Succès, passage à vide, renaissance: Indochine, une longévité extraordinaire pour un groupe de rock

Indochine est de retour ce samedi 7 septembre avec Babel Babel, un quatorzième album porté par le single Le Chant des cygnes. Nouveau chapitre d'une carrière que rien ne semble pouvoir arrêter, plus de quatre décennies après la sortie de leur premier album.

Il n'y a qu'à voir le succès des célébrations du quarantième anniversaire du groupe (un âge canonique, pour une formation rock), en 2022. Cette année-là, Nicola Sirkis et son groupe ont réuni plus de 400.000 spectateurs lors d'une tournée de six stades, tous pleins à craquer. La captation de la tournée s'est écoulée à un million d'exemplaires l'année suivante.

Difficile de penser à un autre groupe de rock qui ait réussi, dans l'Hexagone, à résister à l'épreuve du temps avec un tel brio. Aux États-Unis comme au Royaume-Uni, ils se comptent sur les doigts d'une main. Cette longévité repose, en partie, sur le refus de Nicola Sirkis de se reposer sur ses lauriers.

"Dès le (succès) numéro 1, j'ai eu un souci majeur", confiait le chanteur de 65 ans à Pure Charts en 2020. "Je ne me suis pas dit: 'C'est génial, on va fêter ça', mais plutôt 'Il faut faire le suivant'. Ça a toujours été mon truc: ne jamais être content."

Les bons garçons, au bon moment

Indochine goûte au succès dès son premier single officiel, L'Aventurier, en 1982. Un riff de guitare reconnaissable entre mille, un rythme énervé et stimulant... et une période favorable à la New Wave, dans laquelle ils s'inscrivent alors.

"Ils apparaissent quelques années après l'explosion du punk", décrypte pour BFMTV.com Christian Eudeline, auteur de "L'Aventure Indochine, l'histoire singulière d'un groupe mythique" (Éditions Prisma).

"On est alors dans une logique de renouveau du rock français. On n'a plus le côté agressif des guitares électriques. Indochine s'impose comme équivalent français de The Cure et de Depeche Mode: des sonorités nouvelles, des synthétiseurs."

La recette des prochains "numéros 1", Nicola Sirkis la trouve rapidement. La décennie 1980 appartient à Indochine, porté par cette figure taciturne à l'inamovible mèche noire. L'auteur-interprète, accompagné de son frère jumeau Stéphane Sirkis (guitare), de Dimitri Bodiansky (saxophone) et de Dominique Nicolas (basse), enchaîne les tubes.

Leur troisième album, 3, marque en 1985 la première apogée du groupe. On y trouve 3e sexe, Trois nuits pas semaine, Canary Bay ou encore Tes Yeux noirs, qui restent quarante ans plus tard quelques uns des morceaux les plus emblématiques de leur carrière.

L'album sera sacré disque de platine et ouvrira les portes du marché international à Indochine. Un succès commercial qui s'accompagne de critiques acerbes.

L'exception rock

"Une vraie jalousie s'installe", raconte Christian Eudeline. "Indochine continue à marcher et à vendre des disques malgré les années qui passent, ce qui est assez rare dans le rock français. Leurs contemporains, comme les Dogs, Bijou ou Starshooter, au son plus dur, n'ont jamais égalé leurs scores. Les rockeurs purs et durs et leur presse spécialisée disent alors que ce n'est pas du rock." Une étiquette qui ne manque pas à Nicola Sirkis:

"J'en ai rien à foutre de la crédibilité rock", balaie-t-il face à Thierry Ardisson en 1989 dans un numéro de Lunettes noires pour nuit blanche. "C'est mieux de jouer devant du public que des critiques."

Une assurance à toute épreuve qui se fissure quelques années plus tard, au moment où Indochine traverse son premier passage à vide. À la veille du XXe siècle, les disques se vendent moins bien, le compositeur Dominique Nicolas quitte le navire, la maison de disque les remercie. Les années 1990 se concluent sur le drame de la mort de Stéphane Sirkis, emporté par une hépatite. La critique musicale les juge dépassés, l'aventure Indochine semble terminée.

