JO 2024: quels messages politiques autorisés pour les athlètes pendant la compétition?

Le conflit entre Israël et le Hamas va-t-il s'inviter pendant les Jeux olympiques? Alors que la cérémonie d'ouverture des JO de Paris 2024 s'est tenue vendredi 26 juillet, la présence d'athlètes israéliens sous leurs couleurs -tandis que les athlètes russes doivent concourir sous bannière neutre- a fait débat cette semaine, le député LFI Thomas Portes assurant qu'ils ne sont "pas les bienvenus à Paris".

Si Emmanuel Macron a appelé lundi en faveur d'une "trêve politique et olympique" pendant l'événement, entre la situation au Proche-Orient ou la guerre en Ukraine, certains athlètes pourraient décider de prendre position politiquement pendant la compétition. Mais quels messages ou gestes sont autorisés?

"La charte impose la neutralité politique"

Au-delà des exploits sportifs, l'histoire des Jeux olympiques est marquée par diverses prises de position de la part d'athlètes. Parmi elles, l'image des deux sprinters américains Tommie Smith et John Carlos poings gantés de noir levés au ciel pendant leur hymne national pour protester contre le racisme aux États-Unis aux JO de 1968 a marqué les mémoires. Ce geste leur vaudra d'être bannis de l'équipe américaine et d'être interdits à vie de participer aux Jeux olympiques.

Les démonstrations politiques aux JO sont encadrées par l'article 50 de la charte olympique. "Aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique", dit le texte.

"L'article 50 est clair, il impose la neutralité politique et religieuse", analyse pour BFMTV.com Jean-Baptiste Guégan, expert en géopolitique du sport et enseignant à Sciences Po.

L'objectif? Garantir la neutralité et le bon déroulé du plus grand événement sportif du monde. "Il y a la volonté de faire des Jeux hors du temps et de l'espace", explique Carole Gomez, assistante diplômée en sociologie du sport à l'Institut des sciences du sport de l'université de Lausanne, auprès de BFMTV.com.

"C'est sa garantie pour prospérer et c'est ce qui lui a permis de traverser le siècle précédent, et ses conflits" dont deux guerres mondiales, explique-t-elle.

S'y ajoute un intérêt économique pour le Comité international olympique (CIO). Chaque édition des JO implique de nombreux sponsors et doit permettre de financer les différentes fédérations pour la prochaine olympiade.

Les messages "positifs" seuls autorisés

Concrètement, il n'est pas interdit pour les athlètes de porter des messages pendant les JO, mais ils doivent être "positifs", en appelant à "la concorde" ou à être "pacifique" par exemple, souligne Carole Gomez.

Il est notamment interdit de "cibler un pays, un peuple ou une entité", souligne Sylvain Duffraisse, maître de conférence en histoire du sport et des pratiques sportives à l'université de Nantes. En outre, les athlètes ont interdiction d'exprimer toute prise de position dans certains lieux: à l'intérieur du village olympique, sur les lieux des épreuves ou sur les podiums.

Ils peuvent à l'inverse s'exprimer en zones mixtes, y compris lors d'interviews, pendant les conférences de presse ou auprès des médias de façon générale, lors des réunions d'équipe ou sur les réseaux sociaux, indique le CIO.

Un assouplissement voté en 2020

Ces règles, si elles sont contraignantes et limitent fortement les messages possibles et leur portée, signent un assouplissement de la charte olympique.

En 2020, la question de l'engagement des athlètes sur des causes politiques ou sociales agite le monde sportif, plusieurs sportifs revendiquant notamment le droit de pouvoir poser le genou à terre contre le racisme. Le CIO décide de consulter plus de 3.500 sportifs issus de 185 comités nationaux olympiques et de 41 sports différents sur une potentielle évolution à ce sujet.

Une majorité d'entre eux vote en faveur d'une plus grande "expression" pour les athlètes pendant la compétition, tout en sanctuarisant les lieux de compétition.

