"De temps en temps, j'inventais un nom…", les souvenirs de Michel Denisot pour les 40 ans de Canal+
C’était il y a pile-poil 40 ans. Le 4 novembre 1984, les téléspectateurs découvraient une nouvelle chaîne. La première payante, Canal+. Cinq jours plus tard, les passionnés de football pouvaient enfin regarder en direct un match de la feu-Division 1, avec la toute première affiche diffusée sur Canal, Nantes-Monaco (1-0), au stade de la Beaujoire. Aux commentaires au côté de Charles Biétry, le journaliste et futur directeur des sports de la chaine cryptée, Michel Denisot. De ce match historique à sa nomination comme président délégué du PSG en 1991, le Berrichon n’a rien oublié. Alors que Canal souffle ses 40 ans bougies quelques mois après avoir coupé le cordon avec la Ligue 1, l’ancien présentateur du Grand Journal revient pour RMC Sport (et sans nostalgie) sur une première décennie riche en innovations et en émotions.
Michel Denisot, quelles étaient vos ambitions lorsque Canal+ s’est lancé dans la diffusion des matchs du championnat de France en 1984?
Le championnat n’était pas retransmis à l’époque. Avec mon camarade Charles Biétry qui était alors le patron des sports à l’AFP, on avait beaucoup échangé avant, en se demandant ce qu’on pourrait faire. Les retransmissions étaient assez plan-plan, figées. Moi j’avais commencé à mettre un journaliste en bord de terrain sur TF1. On a eu envie d’aller beaucoup plus loin. J’ai proposé à Jean-Paul Jaud de nous rejoindre. Il était réalisateur sur TF1 mais un peu bridé. L’idée était de faire vivre au plus près les matchs de foot, de mettre plus de caméras, de travailler aussi sur le son. On n’entendait jamais le son des crampons dans le couloir, le ballon qui tapait sur une transversale… Ce sont des détails mais qui sont fondamentaux pour faire partager le match avec les téléspectateurs. Pour le travail de commentateur, on se répartissait les tâches. Moi j’étais plus dans le commentaire et Charles dans l’analyse. Voilà comment ça a commencé. C’était un Nantes-Monaco. Je ne me souviens pas de tous les matchs que j’ai vus ou commentés mais celui-là je ne l’oublierai jamais. On avait une émotion particulière. On a échangé des choses avant le match sur nos pères respectifs. C’était quelque chose de fort. On avait l’impression que c’était un gros enjeu pour nous, pour la chaîne aussi. C’est Halilhodzic qui a marqué.
"Beaucoup de présidents pensaient qu’on allait vider les stades"
Quel avait été l’accueil des acteurs du football?
Excellent accueil des joueurs à Nantes et à Monaco. Ils n’avaient pas cette visibilité. Au départ, Canal avait peu d’abonnés. On a démarré avec 180.000. Tout le monde était content à l’idée d’être présent sur une antenne pour les matchs de championnat. Au début, beaucoup de présidents de clubs étaient réticents en pensant qu’on allait vider les stades. C’était une vision assez rétrograde. Ça a permis au contraire au football et à la Ligue 1 de se développer pendant quasiment 40 ans avec Canal. Ce jour-là (le 9 novembre 1984) on a été bien accueillis. Je me souviens de Jean-Claude Suaudeau (entraîneur de Nantes), de Maxime Bossis dans le vestiaire. J’ai des souvenirs extrêmement précis de cette journée singulière.
Après le match, André Rousselet, le président de Canal+ vous a appelé…
Oui il nous a dit que c’était bien (rire). Dès le début, on avait marqué une différence qui s’est développé par la suite. Avant, il n’y avait pas de caméra aux 18m, les ralentis étaient beaucoup plus sophistiqués. On a démarré avec huit caméras puis beaucoup plus. C’était nouveau. Il y avait la volonté de vivre le match pendant, avant et après. Et aussi à la mi-temps. On entrait dans les vestiaires, c’était nouveau aussi. On avait accès partout. Les joueurs étaient extrêmement disponibles ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. A cette époque, c’était jouable.
Aviez-vous des chiffres d’audience?
Non, il y avait 180.000 abonnés, je ne sais pas combien il y avait de téléspectateurs. Mais on a marqué le terrain dès le départ. Après ça s’est développé pour arriver à des millions de téléspectateurs. Ce n’était pas une audience énorme mais on était quand même très regardé.
"On choisissait les matchs un peu à la bonne franquette"
Comment était choisi l’affiche qui avait lieu chaque vendredi soir?
On débutait. Personne n’avait d’a priori. Nantes-Monaco était une belle affiche de l’époque. Canal était chez lui en Ligue 1. La première année, on n’a pas fait tout le championnat. On a dû diffuser 20 matchs. On choisissait un peu à la bonne franquette.
