoquant une peine de coeur (L'appart vide, dévoilé en novembre) ou en rendant hommage à son sud natal (La Vie dolce). Usant toujours de son sens de la rime et du même verbe aiguisé.

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Quelques jours avant cette sortie, Suzane s'est confiée à BFMTV.com - sur Zoom, pandémie oblige - pour revenir sur cette année folle, le regard qu'elle porte sur son succès et sa manière de l'apprivoiser.

Que gardez-vous de cette année, qui a commencé sur les chapeaux de roues pour vous avant que tout ne soit mis à l'arrêt?

C'était comme une année bipolaire. Il y a eu des trucs grandioses, la sortie de l'album, la Victoire de la révélation scène, ça a commencé très fort... Et ensuite c'était la descente aux enfers. J'ai commencé à voir toutes mes dates reportées, annulées, j'avais des belles promos de prévu... L'arrêt a été brutal. Tu ne vois plus personne, tu rentres chez tes parents. J'avais l'impression de m'être fait plaquer alors que ce n'était pas le cas.

Du coup, vous avez écrit...

Ecrire la réédition, c'est ce qui m'a permis de tenir le coup. J'ai écrit des chansons sans trop savoir ce que j'allais en faire. Je me suis dit "mon pauvre Toï Toï, je l'ai appelé 'bonne chance' (Toï, toï, toï est une expression allemande utilisée pour appeler à la réussite, ndlr) et il est sorti en pleine pandémie mondiale"... J'avais envie de lui donner une prolongation. C'est mon premier album, les premières fois c'est précieux. Avec Feder on a enregistré La Vie dolce. On s'est rencontré il y a deux ans, j'ai fait sa première partie à l'Olympia, je trouve ça cool que l'histoire continue. On vient tous les deux du Sud, on voulait faire un son made in Provence. Ces cinq chansons m'ont aussi permis de faire des rencontres marquantes en 2020, notamment Grand Corps Malade...

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Comment s'est fait cette collaboration?

Mosimann, son réalisateur, connaissait ma musique. La femme de Grand Corps Malade lui a dit d'écouter ce que je faisais. À ce moment-là, il était en pleine préparation de son dernier album, Mesdames. Il m'a appelée en me faisant plein de compliments sur ma musique; évidemment, je le suis depuis longtemps et je trouve que c'est un grand artiste. Alors qu'il m'appelle en me proposant de travailler ensemble, aussi bienveillant et aussi enthousiaste, c'était fou. Ensuite, nous avons été confinés, alors on a beaucoup fonctionné sur WhatsApp. On se faisait des mémos, et un jour, je lui ai dit "ça te dirait d'échanger les genres? Toi tu es une femme, moi je suis un mec, et on raconte ce qu'on ferait pendant 24 heures?". On a commencé à écrire nos textes, Mosimann a commencé à faire l'instru... et ça a donné la chanson Pendant 24 heures, où on se joue un peu des clichés tout en essayant de véhiculer un message, avec humour.

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Dans Le Monde d'après, l'une des chansons de cette réédition, vous parlez de la pandémie. Vous chantez "Seuls dans nos cages, on s'ennuie / On sauve le monde en regardant Netflix" - mais pour vous, le confinement n'a pas été synonyme de sécheresse artistique?

Pas du tout. Au contraire, elle était flippante cette période. J'étais dans ma course, je chantais mes chansons qui étaient déjà écrites, en écrire de nouvelles n'était pas une urgence. Quand tout a brutalement été arrêté par le Covid, je me suis dit qu'il fallait que je reste productive, mais ça ne marchait pas parce que j'aime écrire quand j'en ai besoin. C'est quand j'ai pris conscience de l'inconfort dans lequel on vivait que ça a commencé: c'était la bataille dans ma tête, j'avais des paroles, j'avais des mélodies. L'inspiration, c'est un peu comme le bonheur: parfois c'est là, parfois non, mais il faut laisser faire, il ne faut pas toujours être à sa recherche. J'aime bien écrire dans ce genre d’ambiance où il n'y pas trop de bruit, pas de gens avec moi, être un peu enfermée, un peu en introspection. Le confinement l'a permis, malgré moi. Ces cinq chansons ont égayé mon confinement. Même si je n’y dis pas que des choses faciles à entendre, je pense qu’aujourd’hui il faut parler de ce qu’on vit. On ne peut pas être trop édulcoré dans un monde aussi dark qu'en ce moment.

En parlant d'égayer, il y a aussi eu cette nomination aux Victoires de la musique dans la catégorie artiste féminine!

