"Il est mort pour moi": pourquoi la signature de Klopp chez Red Bull provoque un tollé en Allemagne

Jürgen Klopp (57 ans) était pour eux le gardien du temple, l'un des derniers vestiges d'une époque, le garant d'une certaine idée du football, le visage rassurant de cette industrie à l’ère du foot business.

Un entraîneur proche des supporters. Un coach capable d’assumer des positions fortes contre les instances internationales, de pester contre les horaires de diffusion des matchs déterminées par les chaînes de télévision.

Quand la nouvelle de son arrivée chez Red Bull, qui souffre d’une image très négative en Allemagne, en tant que grand architecte de la stratégie football du groupe a été officialisée, les supporters et les médias allemands sont tombés de très haut.

Les grands titres de la presse allemande ne l’ont d’ailleurs pas raté dans les jours qui ont suivi, à commencer par Der Spiegel, qui a évoqué cette semaine un malaise palpable, notamment à Dortmund, où il est devenu un héros. L’ancien coach du BVB était encore acclamé par plus de 80.000 supporters cet été à l’occasion du jubilé de deux de ses anciens joueurs, au Westfalenstadion.

Aujourd'hui, c'est l'incompréhension qui prévaut! "Je n'ai toujours pas compris, s’est agacé Kevin Grosskreutz, son joueur à Dortmund entre 2009 et 2015. J'espérais qu'il s'agissait d'un faux message. C'est un choc. En tant que supporter je ne veux plus le voir devant la Südtribune. Lorsque nous nous verrons, je lui dirai qu’il fait de la merde."

"Le football est mort", "Il est mort pour moi", "ça me rend malade": pour les supporters du Borussia Dortmund, Jürgen Klopp s’est vendu à tout ce que le football allemand exècre, détruisant par la même occasion son héritage.

En rejoignant le groupe Red Bull, Klopp aurait en quelque sorte signé un pacte avec le diable, épousé un modèle économique qui va à l’encontre des traditions, considéré en Allemagne comme une menace pour l’identité et la culture du football.

Le RB Leipzig a toujours suscité énormément d’animosité en Bundesliga. Depuis dix ans que le club est arrivé au plus haut niveau, les actes malveillants n’ont jamais cessé, même si leur intensité a diminué avec le temps.

Rejeté par les "Traditionsverein", ces clubs emblématiques allemands forts d’une histoire et d’un ancrage culturel importants, le RB Leipzig a connu un succès fulgurant et a été propulsé en quelques années seulement de petit club modeste de la banlieue de Leipzig (le SSV Markanstädt) au sommet de la Bundesliga (vice-champion en 2017 et 2020) et du football européen (demi-finaliste de la Ligue des champions en 2020), dopé par les centaines de millions d’euros injectés par le groupe Red Bull.

Le tout en étant accusé de s’affranchir de certaines règles intelligemment contournées (la loi allemande interdisant le naming des clubs de football, la loi du 50+1, conçue pour garantir que les membres du club conservent le contrôle…).

Tout en se qualifiant de "traditionaliste" à l’époque, Jürgen Klopp avait défendu le modèle Red Bull dès 2022: "Je trouve que Leipzig n'a rien enlevé aux clubs traditionnels, ils ont juste suivi leur propre chemin. "Ils ne gagnent pas plus d'argent que Dortmund ou le Bayern. Ils développent de jeunes joueurs. L'idée est avant tout une question de football et non d'argent."

Le retour aux affaires de Jürgen Klopp chez Red Bull n’a pas été une surprise pour tout le monde, notamment ceux qui avaient en tête ces déclarations ou qui avaient pu échanger avec lui ces dernières semaines, et savaient ce qu’il se tramait en coulisses. "Ce n'est pas une surprise pour moi car nous en avons parlé personnellement", a déclaré le directeur général du BVB Hans-Joachim Watzke à l’agence de presse allemande spécialisée dans le sport, Sport-Informations-Dienst (SID).

Parti de Liverpool à l'issue de la saison 2023-2024, Jürgen Klopp ne souhaitait pas retrouver un poste d'entraîneur aussi exposé. Il ne comptait plus entraîner tout court, épuisé par 23 années passées à entraîner des clubs de football de très haut niveau (Mayence, Dortmund, Liverpool). L’Allemand était toujours aussi catégorique fin juillet, à propos de son avenir sur un banc. Il n’était pas question pour lui de rempiler. "Je n’ai pas décidé d’arrêter sur un coup de tête, c’était une décision globale", rappelait-il devant l’Association allemande des entraîneurs de football à Würzburg.

La rupture de ce break pour se plonger à corps perdu dans ce nouveau projet lui a momentanément causé du tort dans son pays. Les supporters allemands étant attachés à certaines valeurs, la bouderie pourrait durer encore longtemps. Jürgen Klopp pourra toujours se consoler avec le fait que, malgré son mécontentement, Kevin Grosskreutz demeure son ami: "Il est toujours le bienvenu à la maison."

Article original publié sur RMC Sport