JO 2024: "La réalité te saute à la figure ici", pourquoi l’athlétisme français déçoit encore plus que prévu
L’écrin violet du Stade de France s’est mis au diapason des autres sites olympiques avec une ambiance surchauffée lors des épreuves d’athlétisme. Mais le public français n’a pas encore vraiment eu l’occasion de se chauffer la voix sur les exploits français. Les séries et les repêchages, comme celui de Raphaël Mohamed qualifié pour un petit centième pour les demi-finales du 110m haies, sont les rares occasions d’exulter pour l’un des leurs. Pour les finales, il faudra repasser. Thibaut Collet à la perche, ou Alexandra Tavernier au marteau se sont manqués. La porte-drapeau Mélina Robert-Michon a elle connu une finale difficile au disque avec une 12e place.
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"Ce n’est pas pour rien s’ils se loupent autant en séries"
"On a un bilan négatif dans le sens où les mecs ne sont pas à leurs niveaux", constate Pierre-Ambroise Bosse, champion du monde du 800m (2017). "Ça donne l’impression qu’ils ont la pression négative. C’est en-deça des attentes, c’est factuel." L’ancien spécialiste du double tour de piste sent la délégation inhibée par la ferveur du Stade de France. "C’est un chaudron enflammé, le public français est très chauvin, particulièrement pendant cette édition et j’ai l’impression que ça ne leur réussit pas", poursuit-il. "C’est peut-être dû au fait que ce soit la deuxième semaine et qu’on a déjà plein de médailles, ils sont très attendus. On sait que le sport roi des Jeux c’est l’athlé et ce n’est pas pour rien s’ils se loupent autant en séries. Certains se sont ramenés avec une sorte de désinvolture, une défaite acceptée. Vous êtes aux JO les gars, vous pouvez vous louper mais en signant votre record personnel à la clé ou votre 'season best' (meilleur temps de la saison) au moins, ce qui n’est pas le cas pour la plupart."
Eliminé en repêchages du 200m, Pablo Matéo reconnaît avoir un peu croulé sous le poids de l’évènement. "On a une pression à part pour ceux qui n’ont jamais fait les Jeux", a-t-il confié ce mardi. "Hier (lundi), j’étais stressé de fou, c’était une dinguerie. C’est pas le public, plus le fait de ne pas vouloir me rater et je me suis raté."
Tual, meilleure chance de médaille?
Le problème dépasse le cadre de l’ambiance pour cette équipe de France arrivée sans véritables têtes d’affiche après le forfait de Kevin Mayer ou la non-qualification de Renaud Lavillenie. Sur le papier, Gabriel Tual, fait office de meilleure chance de médaille sur le 800m (séries mercredi, finale samedi), et c’est à peu près tout avec Cyréna Samba-Mayela au 100m haies. Une maigre densité qui interroge après des championnats d’Europe réussies avec 16 médailles dont quatre en or, en juin à Rome.
"Il y a un manque de compréhension de ce qu’est le très haut niveau olympique", note Renaud Longuèvre, ancien entraîneur de Ladji Doucouré. "Si les gens arrivent un peu rassasiés en se voyant beau parce qu’aux championnats d’Europe, on leur a envoyé des messages comme quoi l’équipe de France était retrouvée, non. Parce que la réalité te saute à la figure ici. La réalité olympique est extrêmement dure. Les médailles sont extrêmement couteuses aux JO."
"Si tu n’appréhendes pas ce côté-là, en te voyant un peu trop beau, le boomerang arrive dans tes dents."
Pour le moment, les Bleus se satisfont de la place de finaliste de Rénelle Lamote sur 800m, la première de sa carrière. Cette jolie performance soulève une autre question: la préparation des athlètes. Blessée au tendon d’Achille, Lamote a fait l’impasse sur les championnats d’Europe, arrivant avec une certaine fraîcheur aux Jeux. D’autres sont en revanche arrivés bien plus entamés physiquement après avoir enchaîné les courses comme Alexis Miellet, champion d’Europe du 3.000m steeple mais contraint de faire les championnats de France blessé pour remplir les conditions de qualification de la Fédération française.
"C'était un moment où il aurait dû récupérer un peu et soigner sa blessure pour l’amener à son pic de forme aux JO... où il se retrouve en méforme", constate Bosse. "Il n’a pas été capable de suivre un rythme qui ne l’effraie pas normalement." Le Dijonnais, à court de forme, a été éliminé en série. Ce mardi matin, Agathe Guillemot, qualifiée pour les demi-finales du 1.500m a aussi pointé du doigt cet enchaînement épuisant.
"Les Français vont moins se confronter avec les meilleurs"
"Le niveau est dur, ce ne sont pas des championnats d’Europe", a confié la Bretonne. "On sort des Europe, on est galvanisé, tout est plus facile, là, c’est un niveau mondial. En séries, c’était même plus dur que la finale des Europe que j’ai faite à Rome. Il faut être à son meilleur niveau, on est mi-août, il y a des gens qui ont beaucoup couru pour se qualifier aux Europe. Quand les critères de sélection sont aussi durs, on s’épuise parfois à les faire mais ce sont les Jeux, on connaît les règles, on joue avec."
Si l’athlé tire la langue, ce pourrait aussi être en raison de changements à la tête des Bleus avec l'arrivée de Patrick Ranvier comme directeur technique national en décembre 2021 après le départ de Florian Rousseau et celle de Romain Barras comme directeur de la haute-performance de l’athlé. "Depuis leur arrivée, il y a cette stabilité mais ce n’est que deux ans avant les JO, ce n’est pas facile pour eux", estime Longuèvre. Selon lui, le duo n’a pas encore eu le temps d’insuffler une dynamique vertueuse comme avait su le faire Ghani Yalouz, ancien DTN, aux JO de Rio en 2016.
"Il avait su partir des JO de Pékin plutôt très moyens et enclencher une dynamique sur les championnats d’Europe de Barcelone et une fois qu’il avait saisi le truc, ça ne faisait que monter", poursuit Longuèvre en faisant référence à la présence plus régulière de Français dans les grands rendez-vous mondiaux à l’époque. Ce qui est moins le cas aujourd’hui:
"C’est ce qu’on disait avec Renaud Lavillenie: on met une pression de médaillables à des gens qui n’ont jamais rien fait."
"Thibaut Collet et Sasha Zhoya, c’est 5e et 6e sur un championnat du monde et on leur la même pression que celle qu’on mettait sur les épaules de Mahiedine Mekhissi à Tokyo qui avait déjà deux médailles au compteur."
"La confiance qu’il faut pour réussir dans un stade olympique, tu la gagnes en Ligue de Diamant et dans les championnats mondiaux qui précèdent", insiste-t-il. "Tu affûtes tes athlètes aux championnats du monde à Eugene (2022), à Budapest (2023, une seule médaille français avec l'argent du 4x400m masculin), qui étaient les deux seules fenêtres de cette équipe fédérale. Toute ta stratégie de préparation doit passer par ces moments-là et la Ligue de Diamant. Renaud Lavillenie a le sentiment que les Français sortent moins qu’avant, vont moins se confronter avec les meilleurs, vont moins chercher à aller en Ligue de Diamant. Oui, c’est vrai que ce sont des trajets en avion qui sont coûteux mais c’est là que tu gagnes ta confiance, que tu construis ta réussite olympique." Qui n’est, pour le moment, pas vraiment au rendez-vous.