La « Star Academy » est-elle restée coincée dans le passé ? Décryptage du télécrochet de TF1
TÉLÉVISION - Même château, même jingle et bien sûr, même Nikos. Depuis son retour sur TF1 il y a trois ans, la Star Academy n’a rien changé de la formule magique (et écrasante dans les audiences) qui, en 2002, a vu éclore Jenifer, première grande gagnante de l’histoire du célèbre télécrochet. Rien ? Pas vraiment.
Un changement s’est opéré à l’école. La taille du soutien-gorge des candidates a disparu de leurs présentations. Et les commentaires grossophobes, des quotidiennes. La Star Academy prône aujourd’hui la bienveillance et le respect, ses candidates ironisant même parfois sur la toxicité des hommes.
Signe d’une ouverture aux problématiques LGBT +, Minima Gesté - star du drag victime d’un torrent de haine à la veille des JO - s’est livrée aux élèves. Quelques jours plus tôt sur un prime, c’était Jean-Pascal. Bizarre. L’éternel cancre du programme n’est pas connu pour sa tolérance. L’an dernier, celui pour qui la danse est « un truc de pédé » ironisait sur le genre de Djebril, candidat de la promo 2023.
Cette dichotomie interroge. L’impression d’assister à une émission lisse à l’extrême, gommée de tout rapprochement ou aspérités, aussi. Bien loin du Frenchie Shore, la Star Academy a pris ses distances avec les téléréalités de notre époque. Le HuffPost a décrypté ses nouvelles valeurs avec Lucie Alexis, chercheuse en sciences de l’information et de la communication et spécialiste des mutations de la télévision.
Le HuffPost : Les « académiciens » sont, ici, pour apprendre. On les entend vanter la méritocratie, les bénéfices d’être concentré en cours, d’être ponctuel, de respecter le corps enseignant. Qu’est-ce que ça raconte de l’émission ?
Lucie Alexis : Il y a une mise en avant de l’autorité professorale. Mais contrairement à avant, on n’a plus de profs qui jouent le rôle de méchants. Ils sont davantage là pour accompagner. Cette figure de l’autorité est bienveillante. Les élèves sont très obéissants, très travailleurs. On met en avant le tableau des notes et les commentaires des évaluations, en d’autres termes, les efforts qu’ils fournissent.
Ce n’est pas Le Pensionnat de Chavagnes, si ?
Ah non. La Star Academy, c’est une bulle pour bien travailler. On met l’accent sur l’apprentissage artistique, la discipline. La ligne éditoriale de cette émission, c’est de montrer cette progression. Elle a une approche très pédagogique, presque éducative : on assiste aux cours, on suit les performances. On ne choisit pas des chanteurs nécessairement accomplis au départ dans le casting.
Au point où les romances ont semble-t-il disparu des écrans, alors même que celles de Lucie et Gregory ou Jenifer et Jean-Pascal, ont pendant un temps nourri le programme.
C’est vrai que cela faisait partie des quotidiennes. Est-ce que c’est délibéré ou est-ce que la production n’a rien à montrer ? La question se pose pour les dynamiques de rapprochement et d’opposition. Il n’y a pas vraiment de clan, ni de rivalité. Les nouvelles promos semblent très unies, là où Nolwenn Leroy, par exemple, n’était pas forcément appréciée par tout le monde dans la sienne.
On véhicule une morale plus consensuelle, alors même que les téléréalités d’enfermement misent sur les aspérités et les disputes. Est-ce lié au casting ? Sans doute. Est-ce que les élèves savent à quoi s’attendre ? Peut-être, aussi. La Star Academy se déroule aujourd’hui à l’ère des réseaux socionumériques. Les candidats sont certainement plus vigilants pour ne pas livrer une image violente ou vive d’eux-mêmes.
Cet aspect consensuel se retrouve aussi en musique. Sardou, Balavoine, Renaud… De prime en prime, on retrouve souvent les mêmes chansons d’antan (inconnues pour beaucoup d’élèves). Doit-on y voir une forme de chauvinisme ?
La recette du programme est dans son ancrage culturel, voire national. On met en avant des générations passées de chanteurs, d’ailleurs déjà venus à la Star Academy. Comme Les Enfoirés, c’est une émission qui a participé à la culture musicale de beaucoup de Français. On n’est pas seulement sur des publics jeunes, mais aussi sur des téléspectateurs qui aiment ces chanteurs patrimoniaux.
Et auxquels s’ajoute la nouvelle génération d’artistes, comme on l’a vu avec Clara Luciani, marraine de cette saison, ou Julien Doré. Cette double programmation contribue à toucher plusieurs générations, en faisant des allers-retours systématiques entre le passé et le présent. Cela participe à lisser les aspérités, tout en activant une dynamique nostalgique.
En Espagne, l’équivalent de la Star Academy (Operacion Triunfo) a pris le contre-pied, en faisant chanter à ses candidats des chansons très actuelles, dont du reggaeton. L’émission est diffusée sur Prime Video. Cela change-t-il quelque chose ?
Oui, sans doute. Une chaîne comme TF1 a sa ligne éditoriale, ses programmes phares, qui comme Koh Lanta ou la Star Academy peuvent être considérés comme des marques. Dès lors, c’est très compliqué de bouleverser tout un programme, même si TF1 essaye comme elle le peut de bouger cette image. Preuve à l’appui avec l’hymne de cette année, un titre sorti il y a quelques mois là où la tradition voulait qu’il s’agisse systématiquement d’un classique de la variété française. On n’est plus sur du Nicoletta !
À voir également sur Le HuffPost :
« Star Academy » : L’élimination de Noah s’est faite dans la douleur