Tour de France 2024: le cuissard-maillot, emblème des cyclistes aujourd’hui porté disparu
Paul Lapeira est un coureur à part. Déjà parce qu’il est devenu fin juin le deuxième Normand à être sacré champion de France sur route, 55 ans après Raymond Delisle. Autre signe distinctif : son idole de jeunesse n’était ni Tom Boonen ni Alberto Contador mais… Mikaël Cherel. La singularité du nouveau champion de France, aligné cet été sur son premier Tour de France, s’exprime enfin sur un autre terrain : la tenue de travail. Il lui arrive pour certaines occasions de ne pas suivre le credo adopté par l’écrasante majorité du peloton. Alors que tous ou presque sont tombés depuis longtemps sous le charme de la combinaison ultramoulante, au point de ne jurer que par elle, le puncheur de 24 ans de Decathlon-AG2R La Mondiale revient parfois au traditionnel cuissard-maillot. Une rareté à l'ère du cyclisme moderne.
Plébiscité durant toute une époque, le cuissard à bretelle accompagné de son maillot faisait figure d’incontournable dans la garde-robe du coureur professionnel comme chez le cyclo du dimanche. C’était avant que le vélo ne soit emporté par une course à l’innovation technologique, et la nécessite d’améliorer tous les composants de la performance pour gratter de précieuses secondes. Lui-même descendant du vieux short en laine, le cuissard façon polyester ou lycra se retrouve désormais délaissé. Rangé au grenier. "Chaque détail compte dans notre sport et le matériel évolue constamment pour répondre à cette quête de vitesse. On parle beaucoup du vélo, mais la combinaison a aussi son rôle à jouer", confirme Romain Sicard, 36 ans, qui a vu la transition s’opérer ces dernières années au sein du peloton.
Confort et quête de performance
"J’étais plus de la team cuissard à mes débuts, mais les marques de textiles ont su développer des combinaisons légères, très bien moulées et offrant un meilleur aérodynamisme. Il n’y a plus aucun problème à rouler en combinaison pendant cinq ou six heures. C’est confortable et aéré. Ça permet d’aller un peu plus vite et il y a assez de poches pour mettre tout ce dont on a besoin comme nourriture", ajoute l’ex-champion du monde Espoirs, passé l’hiver dernier directeur sportif chez TotalEnergies. D’abord développées et pensées pour les spécialistes de l’effort solitaire, les combis ont dû attendre la décennie 2010 pour sortir de leur marginalité.
"Quand je suis passé pro en 2008, elles ne servaient qu’aux chronos ou pour des efforts d’une heure en cyclo-cross. Personne ne se voyait en porter sur la route. Pour une raison principale : il n’y avait pas de poche. Puis certains coureurs ont peu à peu commencé à s’y intéresser, d’abord pour des étapes de plaine. C’était galère, ils fabriquaient eux-mêmes des poches pour pouvoir y ranger leurs gels. Le changement a eu lieu vers 2014-2015 quand les équipes ont proposé des combinaisons de route à tous leurs coureurs. Avec des poches, cette fois, mais avec une seule fermeture éclair qui ne se fermait que dans un sens, vers le haut. C’était tellement chiant pour pisser, il fallait l’ouvrir en entier", se souvient Jérôme Coppel, champion de France du contre-la-montre en 2015 et actuel consultant pour RMC.
La combi largement adoptée par le peloton
Aujourd’hui, la combinaison s’enfile par le bas avec une large ouverture pour faciliter les inévitables arrêts pipi. "Il y a un double zip et donc plus aucun problème pour que le coureur puisse faire ses besoins en course", embraye Julien Bernard, le rouleur de Lidl-Trek. "Au-delà de ça, on ressent beaucoup moins de pression au niveau des épaules avec les combinaisons par rapport aux bretelles. C’est plus léger, plus aéro, et c’est important parce qu’on essaie de tout optimiser. Moi ça me convient, je garde juste le cuissard pour l’entraînement." Interrogé en début de Tour avant son abandon mercredi lors de la 11e étape, le Breton Alexis Renard (Cofidis) ne disait pas autre chose : "Je préfère les combinaisons, c’est une seule pièce et c’est bien plus confort. Le cuissard-maillot, je le prends juste pour l’entraînement, mais en course je suis toujours en combinaison."
Pour Quentin Pacher, équipier de David Gaudu chez Groupama-FDJ, "la combinaison, c’est la norme". "C’est plus confortable et c’est plus rapide d’un point de vue aéro. Ça fait trois-quatre ans que je porte une combinaison, je ne me pose même plus la question", dit-il. Les Français ne sont pas les seuls à zapper le cuissard puisque l’Américain Matteo Jorgenson, lieutenant de Jonas Vingegaard chez Visma-Lease a bike, a récemment confié dans un entretien pour "Global Cycling Network" qu’il ne s’imaginait plus rouler avec. Même lors des étapes de montagne où le gain aéro semble davantage limité. "C’est vrai, mais ça peut avoir son effet dans les descentes ou lors des longues vallées entre les cols", précise Jérôme Coppel, qui estime "à 90 ou 95%" la proportion de coureurs utilisant une combinaison sur le Tour de France.
Certains font de la résistance
"Ils ne veulent plus retrouver les contraintes du cuissard et des bretelles qui peuvent gêner et causer des frottements. Tu as l’impression d’avoir plus de liberté en combinaison, c’est comme une seconde peau." Imaginée en soufflerie pour peser moins de 300 grammes, composée le plus souvent de matières comme lycra, le polyamide et polyester, et thermorégulée, la combinaison réunit "plein de petits avantages", résume Nans Peters, l’Isérois de Decathlon-AG2R La Mondiale. "On est plus à l’aise dedans. On peut ouvrir le maillot en grand sans que ça flotte ou que ça fasse parachute. Et si j’ai à enfiler un k-way, c’est plus facile d’avoir une seule couche pour mettre la main à la poche." Ce qui n’empêche pas la résistance d’une poignée d’irréductibles.
Une caste à contre-courant représentée notamment par Julian Alaphilippe, absent cette année sur le Tour, et Guillaume Martin. "Je roule toujours en cuissard-maillot pour plus de confort. Les combinaisons ne sont pas très bien taillées pour mon corps et je n’y vois pas trop d’intérêt", assure le grimpeur de Cofidis. "Et puis il n’y a pas beaucoup d’enjeux pour moi sur les sprints..."