Mes carnets australiens (VII) - Tsitsipas croit en son étoile

Le Grec écrit l’histoire du tennis de son pays. Mais surtout la sienne. Avec un aplomb de champion.

<em>(AP Photo/Mark Schiefelbein)</em>
(AP Photo/Mark Schiefelbein)

Stefanos Tsitsipas est un jeune homme pressé. Il y a un an jour pour jour, il pointait à la 91e place mondiale après avoir passé le plus clair de sa saison sur les tournois Challenger. Le voilà en demi-finales de l’Open d’Australie après avoir battu ce mardi, en quatre sets intenses, Roberto Bautista Agut, l’un des hommes en forme de ce début 2019. L’Espagnol, vainqueur à Doha, avait ensuite remporté ses quatre premiers matches aux forceps dans cet Open d’Australie, éjectant du tournoi en huitièmes de finale, Marin Cilic, finaliste ici-même l’an passé.

Mais on n’arrête pas Tsitsipas. Porté par ses certitudes, il a réussi ce qu’il y a de plus difficile pour un jeune joueur de 20 ans : enchaîner par une nouvelle victoire au lendemain d’un exploit majuscule, celui d’avoir battu Roger Federer, idole de son enfance et double tenant du titre. Face au Suisse, toutes les qualités du Grec, entrainé par son papa au sein de l’Académie de Patrick Mouratoglou, ont éclaté aux yeux du monde, et notamment cette capacité à prendre la balle tôt ainsi que son formidable sens du jeu au filet. « Sa qualité première, ce que j’ai tout de suite vu en lui, c’est que c’est un compétiteur. Cette qualité, qui fait la force des Nadal, Djokovic ou Federer, ça ne se travaille pas. On l’a ou pas », explique Mouratoglou qui avait découvert Stefanos via des vidéos sur YouTube.

Et tout porte à croire que Mouratoglou a raison. Tsitsipas est un « matcheur » comme le montre sa météorique saison l’an passé avec une première finale (Barcelone), une première finale dans un Masters 1000 après avoir écarté quatre joueurs du top 10 (Toronto), avant d’accrocher son premier titre (Stockholm). En novembre, le Grec dont la maman fut une bonne joueuse sous l’ère soviétique, montée à la 162e place mondiale, s’est solidement installé dans le Top 20, à la 15e place. Mais le meilleur était donc à venir…

Le plus impressionnant chez Tsitsipas, c’est son calme et son côté résolu. Déjà meilleur joueur grec de l’histoire, l’enfant d’Athènes semble persuadé de son destin. Comme si ce parcours à l’Open d’Australie était dans l’ordre des choses. Une assurance qui ne plait pas toujours dans le vestiaire, parait-il, où la timidité du Grec ne le pousse pas à aller vers les autres. Ce à quoi il répond que, sur le circuit, les joueurs ont tout de même tendance à vivre par communauté -les Espagnols, les Sud-Américains, etc…- et qu’il est assez seul.

De fait, son meilleur ami est le Chypriote Marcos Baghdatis qui, heureuse coïncidence, a connu les plus beaux jours de sa carrière à Melbourne, l’année où il s’était hissé en finale, en 2006, face à Federer. Tsitsipas devait jouer le double avec lui cette année à Melbourne mais le Chypriote ayant perdu en qualifications du simple, il est rentré en Europe, disputant d’ailleurs cette semaine le tournoi Challenger de Rennes.

Et puis, comme l’explique aussi Mouratoglou, Stefanos « est différent parce que c’est un joueur qui a un monde intérieur riche », rappelant qu’il tient un blog, des comptes Facebook et Instagram avec photos et vidéos (le tout sous un autre nom) et qu’il anime un podcast. « Cela lui permet de s’aérer du tennis » poursuit-il. « Quand je n’ai pas le moral, je tourne des vidéos, et ça m’aide à aller mieux, raconte l’intéressé. Cela me fait réaliser que le tennis n’est pas la chose la plus importante dans le vie et que nous avons tous d’autres talents. Ça me détend ».

Il est difficile de dire si Tsitisipas se sent mieux ici qu’ailleurs. Melbourne est la plus grande ville grecque (hors Grèce) avec près de 50 000 personnes, dont une bonne centaine ont mis une belle ambiance dans les allées du stade ce mardi. Il dit tout de même sentir que les gens l’ont adopté. Sans s’être autant immergé dans sa communauté que ne l’avait fait Baghdatis en 2006, qui passait ses soirées dans le petit quartier grec de la ville, ayant fait d’une institution locale en kebabs, son QG.

La suite de l’histoire portera le sceau de Rafael Nadal, son adversaire en demi-finales. Peur ? Même pas. « J’ai eu le sentiment de n’être pas si loin que ça de lui en finale à Toronto, même s’il a gagné 6/2, 7/6. Je me souviens qu’en retournant aux vestiaires, je me suis promis que je ferai beaucoup mieux la prochaine fois contre lui. » Il n’y a pas de plus belle occasion qu’une demi-finale de Grand Chelem pour ça…

A Melbourne Park, Christophe Thoreau