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Succession d'Angela Merkel: Comment les favoris se sont tous cassé les dents

Annoncé en octobre 2018, le départ d'Angela Merkel après 16 ans comme chancelière allemande n'a pas permis à un successeur clair d'émerger.

ALLEMAGNE - Jamais depuis la Seconde Guerre mondiale un chef de gouvernement sortant n’avait décidé de se retirer en Allemagne. C’est pourtant ce qu’a fait Angela Merkel, annonçant dès octobre 2018 qu’elle ne briguerait pas de cinquième mandat de Chancelière, elle qui aura côtoyé quatre présidents français en 16 ans à la tête de son pays (Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron).

Au lieu de viser une nouvelle élection, elle a cherché à préparer l’avenir, adoubant au sein de son parti, la CDU, une femme qu’elle pensait capable de lui succéder: Annegret Kramp-Karrenbauer. La première de plusieurs favoris à sa succession qui ont les uns après les autres été frappés par une “malédiction”, perdant rapidement la faveur de l’opinion.

Tant et si bien que durant la pandémie de Covid-19, de nombreuses voix se sont élevées pour demander à Angela Merkel de rempiler afin d’assurer une stabilité au pays et de repousser ce dilemme de la succession. Offre que la Chancelière a balayée, laissant aux dirigeants actuels le luxe de se disputer la victoire aux élections législatives de ce dimanche 26 septembre en vue de lui succéder. Avec toutes les difficultés que cela comporte...

Annegret Kramp-Karrenbauer

Elle était l’élue, celle désignée par Angela Merkel pour prendre sa suite. Et elle a finalement été la première frappée par la malédiction. Elle, c’est donc Annegret Kramp-Karrenbauer, actuelle ministre de la Défense, mais surtout grande absente du scrutin législatif de ce 26 septembre.

Tout avait pourtant bien commencé. En octobre 2018, alors qu’Angela Merkel annonce ne pas viser de cinquième mandat, la future ex-Chancelière ne laisse pas planer le moindre doute: “AKK” est sa successeuse désignée. Et deux mois plus tard, pour la première fois de l’Histoire de l’Europe de l’ouest, c’est bel et bien une femme qui succède à une autre à la tête d’un parti de gouvernement, en l’occurrence la CDU. Une manière de préparer les législatives de cet automne 2021 sous les meilleurs auspices.

Et pour cause: AKK avait tout pour incarner la continuité outre-Rhin. “Je ne vais pas me distancer de quelqu’un que j’estime énormément”, exprimait-elle alors, refusant tout calcul politique qui l’aurait vue se différencier artificiellement de la Chancelière.

Sauf que le 5 février 2020 est survenu. Ce jour-là, à la surprise générale, dans le Land de la Thuringe, le parti désormais dirigé par AKK s’est allié avec le principal parti d’extrême droite (l’AfD), pour faire élire le président de l’État Thomas Kemmerich (du parti libéral FDP). Une transgression jamais vue depuis la Seconde Guerre mondiale et qui a mis sens dessus dessous la scène politique. Car si la présidente de la CDU était opposée à cette alliance, elle n’a pas réussi à freiner les ardeurs de ses militants et des cadres locaux. Le dernier clou dans le cercueil d’une AKK déjà contestée en interne à la suite de résultats historiquement bas lors de plusieurs scrutins locaux. Tant et si bien que moins d’une semaine après le vote en Thuringe, Annegret Kamp-Karrenbauer décidait de renoncer à briguer la succession d’Angela Merkel et annonçait même son départ prochain de la tête de la CDU.

Annalena Baerbock

Elle était le phénomène du début de campagne, mais elle a commis des erreurs. Trop d’erreurs. Après cette succession avortée pour AKK et une fois le plus fort de la crise du Covid passé, la question de l’après-Merkel s’est de nouveau invitée, début 2021, en Une de la presse allemande. Avec une étoile montante de la politique qui est rapidement apparue comme principale outsider: Annalena Baerbock, la figure de proue des Verts allemands.

Une jeune quadra pour qui tout avait, là encore, parfaitement commencé. Annalena Baerbock avait ainsi décroché l’investiture de son parti sans avoir à mener de lutte interne, le co-leader des écolos Robert Habeck lui laissant la voie libre en se ralliant d’emblée à sa candidature. Et rapidement, les sondages avaient suivi, la plaçant en tête des intentions de vote au printemps.

