Pression financière, droit du travail... Les footballeurs peuvent-ils réellement se mettre en grève contre les calendriers surchargés?

L'idée a pris racine et germe tout doucement. Elle s'est fait plus pressante au mois de mai, lorsque la Fifa a présenté la nouvelle mouture de sa Coupe du monde des clubs, désormais vouée à se dérouler l'été. Puis elle s'est invitée au cœur de l'actualité de cette semaine de reprise de la Ligue des champions, une compétition qui arbore elle aussi un nouveau visage, avec un calendrier alourdi.

Les footballeurs professionnels pourraient-ils entrer en grève pour protester contre les cadences infernales? "Oui, je pense qu'on en est proche", a lâché Rodri, mardi 17 septembre, à la veille de Manchester City-Inter. "Si vous posez la question à n'importe quel joueur, il vous le dira. C'est une opinion générale parmi les joueurs, ce n'est pas juste l'avis de Rodri." Dani Carvajal, Alisson Becker, Marquinhos: nombreux sont les joueurs à avoir pris la parole ces derniers jours.

Les joueurs finiront par ne plus avoir "d'autres choix", estime le champion d'Europe espagnol, "si cela continue comme ça". "Mais je ne sais pas ce qui va se passer. En tout cas, c'est quelque chose qui nous inquiète parce que nous sommes ceux qui souffrent", insiste-t-il.

Les cadences, pas seulement l'affaire des "top players"

Aussi atypique soit son statut, un footballeur professionnel peut se mettre en grève, comme n'importe quel salarié. D'une part, ce droit est protégé par la Convention des droits de l'homme, un texte émanant du Conseil de l'Europe. D'autre part, "l’ensemble des États membres de l'Union européenne ont signé la Convention sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical de 1948, issue de l’Organisation internationale du travail", rappelle Tout l'Europe, le site de référence sur les questions européennes. Les contours de ce droit peuvent cependant varier d'un pays à l'autre, avec un encadrement plus ou moins strict.

Ultra concurrentiel et individualiste, le milieu du football offre des carrières courtes où l'argent est plus qu'ailleurs le nerf de la guerre. Ce n'est a priori pas le terreau le plus propice aux mouvements sociaux. Et pourtant, la grève pourrait être un moyen pour permettre aux joueurs de faire entendre leurs doléances face à un "calendrier cannibalisé", selon la Fifpro, le syndicat défendant leurs intérêts.

"On s'est aperçu que ça ne concernait pas que les top players. On s'est aperçu que ça impactait le foot", pointe David Terrier, président de la branche européenne du syndicat et vice-président de l'UNFP, l'organisme qui défend les joueurs évoluant en France.

Au-delà des joueurs les mieux rémunérés, engagés dans les compétitions continentales, d'autres internationaux évoluent dans de plus petites écuries ou dans des divisions inférieures et enchaînent les vols pour représenter leur pays à l'autre bout du monde.

Sur notre antenne, David Terrier cite l'exemple frappant de Saliou Ciss. Revenu vainqueur mais exténué de la CAN 2022, le défenseur sénégalais n'a pas pu empêcher la relégation de Nancy en National... et n'a jamais trouvé de point de chute derrière. Il a annoncé qu'il mettait un terme à sa carrière début septembre.

"Les médecins et les team performers nous disent: au bout de 55 matchs par saison, un joueur commence à s'exposer davantage à des blessures et son niveau physique, potentiellement, baisse", déroule David Terrier, invité de l'After foot lundi.

La santé économique plutôt que la santé des joueurs?

"Les clubs, leur intérêt, ce n'est pas la santé des joueurs. C'est la santé économique", expose froidement Morgan Schneirderlin, ex-international français, au micro de RMC. Selon l'ancien Mancunien, c'est aussi "la santé mentale des joueurs" qui est "mise à rude épreuve".

Dès lors, l'Alsacien estime juste que "les joueurs commencent à protester". Mais il redoute la réaction de leur employeur. "Rodri a dit: on va peut-être faire grève. Il va aller devant le club et le club va lui dire: tu fais grève, on perd 20% de nos revenus si tu ne joues pas tant et tant de matchs. Donne-nous ton contrat et on t'enlève 20%. Ça va être un cheminement qui va être difficile", anticipe-t-il.

À l'échelle de la Ligue 1 et de la Ligue 2, "c'est difficile de trouver des compromis à travers le dialogue social. Je le dénonce: ça n'existe pas. On n'arrive pas à discuter. On ne fait rien avancer en France", souligne pour sa part David Terrier.

Le rôle de l'entraîneur dans la rotation

Dans un contexte de multiplication de nombre de matchs, Morgan Schneiderlin affirme que "le rôle de l'entraîneur va être de plus en plus important". Et l'ancien milieu de terrain d'illustrer son propos: "Je suis Manchester City. J'ai un groupe de 25 joueurs. Rodri, tu sais quoi? Tu vas être sur le banc, prends trois jours avec ta famille".

Sur le banc de l'Inter, Simone Inzaghi est contraint de s'adapter. "Nous savons qu'il y a beaucoup de matchs et nous, les entraîneurs, en sommes conscients. Je peux dire que préparer ces matchs pour un entraîneur est beau et excitant, nous savons que la télévision est l'une des raisons pour lesquelles nous gagnons beaucoup d'argent. (...) On sait que nous avons commencé la préparation en juillet et que nous terminerons la saison fin juillet avec le Mondial des clubs", a déclaré le technicien à la tête de l'Inter à la veille du match contre Manchester City.

Conscient des "problèmes" causés par le calendrier, l'Italien sait qu'il "devra alterner un maximum de joueurs". "Aujourd'hui il n'y a pas Dimarco et Arnautovic, mais depuis deux ans on a l'habitude d'avoir des rotations parfois limitées", regrette-t-il.

"Si les organisateurs qui décident ne s’imaginent pas que les joueurs vont se blesser parce qu'ils jouent trop, alors on a un problème", alerte Carlo Ancelotti, l'entraîneur du Real Madrid. "J'aimerais qu'ils baissent le nombre de matchs pour avoir des compétitions plus attractives."

Une plainte de la Fifpro

Selon David Terrier, les cadences ont d'ores et déjà un effet sur la qualité des rencontres. "Il y a des entraîneurs européens, au plus haut niveau, qui mettent en place des stratégies mettant une intensité maximale en première mi-temps pour essayer de mener 1, 2 voire 3-0 pour faire une passe à dix derrière en deuxième mi-temps."

"On est en train de tuer le football", s'alarme celui qui briguera bientôt la tête de l'UNFP. "On doit réguler ça".

En ce sens, la Fifpro a déposé cet été une plainte contre la Fifa devant le tribunal de grande instance de Bruxelles, dans l'espoir qu'il saisisse la Cour de Justice de l'Union européenne. Une autre procédure, portée par "les ligues et les syndicats de clubs", a également été orchestrée, précise David Terrier.

Dans le détail, ces plaintes visent à contester "la légalité des décisions de la Fifa de fixer unilatéralement le calendrier des matchs internationaux et, en particulier, la décision de créer et de programmer la Coupe du monde des clubs".

Sur le ton de l'humour, Manuel Akanji a un jour avancé l'idée d'une retraite anticipée, à 30 ans, pour protéger son organisme. "C'est très dur", soulignait l'international suisse de Manchester City. "On ne pense pas seulement à cette saison, mais aussi à la suivante. Disons que nous gagnons le championnat ou la coupe, puis nous allons en finale de la Coupe du monde des clubs ; le Community Shield a lieu trois semaines plus tard. Quand aurons-nous des vacances?"

Article original publié sur RMC Sport