Mes Carnets australiens (VIII) - Pouille ne doit en faire qu’à sa tête
Le Français, revigoré aux côtés d’Amélie Mauresmo, s’attaque au plus grand défi de sa carrière : battre le numéro un mondial en demi-finales d’un tournoi du Grand Chelem. Une épreuve avant tout psychologique.
Le fabuleux destin du poulain d’Amélie va-t-il se poursuivre ce vendredi face à Novak Djokovic ? Sur le papier, non. Et pourtant, le désormais protégé d’Amélie Mauresmo a démontré trop de qualités depuis le début du tournoi, à la fois dans le jeu, dans l’attitude, ainsi qu’en coulisses, pour ne pas y croire au moins un peu.
Car dans le même temps, le numéro un mondial, a montré face à deux jeunes loups, Denis Shapovalov et Daniil Medvedev, au troisième tour puis en huitièmes de finale, qu’il ne proposait sans doute pas en ce moment le même rendement que lors de la deuxième moitié de la saison 2018. Et quand on évoque cette période, c’est jusqu’à Bercy, où il s’est incliné en finale, comme au Masters, puis à Doha, juste avant cet Open d’Australie. Trois défaites surprises qui ont très légèrement ouvert la place au doute.
Entendons-nous bien, ni Shapovalov, qui a explosé dans la quatrième manche, ni Medvedev, qui avait tendance à surjouer, n’ont eu raison du numéro un mondial, mais ils ont montré, par séquences, qu’on pouvait bel et bien pousser Djokovic dans les cordes lors de ce tournoi. Le Serbe n’est pas aussi souverain que Rafael Nadal. L’Espagnol avance en bulldozer comme s’il se trouvait à Roland-Garros.
Pour Lucas Pouille, la question est donc de savoir si son retour en forme, et même ses évidents progrès, peuvent équilibrer les choses face aux légers signes de moins bien de Djokovic. Car pour le Français, assuré d’au moins retrouver le top 20 au terme de ce tournoi, si tel est le cas, le match basculera dans un vrai combat. Même si on compare les deux matches (une demi-finale, un Français en forme contre un top joueur), personne ici ne voit Pouille « marcher » sur le Serbe comme l’avait fait Jo Wilfried Tsonga face à Rafael Nadal. C’est l’avis de Nicolas Mahut, qualifié pour la finale du double avec Pierre Hugues Herbert, qui évidemment connait bien Lucas Pouille. « Si Lucas arrive à reproduire ce qu’il a fait contre Raonic, il va forcément lui poser des problèmes ».
Le problème, justement, c’est qu’un joueur de la trempe de Novak Djokovic, six fois vainqueur ici, n’est jamais aussi fort qu’à l’approche du trophée. Il y a chez lui -comme chez Nadal ou Federer- une capacité presque mécanique à hisser son niveau de jeu dès lors que l’enjeu augmente. Mais Pouille, de son côté, croit vraiment en ses chances, parce que pouvant s’appuyer sur des certitudes : son service fonctionne à plein régime; son retour est en net progrès comme l’ont montré les 62% de services retournés face à Milos Raonic; son déplacement est de nouveau vif et léger. Et puis dernier détail, mais ici, tout compte, Pouille a repris son « vieux » cordage Prince, monofilament, qui lui offre plus de contrôle qu’un cordage mixte avec du boyau.
Le fait que les deux joueurs ne se soient jamais rencontrés ajoute à ce léger mystère. Comment les jeux de Djoko et Pouille vont-il se « marier » ? Le Français va-t-il partir à l’abordage face au meilleur défenseur du monde ? Le Serbe peut-il essayer de prendre l’échange à son compte afin de ne pas laisser Pouille imprimer sa puissance ?
Amélie Mauresmo, qui a « affronté » Djokovic dix fois par l’intermédiaire d’Andy Murray, dit avoir son idée sur la façon dont il faut procéder mais n’a évidemment pas voulu en dire plus. Son adjoint, Loïc Courteau est plus disert. Et place le débat avant tout sur le plan mental. « Il va falloir qu’il ne surjoue pas, sinon, il va se faire bouffer. Qu’il arrive à poser son jeu avec confiance. Le sport à ce niveau-là, ce n’est que du mental. Il doit se dire qu’il ne joue pas contre un adversaire, ni contre lui-même, mais qu’il joue avec ses armes et ses forces. » Comme il avait su si bien le faire à l’US Open en 2016 lorsqu’il avait estourbi Rafael Nadal en cinq manches.
Pouille va devoir arriver sur le court confiant, oublier le passé (gommer le discours habituel du « mon tournoi est réussi, maintenant ce n’est que du bonus ») et surtout ne pas se projeter dans le futur. Rien de révolutionnaire, me direz-vous. Mais ça va mieux en le disant. Et ce discours, dont il faut essayer de ne pas sortir, Djokovic le connait par cœur…
A Melbourne Park, Christophe Thoreau