"Il y a eu un retournement de situation dans les années 1990 vis-à-vis de nous", avait confié Nicola Sirkis à France Inter en 2021.

"On a dénigré notre public, en disant que c'était des petites groupies", a-t-il poursuivi. "Je n'oublie pas, je ne pardonne pas." À la même période sort une parodie des Inconnus, un sketch dans lequel les trois humoristes dépeignent Indochine en abrutis suffisants. "Ça aussi, c'était violent", racontera Nicola Sirkis des années plus tard.

Retour en grâce

Le carton, inespéré, intervient en 2002 avec l'incontournable J'ai demandé à la lune, extrait d'un nouvel album intitulé Paradize. Pour ce retour, Nicola Sirkis prête les rênes à Mickaël Furnon, leader de Mickey 3D, qui écrit et compose le morceau. Vingt ans après ses débuts, et malgré des années difficiles, Indochine connaît une renaissance.

Le single est ultra plébiscité, l'album devient disque de platine en quatre mois, et Indochine conquiert une nouvelle génération: nommé dans quatre catégories aux NRJ Music Awards l'année suivante, le groupe remporte la statuette de meilleur album francophone.

"Nicola a su rester en phase avec les affres des moins de 20 ans", confiait en 2011 au Figaro Agnès Michaux, co-autrice du livre Kissing My Songs avec le chanteur. "Les problématiques de cette tranche d'âge sont au cœur de ses textes: harcèlement scolaire, identité sexuelle."

C'est l'un des thèmes fondateurs d'Indochine, entre l'amour éternel, les références bibliques ou les engagements politiques; la figure incontestablement androgyne de Nicola Sirkis joue avec le genre depuis les années 1980, quand il chantait le refrain "Une fille au masculin, un garçon féminin", un quart de siècle avant que ces questions n'infusent dans le débat public.

Ces thématiques restent présentes sous sa plume; en 2013, le clip de College Boy réalisé par Xavier Dolan met en scène le lynchage d'un adolescent homosexuel. Cette dénonciation de l'homophobie et du harcèlement scolaire, servie par des images d'une violence assumée, fait naître le débat et s'attire les foudres du CSA (ancien Arcom).

Éternels ados

C'est peut-être cette patte éternellement adolescente qui permet à Indochine de rester au sommet. Depuis Paradize, tous leurs albums ont au moins été certifiés disques d'or, quand ils n'ont pas décroché le double-platine ou même le diamant.

Le soin qu'ils apportent à leur public y est sans doute aussi pour quelque chose: à l'heure où les prix des billets de concert s'envole, ils mettent un point d'honneur à rester accessibles. Encore jeudi, en évoquant une future tournée pour 2025, Nicola Sirkis promettait des places "entre 50 et 80 euros, pas plus", dans les colonnes du Parisien.

Christian Eudeline souligne, par ailleurs, l'arrivée dans la formation d'Olivier Gérard - dit oLi dE SaT -, guitariste, claviériste et compositeur principal du groupe depuis vingt ans:

"Il a vachement renouvelé la chose. Nicola a trouvé en lui une sorte d’alter ego; Indochine n'est pas un groupe de solitaires. Il a besoin de l’unité, de la collaboration."

"oLi dE SaT a impulsé de la musique électronique, des boucles, dans le son du groupe. Avant lui, il y avait chez Indochine une tentation plus grunge; avant ça encore, il y avait la synth wave des années 1980. Les albums d'Indochine d'aujourd'hui ne ressemblent pas du tout aux premiers."

Quelque chose, en revanche, n'a pas changé: Nicola Sirkis, visage du groupe, unique membre d'origine toujour à l'appel. La mèche noire de jais est devenue argent, mais la figure centrale du groupe n'a pas bougé: "Il est le personnage principal. Sans lui, Indochine n'existe pas."

Article original publié sur BFMTV.com