Surbooking, rationnement des repas: les pratiques "low cost" dans des crèches privées dénoncées dans un livre
De nouvelles révélations sur le secteur de l'accueil de petite enfance. Les premiers extraits du livre-enquête, Les Ogres: révélations sur le système qui maltraite nos bébés, du journaliste Victor Castanet, ont été révélées ce lundi 16 septembre dans Le Monde, deux jours avant sa parution mercredi. BFMTV a pu consulter certains passages en avant-première.
Dans ces extraits, le journaliste dénonce notamment une prise en charge "low cost" des enfants dans certaines crèches. La tendance a débuté "aux alentours de 2010" et "a entraîné une diminution du nombre de professionnelles dans de nombreuses crèches. Or, moins de personnel signifie des conditions de travail et une qualité d’accueil des bébés dégradée", juge l'auteur du livre.
À Dijon, par exemple, la crèche Roosevelt est confrontée à la grève d'une vingtaine de ses employées en 2022. "Nous avons un problème récurrent de chauffage", dénoncent-elles à France 3 Régions. "Certains matins, la température dans les locaux oscille entre 11°C et 15°C. Nous avons des soucis réguliers avec la machine à laver, le four ou le stérilisateur. Des matelas sont défectueux, arrachés", assurent-elles.
Même situation dans la crèche Le Petit Chaperon rouge à Aix-en-Provence. "On doit désormais commander 5% de repas en moins par rapport au nombre d’enfants inscrits", assure une employée anonyme auprès de Victor Castanet.
"On a un système de surbooking, comme dans les avions, on inscrit des enfants en plus de notre capacité", témoigne-t-elle.
Des journées de 8 heures sans pause
Parmi les groupes de crèches pointés du doigt, le groupe People&Baby, l'un des géants du secteur, et dont le fondateur et président Christophe Durieux a été évincé en avril dernier, est régulièrement mentionné.
"Je me suis rendu compte que des agents de puériculture faisaient plus de huit heures d’affilée avec les enfants, sans pause", note ainsi un ancien cadre du groupe, qui préfère rester anonyme.
Finalement, ce dernier quitte son travail, "après avoir tapé, vainement, du poing sur la table, dégoûté par leurs pratiques". "Je me suis rendu compte qu’en fait mes rapports servaient avant tout à obtenir des subventions publiques pour réaliser des travaux dans les crèches", accuse-t-il.
Le journaliste évoque aussi la situation d'une crèche de Villeneuve-d'Ascq, dans le Nord, où une enquête établit que 9 enfants au moins ont été victimes de comportements inappropriés dans la crèche.
"Lorsque des familles ou des salariées ont tenté d’alerter le siège de People&Baby, elles se sont heurtées à un mur de silence." Il ajoute: "Plus grave, les auxiliaires de puériculture qui ont tenté de tirer la sonnette d’alarme ont été sanctionnées".
Des crèches déléguées au privé pour faire des économies
Cette situation naît avec la mise en place d'un "politique volontariste de Christian Jacob, alors ministre de la famille" en 2004, selon Victor Castanet.
"Face au manque criant de berceaux, (le ministre) a pris la décision de 'booster' le secteur en instaurant des subventions de financement aux opérateurs privés ainsi qu’une déduction fiscale aux entreprises souhaitant proposer des places à leurs salariés", dit-il dans son enquête.
"Un certain nombre de maires ont jugé judicieux de faire appel à des sociétés dont la petite enfance était le cœur de métier", donc de confier la gestion des crèches à des entreprises privées pour que ça leur revienne moins cher.
"Alors qu’une mairie, soumise au code des marchés publics, met entre trois et cinq ans pour créer une nouvelle structure, les gestionnaires privés sont capables d’être opérationnels en moins de six mois. Autre avantage non négligeable: la réalisation d’économies sur le budget communal", explique Victor Castanet.
Le prix du berceau gonflé
Autre découverte faite sur le plan financier par Victor Castanet. Le journaliste constate en effet que le groupe exploite le crédit d’impôt famille (Cifam), une "niche fiscale" qui "permet aux sociétés de déduire de leurs impôts 50% du prix du berceau".
Comment? En gonflant le prix d'un berceau qui n'est pas plafonné par l'État. Pour cela, People&Baby "cible les beaux quartiers, où les loyers sont chers et où l’on trouve des profils aux rémunérations conséquentes, tels que les avocats, les médecins, les notaires, etc. (…) Il était alors possible d’exploser les tarifs des berceaux", écrit le journaliste, évoquant des prix environ 30% plus élevés que ses concurrents.
De quoi permettre de plus gros revenus au groupe privé, mais aux dépens de l'argent public.
La Fédération française des entreprises de crèches réagit
La Fédération française des entreprises de crèches dit "condamner avec la plus vive fermeté les pratiques scandaleuses révélées qui méprisent les valeurs de notre profession et l’intérêt supérieur des enfants accueillis", ce lundi dans un communiqué, rappelant que le groupe People&Baby a été évincé de leur fédération en 2011.
"Nous assurons aux familles que les 28.000 professionnels de nos entreprises n’ont comme guide que la qualité de l’accueil de leurs enfants", promet la fédération.
"Si les faits relatés dans cette enquête journalistique devaient avoir des suites judiciaires, nous nous y associerons afin de soutenir les victimes et de défendre l’honneur et les intérêts de l’ensemble des femmes et hommes qui s’investissent chaque jour dans nos crèches pour le bien-être des jeunes enfants", ajoute encore la fédération.
Contactée aujourd'hui, la direction de People & Baby dit prendre "ces révélations extrêmement au sérieux." "Nous nous engageons à agir sans délai pour corriger tout dysfonctionnement qui pourrait être identifié et garantir que notre organisation fonctionne selon les plus hauts standards de qualité et d’éthique", se sont-ils engagés, annonçant la mise en place "d'audits indépendants."