Avec la suppression de l’AME, Les Républicains renoncent à être crédibles sur la santé

Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, lors d’un déplacement à Velizy-Villacoublay jeudi 26 septembre (Photo by Bertrand GUAY / AFP)
BERTRAND GUAY / AFP Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, lors d’un déplacement à Velizy-Villacoublay jeudi 26 septembre (Photo by Bertrand GUAY / AFP)

POLITIQUE - L’offensive a été lancée par Bruno Retailleau lundi 23 septembre sur le plateau de TF1. Pour le nouveau ministre de l’Intérieur, conformément au « pacte législatif » proposé par Les Républicains à l’exécutif, il est temps de réviser l’Aide Médicale d’État (AME). Pour le successeur de Gérald Darmanin, le dispositif de santé instauré en 2000 par le gouvernement de Lionel Jospin sous la présidence de Jacques Chirac a fait de la France « le pays le plus attractif d’Europe pour un certain nombre de prestations sociales et d’accès au soin ».

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Premier ministre issu (lui aussi) de LR, Michel Barnier a saisi la balle au bond, indiquant le lendemain qu’il n’avait « ni tabou, ni totem » sur le sujet. Une déclaration qui, dans le contexte où l’exécutif se retrouve contraint de ménager le RN pour survivre, rend la perspective d’une suppression, ou d’une réforme, réelle. Ce qui, sans surprise, a fait bondir les soignants, qui pointent les risques évidents qu’une telle idée représente pour la santé publique.

Dans une tribune publiée dans Le Monde, huit anciens ministres de la Santé (Aurélien Rousseau, Roselyne Bachelot, François Braun, Agnès Buzyn, Agnès Firmin Le Bodo, Marisol Touraine, Frédéric Valletoux et Olivier Véran) exhortent le gouvernement à ne pas toucher à ce dispositif. Pas suffisant, manifestement, pour refroidir les partisans d’une révision.

Ce vendredi 27 septembre sur franceinfo, le député LR Vincent Jeanbrun n’en démordait d’ailleurs pas. « Le propos ne sera pas tant de la supprimer, mais de la transformer », a-t-il justifié, en assurant (sans citer le moindre cas concret) que l’AME est « terriblement détournée », et qu’elle provoque « énormément d’exagération et d’abus ».

Des arguments (très) faibles

Pour seul (faible) exemple, l’élu évoque une mesure souveraine prise par la RATP, la Tarification solidarité transport, grâce à laquelle les bénéficiaires de l’AME bénéficient d’un tarif réduit pour leurs titres de transport. Le rapport avec les enjeux sanitaires concernés par la suppression de l’Aide Médicale d’État ? Zéro. Et plus largement, aucun argument utilisé par la droite pour revenir sur ce dispositif ne résiste aux faits.

Premier exemple : un soi-disant effet incitatif de l’AME, qui ferait de la France une destination prisée des migrants pour venir se faire soigner gratuitement. Sauf que, comme le notait le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés fin 2023, l’Hexagone n’est pas le pays de l’Union européenne le plus attractif pour les demandeurs d’asile. En valeur absolue, la France se situe derrière la Pologne et l’Allemagne. Mais en valeur relative (c’est-à-dire reporté à la densité de population), la France se classe au 21e rang de l’UE. Autre donnée tendant à relativiser l’affirmation de Bruno Retailleau, directement tirée de la théorie des « pompes aspirantes » professée durant des années par Marine Le Pen, le taux des étrangers qui sollicitent réellement l’AME. Selon une enquête de l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes) réalisée en 2019, seulement 50 % de la population éligible y a effectivement recours.

Pour justifier leur volonté de refonte, Les Républicains (comme le RN) mettent également en avant le coût du dispositif : 1,1 milliard d’euros à la sécurité sociale selon un rapport de la commission des finances. Une somme, même si elle représente moins de 1 % du budget total de la Sécu, qu’il serait nécessaire d’économiser en période de disette budgétaire. Sauf que, là encore, l’argument ne tient pas puisqu’une personne qui ne serait pas prise en charge à temps en médecine de ville via l’AME, se tournerait vers les urgences.

Un coût supérieur aux économies espérées

Ce qui, au-delà de l’aggravation de la situation d’engorgement dont souffre le système hospitalier, coûtera plus cher à l’État. Dit autrement, mieux vaut prévenir que guérir. « Les économies réalisées sur les soins courants seraient donc contrebalancées par des dépenses supplémentaires pour des soins plus spécialisés, avec des risques de perte en qualité compte tenu des nouvelles tensions d’organisation », souligne dans une note publiée par la Fondation Jean Jaurès, Jean-Marie André, économiste à l’École des hautes études en santé publique.

Le spécialiste s’appuie notamment sur une étude réalisée en 2015 par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA). Selon cette recherche, la prise en charge précoce des soins des demandeurs d’asile et migrants permet de réaliser des économies qui vont de 9 % à 69 % selon les maladies et les pays. Quant à la fraude, citée sans être étayée par Vincent Jeanbrun, un rapport commandé par le Sénat et corédigé par Patrick Stefanini (figure LR et ancien directeur de campagne de François Fillon) assurait que celle-ci était résiduelle, et équivalente en proportion à celle que l’on détecte dans le régime général.

Raison pour laquelle le document jugeait que l’AME est « un dispositif sanitaire utile », qu’elle est « globalement maîtrisée » et « ne génère pas de consommations de soins faisant apparaître des atypismes, abus ou fraudes structurelles ». Des arguments rationnels que refusent d’entendre Les Républicains, lesquels continuent de plaider pour une refonte d’un système qui, non seulement fonctionne loin des caricatures qui circulent, mais dote la France d’une protection sanitaire dont l’utilité fait consensus dans le monde médical.

Reste alors une énigme : pourquoi la formation de droite, qui se décrit comme un «  parti de gouvernement  », s’accroche tant à ce leitmotiv, pourtant très éloigné des besoins médicaux et dont les effets peuvent être contraires aux objectifs affichés ? Et ce, au risque de perdre toute crédibilité en matière de santé ? « Les Républicains sont restés longtemps dans l’opposition, et c’est une position qui peut inciter avec le temps à tenir ce genre de discours en dehors des réalités », décrypte auprès du HuffPost Thomas Mesnier, Chef de Pôle Urgences au CHU de Bordeaux et porte-parole du parti Horizons, l’aile droite du bloc central. Le même déplore ce « discours politicien consistant à jouer sur les peurs » qui, de surcroît, « laisse croire aux gens que les immigrés ont plus de droit que nous » . D’autant que pour ce médecin de profession, cette position « haineuse » méconnaît totalement les principes déontologiques des praticiens qui continueront à prodiguer des soins aux étrangers, AME ou non. « Ces gens pensent vraiment qu’on regarde la carte vitale avant de soigner ? ». Chez LR, probablement.

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