Sur ce compilateur de sondages, on voit très clairement la soudaine montée d'Annalena Baerbock au printemps 2021, avant une chute qui la conduit aujourd'hui en troisième position derrière le SPD (en rouge) et la CDU (en noir), assez nettement décrochée qui plus est (<a href=

Seule femme parmi les têtes d’affiche du scrutin de ce dimanche, spécialiste des questions européennes, technicienne à la connaissance des dossiers rassurante pour l’opinion publique et habituée du compromis du fait des alliances nouées dans la quasi-totalité des Länder par sa formation, elle semblait incarner une forme de certitude et, au moins dans la forme de gouvernance, de continuité.

D’autant qu’elle avait réussi à repousser les plus radicaux au sein des Verts et à maintenir un programme nuancé, en gardant la fin de la production de voitures à essence en 2030 plutôt que 2025 (le secteur emploie 800.000 personnes en Allemagne) ou en restant mesurée sur les annonces économiques (hausse du salaire minimum réelle, mais restreinte; augmentation relative de l’impôt sur les revenus des plus riches...).

Sauf qu’Annalena Baerbock n’est jamais parvenue à pousser ses idées au premier plan, en dépit d’un contexte porteur ces derniers mois, en particulier avec l’épisode des inondations. Sa candidature a aussi été plombée par un scandale de plagiat dans un de ses livres, des inexactitudes dans son CV, une prime de 25.000 euros non déclarée au Parlement... Des erreurs relatives et rapidement corrigées, mais qui se sont ajoutées à quelques déclarations hâtives ou floues en matière politique et qui ont été très durement sanctionnées dans les enquêtes d’opinion.

Au point qu’Annalena Baerbock n’apparaît aujourd’hui qu’en troisième position dans les sondages, bien loin de pouvoir succéder à Angela Merkel. Elle peut toutefois se satisfaire d’une chose: face à une classe politique et à un électorat morcelés, l’importance accordée en 2021 à l’écologie politique devrait lui assurer un rôle de faiseuse de roi après le scrutin, dans l’optique de composer une alliance au Parlement. Un rôle auquel elle se destine déjà comme elle l’expliquait le 2 septembre dans le Kölner Stadt-Anzeiger: “Je suis candidate pour décider de l’orientation du prochain gouvernement, mais aussi pour le diriger. Avec comme partenaire: de préférence le SPD.”

Armin Laschet

Lui était à 36% dans les sondages en début d’année, à une trentaine de points au début de l’été et désormais autour des 20%, c’est-à-dire au plus bas pour son camp, la CDU, depuis que le baromètre de référence ARD-Deutschlandtrend a été créé en 1997.

Après l’échec AKK, c’est Armin Laschet qui est sorti vainqueur de la lutte interne pour la tête de la CDU qu’Angela Merkel espérait pourtant éviter. Un camp au sein duquel le président de la Rhénanie-du-Nord - Westphalie (le plus grand Land allemand) a eu du mal à se faire une place malgré sa victoire. À sa désignation, seuls 4% des Allemands le voyaient comme “un leader fort”.

Se sont ajoutées à cela, comme pour Annalena Baerbock, des accusations de plagiat au sujet d’un livre. Mais c’est surtout à l’été 2021 que sa candidature déjà bringuebalante s’est mise à tanguer pour de bon. Et cela à cause d’une image, celle d’un candidat hilare alors qu’il rendait visite à des victimes des inondations de l’été qui ont fait plus de 180 morts. Dans son propre Land qui plus est.

Mi-juillet, alors que l'Allemagne pleurait encore les dizaines de victimes des tragiques inondations, le journal
Mi-juillet, alors que l'Allemagne pleurait encore les dizaines de victimes des tragiques inondations, le journal

“Laschet rit au milieu des larmes”, pouvait-on retrouver en Une du tabloïd Bild le lendemain, à un moment où son parti comptait encore... 12 points d’avance sur son plus proche poursuivant. Le coup de grâce après une gestion déjà très critiquée de l’épisode météorologique dans un Land où les autorités sont accusées de n’avoir pas prévenu suffisamment tôt la population. Et cela avant qu’Armin Laschet assure en plus, face à un pays meurtri, que ces événements ne feraient pas évoluer sa position en matière environnementale.

