Sur la suppression de l’AME, ces médecins généralistes dénoncent « un non-sens éthique et humain »
Deux médecins racontent pourquoi la suppression de l’AME votée par le Sénat les scandalise - et pourquoi ils y désobéiraient en cas d’entrée en vigueur.
SANTÉ - « C’est quoi, la suite, pour ce pays ? » Julie Chastang et Jérôme Marty, tous deux généralistes, accusent le coup : ce mardi 7 novembre, en adoptant le projet de loi immigration, le Sénat a aussi voté la suppression de l’AME, l’aide médicale d’État destinée aux personnes sans-papiers. Les deux praticiens jugent une telle mesure contraire à leur éthique et au serment d’Hippocrate, mais pas que.
Comme 3500 médecins, ils ont signé une tribune s’engageant à désobéir si une telle loi était votée à l’Assemblée, où le texte sera étudié en décembre. « L’AME est soulevée de manière régulière par nos élus, ce n’est pas ma première tribune à ce sujet, explique Julie Chastang au HuffPost. Mais le fait que les Sénateurs aient voté un texte et que l’Assemblée doive l’examiner, ce n’était jamais arrivé ». La médecin salariée dans un centre de santé témoigne de son incrédulité totale. « Quand on en parle avec mes collègues, on n’arrive pas à se projeter. C’est quoi, la suite, pour ce pays ? »
Elle décrit un « non-sens » éthique et humain. « On imposerait aux soignants de choisir entre soigner gratuitement ou laisser des gens sans accès au soin. Ce dilemme éthique est inacceptable, et indigne de la France, surtout vu l’état actuel de la santé mentale des professionnels de santé. Ce serait la goutte d’eau de trop », déplore-t-elle.
« Ceux qui portent ce texte savent très bien qu’il ne sert à rien »
Jérôme Marty déplore aussi de son côté l’instrumentalisation de cette suppression. « Ceux qui portent ce texte savent très bien que la suppression de l’AME ne sert à rien. Ils s’en servent comme d’un marchepied électoral ». Julie Chastang abonde et regrette un « débat sur des choses fausses » : « Il est urgent de revenir au bon sens, de cesser de monter les gens les uns contre les autres et d’en revenir aux faits. »
Les deux médecins rappellent par exemple que l’Espagne a voté une loi similaire en 2012, avant de faire volte-face quelques années plus tard. En France, Jérôme Marty entrevoit lui aussi une véritable catastrophe sanitaire : « L’AME concerne des personnes en grande précarité. Or, c’est le propre de la précarité que de s’accompagner de pathologies lourdes, chroniques, et parfois infectieuses. Supprimer l’AME, ce serait mettre ces personnes dans une situation de rupture encore plus marquée » explique le médecin.
Et la solution proposée par les sénateurs ne fait pas non plus l’unanimité : « Pour la remplacer, on propose une aide médicale d’urgence. Mais ça veut dire quoi, l’urgence, pour quelqu’un qui a une maladie contagieuse ? Pour une personne qui a la tuberculose ? Quid des contaminations ? Le temps de soigner les personnes, les maladies seraient largement diffusées, ce serait une catastrophe sanitaire. »
Sur le plan économique également, Julie Chastang ne voit pas d’utilité à la mesure. « Il est prouvé que ne pas dépister les maladies chroniques, ne pas prendre en charge les maladies au stade précoce, ça a un impact économique négatif. Je suis certaine que les sénateurs le savent », déplore-t-elle.
Avec indignation, Jérôme Marty tient à rappeler que les médecins « ne sont pas le petit personnel des hommes politiques » et doivent pouvoir exercer sans polémiques : « On soigne des humains quelle que soit la couleur de leur peau, leur opinion politique, leur religion, leur métier. Qu’on nous laisse le faire ».
VIDÉO - Qu’est-ce que cette aide médicale d’État pour les étrangers en situation irrégulière qui fait polémique ?