C’est un énorme truc dans ma vie. Quand on me l'a annoncé, il m'a fallu quelques jours pour l'assimiler. Tu as le cœur qui bat, en même temps, tu as le trac... C'est aussi pour ce genre de moments qu'on fait ce métier. On donne tout du matin au soir, la musique prend toute la place dans mon cerveau, toute ma vie, toute mon énergie. Alors de voir que des gens s'en sont rendu compte et se sont dit "on va l'encourager, on va lui donner de la force, on va voter pour elle"... Je suis touchée, je les remercie. C’est une vraie reconnaissance d’être parmi ces femmes-là. Je trouve qu'en ce moment, le paysage musical français féminin est très puissant. C'est incroyable de faire partie de ce podium. Je pense que ça n’arrive pas tous les jours dans une carrière, donc je vais essayer d’en profiter au maximum, même si ce sera sûrement sans public à cause de la pandémie... J’ai l’impression qu’on s’est habitué, même s'il ne faut pas. Je ne vais pas décevoir les gens qui ont voté pour moi, je vais donner une prestation pensée dans le détail, essayer d'être à 100% moi-même.

Cette année, vous retrouvez face à Pomme, qui avait remporté la Victoire de l'album révélation l'an passé. Est-ce que vous sentez une solidarité au sein de la jeune scène musicale française, notamment dans le climat actuel?

La musique, ça reste quelque chose d'individuel. On est dans notre bulle. Mais on fait quand même les mêmes métiers, même si nous avons des univers extrêmement différents. Nous sommes tous liés par cette envie de monter sur scène, de mettre toute notre énergie dans la musique. Et avec tout ce qu'on vit, j'ai l'impression qu'il y a plus de douceur entre nous, sans le côté "piquant" du show-biz. Nous ne sommes pas que des acteurs du monde du spectacle, nous sommes surtout des humains. J'ai l'impression que les artistes sont solidaires, parce qu'ils ont envie de sauver quelque chose de commun: la musique, la scène, le spectacle vivant. Je fonctionnerai comme ça et je pense que ça créera de belles choses. Notre génération entière va être marquée, alors autant être solidaires.

Vous avez parlé à plusieurs reprises de votre amour des clubs, qui se ressent dans vos arrangements électros. En même temps, vous vous inscrivez dans une tradition très française de la chanson à message. Vous avez envie de réconcilier les générations?

Je n'y ai pas pensé en écrivant mes chansons, c'est venu assez naturellement parce que j'ai écouté beaucoup de chanson française: Edith Piaf, Jacques Brel, Barbara... Plus tard je suis venue à l'électro, avec Justice, Daft Punk ou Vitalic, et au rap, avec MC Solaar, Orelsan ou Diam's. Et j'ai été très heureuse de voir que le public de mes concerts va de 7 à 77 ans. Il y a même des gens qui viennent en famille, de la grand-mère aux petits-enfants. Je trouve ça fou. Et j'ai l'impression que c'est sur les chansons les plus électros que les plus âgés s'ambiancent et retrouvent une deuxième jeunesse. Je ne l'avais pas prédit ni pensé, mais je suis très heureuse de voir que ça a fonctionné comme ça. Je reçois des messages de gens qui me disent qu'ils écoutent mon album en famille pendant le repas du dimanche, qui réunit toutes les générations.

Plusieurs des textes de votre premier album dataient de vos années en tant que serveuse, et se nourrissaient de votre envie de réussir. Maintenant que vous vous installez dans le paysage musical, est-ce que vous devez réinventer la manière dont vous pensez vos chansons?

L'album, les concerts, les gens qui aiment mes chansons, c'est magnifique. C'est le début de mon rêve. Mais la suite de mon rêve c'est que ça continue, et je pense que ce n'est pas facile à faire. J'ai toujours la même envie, le même trac, et j'ai envie d'avoir l'impression de revivre les premières fois à chaque fois. Je vais continuer à parler de l'envie de réussir parce que ce message n'était pas adressé qu'à moi, mais aussi aux gens qui m'écoutent. Et j'ai envie de montrer que le rêve n'est pas que tout rose et tout beau. Un rêve, ça peut être dangereux, et je pense que c'est ce que j'ai envie d'expliquer pour la suite. Il y a aussi beaucoup de concessions, beaucoup de travail. On ne peut pas vivre un rêve sans dettes. J'ai surtout hâte de retrouver le public hors écran. Qu'on soit ensemble, les voir danser et qu'on partage un moment. Les lives Instagram, c'est chouette, mais ce n'est pas la scène.

Concerts de Suzane prévus au Trianon le 29 mars et à l'Olympia le 3 juin.

Article original publié sur BFMTV.com