Aujourd’hui, le candidat de la CDU se démène comme il peut, enchaînant les prestations agressives en débat pour tenter de faire vaciller ses adversaires. Mais il demeure -en dépit du soutien d’une Angela Merkel finalement montée au créneau pour tenter d’éviter une déroute historique- très loin du SPD dans les sondages, ce qui présage d’une cuisante défaite ce dimanche.

Au passage, on peut aussi évoquer tous ceux qui ont tenté sans réussite de succéder à AKK. Que ce soit la star bavaroise de la CSU Markus Söder, vaincu lors d’un vote interne par Armin Laschet; Friedrich Merz, le rival historique de la Chancelière sortante qui a donc manqué son come back en politique après l’annonce du retrait d’Angela Merkel; ou le jeune et ambitieux ministre de la Santé Jens Spahn qui s’est rangé derrière Laschet, tous ont renoncé à leurs ambitions nationales face au nouveau leader de la CDU.

Olaf Scholz

Reste enfin le favori actuel des sondages. Les chutes d’Annalena Baerbock et d’Armin Laschet ont en effet profité à Olaf Scholz, leader du parti de centre-gauche SPD et actuel ministre des Finances d’Angela Merkel (qui est pourtant dans le camp opposé).

Un homme pourtant vu comme peu charismatique, moribond, à la voix monocorde. L’incarnation de “l’ennui en politique” va même jusqu’à le journal Der Spiegel. Un technicien pointilleux, tout en sobriété, dont la maîtrise des dossiers l’a poussé à se présenter en tant que “véritable héritier” d’Angela Merkel, assurant aux électeurs qu’il est le seul à même d’offrir une continuité. Ce positionnement l’a même poussé à faire campagne en copiant le losange avec les doigts de la cheffe du gouvernement et avec pour slogan: “Il peut devenir Chancelière”.

Sauf que lui non plus n’est pas serein, même avec son avance grandissante en tête des sondages. Pour preuve: il faisait face à une audition au Parlement au sujet d’une vaste affaire de blanchiment d’argent le lundi 20 septembre, à moins d’une semaine du scrutin. Son ministère (institution de tutelle de l’unité incriminée dans l’affaire) avait déjà été perquisitionné au début du mois pour tenter de faire le jour sur une histoire de paiements suspects en direction de l’Afrique, qui auraient servi à financer le terrorisme et à acheter des armes, sur fond de rétention de documents censés parvenir à la police et à la justice.

Un dossier dans lequel le sérieux Olaf Scholz évoque à demi-mot un complot politique qui viserait à le pénaliser dans la course à la chancellerie. Ce à quoi Armin Laschet s’est empressé de répondre: “Quand un parquet perquisitionne un ministère, la bonne réaction est de dire ‘Nous allons aider la justice’ et non de dénoncer des complots de façon populiste.”

Une attaque dans la lignée de celles portées dernièrement par la CDU contre Olaf Scholz. Alors que depuis Gerhard Schröder (1998-2005), la gauche seule n’a plus été au pouvoir, c’est justement le spectre d’un alliance entre le SPD et les radicaux de Die Linke qui est agité par ses opposants, à commencer par Angela Merkel. La chancelière sortante répète que cette association à gauche viendrait ruiner son héritage et qu’elle n’a rien à voir avec son ministre.

Car en dépit des sondages, une vaste incertitude demeure quant à l’issue du scrutin. À une semaine de l’ouverture des bureaux de vote, 40% des électeurs ne savaient par exemple pas pour qui allaient voter. Et avec le vote par correspondance qui sera amplifié du fait du contexte sanitaire, les sondeurs préviennent que leur marge d’erreur est importante. Enfin, après une lutte pour la succession de Merkel aussi acharnée, et avec une scène politique éparpillée qui nécessitera la formation d’une alliance (sûrement à trois) pour aboutir à un gouvernement, l’identité du prochain Chancelier est encore loin d’être tranchée.

Une donne extrêmement incertaine que certains attribuent désormais à nulle autre qu’Angela Merkel. Wolfgang Schäuble, président du Bundestag et éminence grise des conservateurs de la CDU, l’a ainsi rendue responsable de la faiblesse actuelle du parti au pouvoir depuis seize ans. En cause selon lui? L’impréparation de sa succession.

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Cet article a été initialement publié sur Le HuffPost et a été actualisé.

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