Les présidents de clubs devaient avoir envie de cette exposition médiatique…
Pas tous. Il y en a qui n’y croyaient pas, comme toujours quand il y a quelque chose de nouveau. D’autres étaient tout de suite enthousiastes qu’on les retransmette. Après, on s’est donné l’obligation de retransmettre tout le monde au cours d’une saison et pas seulement les grands clubs de l’époque.
Avez-vous subi des pressions?
Je ne crois pas. Il y avait un cahier des charges. On devait aller une fois chez tout le monde. On respectait ce cahier des charges et ça se passait bien.
A cette époque, il y avait des présidents à forte personnalité comme Bernard Tapie à l’OM ou Claude Bez à Bordeaux. Quels étaient vos rapports?
Ça se passait bien. On n’a jamais eu de problème avec les présidents de club. Canal a longtemps contribué à valoriser la Ligue 1. Tout le monde l’a compris assez vite.
Charles Biétry avait l’habitude de placer Carnac, une ville qui lui est chère dans ses commentaires. Et vous, aviez-vous aussi un rituel ou une petite blague?
Non. De temps en temps, j’inventais un nom de quelqu’un sur le banc qui était le nom d’un copain. Surtout en Coupe d’Europe car en France on connaît tout le monde. En Coupe d’Europe on ne connaît pas tous les joueurs qui sont sur le banc. Quand on diffusait une équipe soviétique, je mettais un nom soviétique à un copain qui était sur le banc. Personne ne s’en apercevait (rires).
"Je suis rentré le soir, j’ai dit à ma femme : "Je suis président du PSG""
Un match vous a-t-il particulièrement marqué?
J’en ai fait des valises! Le premier Nantes-Monaco. Je viens de sortir un bouquin qui s’appelle "Toute première fois" (éditions Flammarion) pour raconter comment Canal a été une première fois pour des tas de talents en dehors du foot comme Omar Sy, Jamel Debbouze, Louise Bourgoin… La première fois on ne l’oublie jamais. Le premier match est inoubliable.
Après avoir été journaliste, vous avez été propulsé président délégué du PSG en 1991…
Quand le PSG était en difficulté financière et que la mairie de Paris avec Jacques Chirac a dit: "On ne comblera plus le trou, il faut trouver un repreneur ou un financier", les dirigeants de l’époque on fait le tour des grosses boîtes et sont arrivés à Canal. Le championnat était un feuilleton formidable pour les abonnés. Le PSG en était un personnage important. C’était bien de garder un personnage majeur pour valoriser le championnat. C’était l’idée de départ. Ça s’est fait. Je n’étais pas du tout dans les discussions. Puis André Rousselet a fait une réunion des cadres avec des gens qui étaient là depuis le début comme moi. On était une dizaine autour de la table. Qui va présider? Charles (Biétry) en avait envie mais il était patron des sports. Déontologiquement, ce n’était pas possible. Puis c’est arrivé à mon tour. André Rousselet a dit: "Ce serait bien que ce soit vous." Je lui ai dit: "Je vais réfléchir." Il m’a dit: "A votre place, je ne réfléchirai pas." Je suis rentré le soir, j’ai dit à ma femme: "Je suis président du PSG." C’était une surprise.
Et une expérience différente de celle que vous aviez vécu comme journaliste…
J’étais président de Châteauroux qui venait de monter en Ligue 2 donc j’avais une petite idée. Mais au bout de deux jours, je me suis vite rendu compte en étant président du PSG que comme tout journaliste, je croyais savoir alors qu’en fait je ne savais pas. J’ai appris vite en m’entourant bien. J’ai appelé Platini. Je lui ai dit: "Qui tu prendrais à tel et tel postes?" Il m’a donné deux noms (Jean-Michel Moutier comme directeur sportif et Jean-François Domergue au recrutement). Je les ai pris. On a engagé Artur Jorge qui avait gagné la Ligue des champions (avec Porto en 1987). Je me suis entouré costaud pour apprendre. Dans le foot, les joueurs sortent du centre de formation, les entraîneurs passent des diplômes mais il n’y a rien pour les présidents. On apprend en faisant le moins d’erreur possible.
Si vous deviez faire un choix entre journaliste à Canal et président du PSG…
Quand on a la chance d’avoir tout fait, on ne choisit pas (rire). C’est très fort. Je ne me rendais pas compte que ça avait autant marqué les supporters. Cela fait 25 ans que je ne suis plus au PSG et des gens m’en parlent tous les jours. Très gentiment. Le temps embellit les choses. Tous les jours à Paris des gens m’arrêtent dans la rue pour me parler du PSG.
Comment jugez-vous l’évolution du football à la télévision?
Le monde a changé, le business du football n’est plus du tout le même qu’il y a 40 ans. Il n’y a plus d’accès. On commente le match et puis c’est tout. On a un joueur désigné qui vient devant le panneau publicitaire. Je trouve ça un peu frustrant mais c’est comme ça.