JO 2024: le long chemin du breaking jusqu’aux Jeux olympiques
En 2018, à Buenos Aires (Argentine), observateurs et athlètes portent un regard curieux, parfois dédaigneux, sur une petite bande d’athlètes qui n’ont pas complètement les codes olympiques. Nous sommes alors aux Jeux olympiques de la Jeunesse et pour la première fois, le breaking est au programme, comme décidé par le CIO deux ans plus tôt.
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A l’époque, il est alors possible pour les danseurs de candidater en… vidéo pour intégrer les équipes nationales, tant la détection est difficile et le maillage inexistant. La discipline intrigue et permet de "rajeunir" l’esprit de la compétition, alors pourquoi pas l’essayer aux JOJ?
Le scepticisme ambiant n’a alors pas duré longtemps, à en croire Abdel Mustapha. Ce danseur, Dunkerquois, était alors l’entraîneur de l’Equipe de France de l’époque, qui repartira d’Argentine avec une médaille d’argent et le sentiment qu’elle est à sa place: "Les JOJ, ça avait fait un carton. Les gens étaient curieux de voir le break même au sein de l’Equipe de France pluridisciplinaire, certains se posaient des questions et sont devenus supporters."
Estanguet et Bach conquis
La petite graine est plantée, notamment dans la tête d’un certain… Tony Estanguet, patron de Paris 2024, qui avait fait le déplacement. Thomas Bach, président du CIO, apprécie aussi.
"Ça a été une super expérience, c’était nouveau et je suis contente d’avoir pu le vivre avant Paris 2024, se souvient Bgirl Carlota, représentante française à l’époque et toujours là. "Ce qui m’avait impressionné c’était le village, avec pleins de sportifs de différentes disciplines, de différentes nations. Toutes mes camarades de chambre étaient en pôle et pas moi, c’était intriguant."
Alors quand huit mois plus tard, il faut faire les choix des sports additionnels, le comité d’organisation des Jeux de Paris 2024 pense au breaking. Décision validée. Certains râlent, critiquent, s’interrogent. Et ce petit milieu se divise quelque peu. Car le breaking, née aux Etats Unis, dans le Bronx, à la fin des années 60, est avant tout un mouvement culturel que l’on peut lier au hip-hop, au street art, aux graffitis… Une discipline urbaine, qui se déroule en battle entre crews (groupes de danseurs), de manière plus ou moins informelle. Pas de cadre précis, d’organisme de tutelle…
"Ça nous est tombé dessus"
En attendant, il faut accepter ce virage, que certains décident de prendre. Et c’est tout une discipline qui doit mieux se structurer. Il n’existe alors rien de fédéral, cadré, qui permette d’amener vers la performance olympique.
"Ça nous est tombé dessus, avoue Abdel Mustapha, impliqué depuis le départ. "Il a fallu mettre en place des compétitions: championnats régionaux, nationaux, européens et repérer les meilleurs danseurs. C’était un double projet assez compliqué. Il n’existait pas d’équipe de France. Le breakdance n’a pas demandé à entrer aux Jeux. Il y a eu plein de travail de médiation, on avait la pression."
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En parallèle, la Fédération internationale crée alors des Championnats du monde, des étapes semblables à des Coupes du Monde avec un système de points pour se qualifier. Les Fédérations nationales doivent suivre. Il faut détecter les talents et Abdel Mustapha, après avoir parcouru internet pour trouver les vidéos des meilleurs danseurs dans les crews, reçoit des candidatures.
"On n’a pas cherché à le forcer, au contraire, c’est un choix. Pour les premiers athlètes rentrés en liste de haut niveau en 2019, on a eu une surprise: les bboys et bgirls étaient intermittents du spectacle. Donc à cheval entre la création artistique et la volonté de se préparer pour aller chercher des titres, raconte Abdel Mustapha. Certains ont préféré rester dans le milieu artistique, dans des compagnies professionnelles et faire le tour du monde et d’autres voulaient être focus sur le sport à 100%. On a laissé cette liberté." Il précise, quand même, que les compétitions avec médailles et récompense existent déjà alors.
Une entrée à l’INSEP déterminante
La Fédération Française de Danse, elle, crée un programme pour amener vers la performance. "Il a fallu essayer de fédérer cette discipline. Ça n’a pas été facile. Ça a été un gros travail", lâche le président de la Fédération Française de Danse, Charles Ferreira. En 2019, le breaking est reconnu comme sport de haut niveau en France.
Par la suite, une "commission breaking" est créée avec "des actrices et des acteurs, bgirls, bboys, engagés et activistes de toutes les générations dans la culture hip-hop. Ils accompagnent, coordonnent, organisent respectivement des actions artistiques, sportives et culturelles sur le territoire."
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Quelques stages, des compétitions, puis une nouvelle étape est franchie en 2022: à la rentrée, des bboys et bgirls intègrent l’INSEP et se mélangent donc à tous les autres sports olympiques. Ils ont leur salle de danse dédiée et tout ce qu’il faut pour progresser. "Ça apporté beaucoup de discipline et des choses que je n’avais pas en club, de la balnéothérapie, kiné, j’ai rencontré d’autres athlètes", détaille Bgirl Syssy, la meilleure chance française aux JO de Paris. "J’ai vu quelque chose de différent mais ça ne change pas la nature du break, on garde notre culture. C’était vite encadré, très discipliné, je m’entrainais souvent le matin ce que je ne faisais pas forcément".
Bgirl Carlota découvre aussi un nouveau monde: "Ce n’était pas forcément un point très reconnu dans le break, on n’y faisait pas attention, aussi la préparation mentale, les éléments de récupération… Avant les Jeux, le danseur n’avait pas conscience de l’importance du coin à porter à son corps, qui est notre outil de travail. Mais avec nos entraînements on est obligés."
Los Angeles 2028 n’en veut pas
Les bénéfices sont là, même si la discipline, ou l’organisation n’est pas toujours facile à tenir. Certains, comme la jeune Bgirl Syssy, décident de passer du temps dans leurs crews aussi. Bboy Dany Dann, la meilleure chance française, s’entraînait aussi parfois à Bordeaux cette année, tout comme Bgirl Carlota, avec un coach hors du giron fédéral. Il a aussi été décidé d’envoyer des danseurs faire des compétitons qui ne sont pas dans le circuit international pour voir d’autres choses et avoir d’autres confrontations.
Mais au sein de l’équipe de France, tout le monde est content du rendu final: les chances de médailles sont réelles. Et le milieu a accepté, selon Abdel Mustapha: "Au départ c’était pour ou contre, radical. Aujourd’hui les gens comprennent et tout ce qui faisait peur s’est effacé petit à petit. Et il y en toujours qui sont contre et c’est respectable."
Les athlètes essaieront d’enflammer la Concorde et de profiter un maximum car après, il sera trop tard: le breaking ne fait pas partie des sports retenus pour les Jeux de Los Angeles 2028.