"En devenant olympiens, et grâce à la plateforme qu'offrent les Jeux Olympiques, notre visibilité et notre portée au sein de la société sont amplifiées au-delà des 16 jours des Jeux. Nous pensons que l'exemple que nous donnons en concourant avec les meilleurs du monde, tout en vivant en harmonie dans le village olympique, est un message positif unique à envoyer à un monde de plus en plus divisé", soutiennent-ils dans un communiqué.

Une "petite marge" pour les athlètes

Carole Gomez soutient que la décision permet également au CIO de "montrer qu'il est ouvert aux critiques".

Sylvain Duffraisse y voit aussi une façon pour le comité de "ne pas se couper du public jeune" qui est sensible à l'engagement des athlètes sur certains débats de société ou questions politiques. Cela tout en favorisant "le spectacle" et en essayant de ne pas créer un événement "clivant".

Cela offre une "petite marge" aux athlètes, selon le chercheur, "tout en évitant une interdiction totale".

Pas de quoi toujours stopper les athlètes

Si la règle est claire et qu'ils encourent des sanctions, les athlètes n'ont pas hésité aux derniers Jeux olympiques d'été à Tokyo en 2021, à passer outre les limites imposées par le CIO. C'était le cas notamment de la lanceuse de poids américaine Raven Saunders qui a levé les bras en croix après avoir reçu sa médaille d'argent. Elle a expliqué ensuite à Associated Press que son geste représentait "l'intersection de toutes les personnes opprimées".

Le CIO a ouvert une enquête, le geste ayant été réalisé sur le podium ce qui est interdit. Les investigations ont ensuite été suspendues, après le décès de sa mère. L'athlète sera finalement suspendue quelques mois plus tard pour une durée d'un an et demi pour dopage.

Durant la même compétition, deux athlètes chinoises, Bao Shanju et Zhong Tianshi, n'ont pas non plus hésité à arborer des pin's à l'effigie de l'ancien leader communiste Mao Zedong, alors qu'elles étaient sur le podium pour recevoir leur médaille d'or.

Là aussi, le CIO a ouvert une enquête. Les deux championnes de cyclisme par équipe s'en sont sorties avec un simple "avertissement" et la promesse de ne pas réitérer leur geste.

"Un sportif est un influenceur avec ses propres médias"

Ces exemples montrent que l'établissement de règles claires n'empêche jamais la prise de position de certains athlètes.

"Aujourd'hui, un sportif est un influenceur avec ses propres médias et des millions d'abonnés. Un passage en conférence de presse ou une story Instagram suffisent pour donner son opinion politique et la rendre virale", explique Jean-Baptiste Guégan. "Si un athlète russe vient au JO, rien ne l'empêche de prendre le micro et de faire un buzz mondial, tout est possible".

D'autant que dans certains cas de figure, les athlètes prennent position de façon discrète, sans expliciter toujours leur geste. À Pékin, en 2008, l'haltérophile polonais Szymon Kolecki était notamment apparu le crâne rasé au lieu de sa chevelure habituelle. S'il n'avait évoqué qu'un geste "symbolique", sans plus de précision, beaucoup l'ont interprété comme une marque de soutien aux moines tibétains, habituellement chauves, réprimés par la Chine.

Des sanctions au cas par cas

Face à ces situations, le CIO marche sur des œufs. "Les sportifs restent des citoyens. Le CIO veut encadrer les pratiques pour sécuriser l'événement, mais ils ne peuvent pas empêcher totalement les uns de parler, les autres d'être obligés de le faire. Le sportif peut être un parfait agent d'influence", explique Jean-Baptiste Guégan.

Si des enquêtes sont régulièrement ouvertes à l'encontre d'athlètes, les sanctions sont variables. "Ça dépend de l'image de l'athlète, du soutien ou non du public, de comment est perçu son geste", estime Carole Gomez.

"En 2016, quand le footballeur américain Colin Kaepernick met le genou à terre pour dénoncer le racisme, il reçoit des menaces", souligne-t-elle. Des années après, le geste est autorisé par le CIO et repris par plusieurs équipes de football féminin à Tokyo, devenu partie intégrante des grandes compétitions de football. "L'idée du CIO c'est de changer ou d'être changé", estime Carole Gomez.

Article original publié sur RMC Sport