"Des situations ubuesques": loin des Paralympiques, les installations sportives restent trop peu accessibles
Ce jour-là, Yohann Beutier "n'y croyait pas". Pour pouvoir assister à un match de foot dans le Maine-et-Loire, le jeune homme - et son fauteuil roulant de 200kg - ont été portés à bout de bras par des vigiles. Impossible autrement de passer l'obstacle que représentaient les escaliers dans cette enceinte sportive.
"Sur le moment, je me suis dit 'ils ne vont pas porter le fauteuil avec moi dedans, quand même?'", raconte aujourd'hui Yohann, qui souffre d'une dystrophie musculaire de naissance. Même avec le recul, il se souvient "du stress, de l'agacement et de l'incompréhension" qui l'ont assailli ce jour-là.
"C'était assez dangereux mais à ce moment-là il n'y avait pas d'autre solution pour rejoindre ce stade: il n’y avait pas d’autre accès plus adapté pour les fauteuils", détaille le jeune homme originaire de Nozay (Loire-Atlantique).
La moitié des équipements inaccessibles
Le cas de figure est malheureusement loin d'être isolé. D'après les derniers chiffres du ministère des Sports, sur plus de 150.000 équipements sportifs recensés, seuls 51,67% sont accessibles aux personnes en situation de handicap moteur (PSHM) - selon les déclarations de leur propriétaire.
À force de suivre son équipe partout en France, Rémi Mousset a lui aussi constaté qu'une bonne partie des installations n'étaient toujours pas adaptées aux personnes à mobilité réduite (PMR). Atteint d'une maladie génétique orpheline congénitale, ce fervent supporter du FC Nantes ne se déplace qu'en fauteuil roulant manuel depuis son adolescence.
"À certains endroits notamment en Île-de-France ou dans l'Est du pays, ça va", explique l'homme de 38 ans. "Mais d'une ville à l'autre, il peut y avoir de grosses différences, c'est assez aléatoire."
"Même quand c'est accessible dans certains stades, l'expérience spectateur n'est pas bonne du tout et on se retrouve en bord de pelouse, au niveau de la vue ce qui n'est vraiment pas terrible", déplore-t-il.
Rémi Mousset regrette aussi de ne presque jamais pouvoir profiter du match aux côtés des autres supporters de son équipe. La plupart du temps, il suit la rencontre dans un sas particulier, à l'écart du reste des spectateurs. "Et oui même dans le monde du foot où il y a énormément d'argent, il y a encore des problèmes", résume-t-il.
Le terrain adapté, pas les vestiaires...
L'état des lieux n'est pas meilleur pour les personnes à mobilité réduite qui souhaitent pratiquer un sport. Après plus de 10 ans de para tennis de table en compétition, Rémi Mousset évoque "un parcours semé d'embûches". "Les salles ne sont pas toujours optimales, c'est le cas de le dire", explique-t-il.
Le sportif décrit des équipements souvent datés "des années 1970, de l'époque où on construisait un peu du mobilier PMR 'parce qu'il fallait le faire'. "Ça n'était pas vraiment pensé par ou avec les publics concernés", constate-t-il. Dans les salles où il a pu jouer, les toilettes ou les douches n'étaient ainsi pas systèmatiquement accessibles, ce que confirment là encore les données du ministère des Sports.
Selon le recensement officiel, seules 21% des douches et 31% des toilettes des équipements sportifs français ne sont accessibles aux personnes à mobilité réduite (PSHM). Pour les personnes en situation de handicap sensoriel - aveugles, malvoyantes, sourdes ou malentendantes -, seuls 24% des sanitaires des sites sportifs sont accessibles à l'échelle nationale.
"Parfois on est contents de voir qu'ils ont mis en place des barres d'appui PMR dans les toilettes", développe Rémi Mousset. "Sauf qu'on déchante vite quand on découvre qu'elles ont été mal pensées parce qu'elles ne sont placées que d'un côté, or certaines personnes ne peuvent se transférer que de gauche à droite, ou inversement. "C'est encore plus compliqué en ce qui concerne les douches, si vous voulez trouver une cabine individuelle ou décente."
"On aimerait prendre une douche comme tout le monde"
"À cause des installations vieillissantes, on se retrouve parfois dans des situations ubuesques", résume-t-il. La majorité du temps, après une journée de compétition, Rémi Mousset est obligé d'attendre d'être de retour à son hôtel pour pouvoir se doucher.
"Après une longue journée à avoir transpiré, on aimerait bien pouvoir prendre une douche comme tout le monde, mais ça n'est pas possible", explique-t-il.
Faute de vestiaire suffisamment accessible pour qu'il puisse se changer, il raconte même avoir un jour été contraint de jouer au para tennis de table en jean dans une salle handisport lors d'une compétition au niveau départemental. "La salle était si vieille qu'on était sur la terre battue", se souvient-il, désabusé.
Des difficultés confirmées par Sandra Boissard, présidente de l'association française des professionnels pour l'accessibilités des personnes handicapées (AFPAPH), qui représente les professionnels de l’accessibilité auprès des associations d’usagers, des acteurs publics et privés.
Pour elle, lors d'un chantier, cette question de l'accès PMR doit être intégrée par les maîtres d'œuvre comme une question à part entière du cahier des charges. En intégrant les premiers concernés. D'autant que "ça ne coûte pas forcément plus cher de bien concevoir les infrastructures du début", insiste-t-elle;
Des gymnases "saturés"
L'athlète paralympique Ryadh Sallem - membre de l'Équipe de France de rugby-fauteuil aux Jeux de Paris 2024 - soulève un autre problème: même là où les collectivités investissent dans des structures adaptées, celles-ci sont rapidement prises d'assaut à cause de leur relative rareté. "En Île-de-France on est assez bien lôtis de ce côté-là mais il y a des progrès à faire", assure le quinquagénaire, champion d'Europe en 2022 et 2023, auprès de BFMTV.com
"C'est malgré tout extrêmement difficile de trouver des créneaux d'entraînement", constate-t-il. "Les gymnases sont saturés."
"Les infrastructures ne suffisent pas", ajoute-t-il. "C'est tout un écosystème qu'il faut mettre en place, avec le personnel formé qui convient." "On a beau installer des ascenceurs dédiés aux personnes à mobilité réduite, si la personne qui a la clé n'est là qu'une fois par semaine, c'est inutile. De la même façon on a beau installer un siège de mise à l'eau dans les piscines, si le maître-nageur compétent n'est pas là au moment opportun... c'est dommage."
Ryadh Sallem espère que le succès de ces Jeux paralympiques, qui s'achèvent ce dimanche 8 septembre, permettront d'accentuer les efforts déjà engagés en région parisienne. "Il faut harmoniser ça sur tout le territoire pour que les personnes handicapées partout en France ne soient pas laissées de côté vis-à-vis du sport", conclut-il. Contacté, le ministère des Sports n'a pas donné suite à nos sollicitations.