Kamel Daoud, le roman d’une vie
Lui qui se souvient des amnésiques et des morts a dédié son Goncourt à sa mère, qui ne se souvient plus de l'enfant qu'il était, et à son défunt père, gendarme près de Mostaganem, qui lui adressa ses premières phrases en français, que sa mère ne comprenait pas.
Le perron du restaurant Drouant n'est pas bien haut, mais quand on le foule en vainqueur et qu'on lève les yeux, le regard peut porter très loin, au-delà de la Méditerranée. Le Guyanais René Maran, le Russe Henri Troyat, le Juif lituanien Romain Gary, le Roumain en exil Vintila Horia, le Marocain Tahar Ben Jelloun, l'Afghan Atiq Rahimi, le Sénégalais Mohamed Mbougar Sarr ont tous eu ces regards télescopiques qui disent un long chemin, presque une destinée.
Lundi 4 novembre, parce que Daoud est un homme qui n'oublie ni d'où il vient ni ses blessures, personnelles et collectives, son regard a porté jusqu'aux collines de Mesra. Jusqu'à la cour de ses grands-parents mutiques, où sa grand-mère rasait son grand-père dans une tendre application. Jusqu'à ces étagères familières aux livres fripés, déchirés, amputés, dont il comblait les vides dans sa tête. Jusqu'à ces rues où son père, enfant, se levait en pleine nuit pour aller trimer chez le colon du coin. Jusqu'à cette famille qu'il faut quitter pour ne pas tout à fait la haïr, jusqu'à ce village dont on s'arrache comme d'un doux et lent mouroir.
« Le petit villageois que je suis »
Lundi, son regard a refeuilleté ses premiers livres en français, cette langue [...] Lire la suite