JO 2024: "Entre Intervilles et Mario Kart", pourquoi (presque) tout le monde est fou du kayak cross
L’immense tribune de la base nautique de Vaires-sur-Marne avait perdu tout espoir. Puis est venue cette ultime porte, celle où tout a basculé. Quatrième et donc non médaillée au moment d’attaquer ce dernier obstacle, Angèle Hug bloque l’Allemande Elena Lilik et lui fait l’intérieur. De l’autre côté, la Britannique Kimberley Woods, à la bataille avec la Néo-Zélandaise Noemie Fox pour la première place, se manque également et reste plantée dans l’eau. À la surprise générale, Angèle Hug récupère ainsi la deuxième place, qu’elle ne lâchera plus avant la ligne d’arrivée, quelques mètres plus loin.
Tout le kayak cross est ainsi résumé dans cet extrait. Une poignée de secondes où l’on comprend que cette épreuve est définitivement à part. "Ça a été pensé et conçu pour faire du sport spectacle. Je crois effectivement que le résultat est au rendez-vous", savoure Ludovic Royé, Directeur technique national (DTN) de la Fédération française de canoë-kayak.
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"Tu rajoutes une vachette..."
C’est la toute première fois que le kayak cross figure au programme olympique. Depuis le début des éliminatoires, en fin de semaine dernière, les spectateurs et téléspectateurs ont ainsi pu découvrir une discipline à part. Dès le départ, les quatre kayakistes engagés sont projetés d’une rampe située à trois ou quatre mètres de haut. Une fois tombés dans l’eau, s’ensuit une énorme bataille pour s’emparer de la première place. Des différences peuvent être faites à l’une des huit portes placées au fil du parcours, avec notamment deux d’entre elles à remonter à contre-courant, où tous les coups sont permis pour dépasser son adversaire. Sans oublier un autre obstacle que les kayakistes sont obligés de franchir… la tête sous l’eau.
Ce format de course, que le grand public a découvert à l’occasion de ces JO, fait évidemment beaucoup réagir. La plupart du temps de manière très positive, comme en témoignent l’ambiance survoltée qui régnait pour la phase finale ce lundi… ou tous les commentaires que l’on retrouve sur les réseaux sociaux.
"Ils ont inventé Mario Kart dans l'eau avec le Kayak cross. Fabuleux", valide par exemple un internaute sur X.
Les messages comparant cette épreuve à Mario Kart sont très nombreux sur les réseaux sociaux, de même que ceux faisant référence à Intervilles. "Tu rajoutes une vachette et c’est Intervilles le bordel", suggère ainsi un autre téléspectateur.
"Intervilles, je ne crois pas vraiment. Par contre, Mario Kart, oui”, ça peut correspondre, valide le DTN de la Fédération française de canoé-kayak. “C’est une course contre les autres et pas contre la montre et tous les coups sont permis! La seule chose que vous n’avez pas le droit de faire, c’est de blesser. Autrement, les contacts, les poussettes, les blocages… L’ensemble des manœuvres que vous avez sur votre console, vous allez les retrouver sur l’eau."
"J’ai découvert une passion pour la baston"
Comme nous le glisse le DTN, les athlètes ont d’abord été "un peu réticents" à ce format qui bousculait tous les codes. Puis ils se sont vite laissés embarquer. "C’est très différent du slalom mais on a su se prendre au jeu depuis quelques années et on commence à tous se régaler", approuve Camille Prigent, éliminée en quart de finale de l’épreuve olympique ce lundi. "C’est un peu plus dans le jeu, faut toujours être dans l’adaptation… C’est pour ça que c’est un peu plus dur aussi car il y des retournements de situation. Et c’est ce qui fait ce côté fun." Même sentiment chez Angèle Hug, la toute nouvelle médaillée d’argent de la discipline.
"J’ai découvert une passion pour la baston… Et j'adore ça", se marre la Française.
Ce format peut également permettre de devenir un meilleur kayakiste, notamment grâce à l’utilisation de bateaux deux fois plus lourds (18kg pour le kayak cross contre 9kg en slalom). "J’ai énormément progressé physiquement et c’est grâce à ces entraînements dans ce bateau, où t’es obligé d’être puissant dans l’eau pour avancer. Ça m'a beaucoup fait progresser en slalom", confie Camille Prigent.
Ce lundi après-midi, au bord du bassin de Vaires-sur-Marne, un homme savourait tout particulièrement la réussite de ce format: Tony Estanguet. Le président du Comité d’organisation de ces JO, lui-même ancien grand champion de canoë (trois fois champion olympique en slalom) - "Je pense que j’aurais été très mauvais au kayak cross" -, a énormément poussé pour que ce format devienne olympique. "C’était une petite prise de risque pour nous d’avoir ce format de course et on est très contents parce que ça a très bien réagi. Les athlètes et les spectateurs ont adoré", savoure-t-il auprès de RMC Sport. "J’aime bien prendre des risques, c’est aussi le rôle de ces grands évènements, aller là où ne s’attend pas, embarquer les gens vers des choses nouvelles. Il faut que les gens soient curieux dans le sport, le sport doit continuer à se remettre en question et à évoluer."
Inspiré du BMX et du ski-cross
Lorsqu’il était vice-président de la Fédération internationale de canoë-kayak, Tony Estanguet, "sentant qu’il y avait une attente forte des médias sur des formats plus spectaculaires, plus télégéniques", a été chargé de développer un nouveau format du canoé slalom. Pour créer le kayak cross, il s’est inspiré du BMX et du ski-cross. D’abord testé pour la première fois aux Championnats du monde 2017, organisés en France, chez Tony Estanguet à Pau, le kayak cross est ensuite rentré au programme olympique en vue de ces JO de Paris 2024.
"Quand j’ai poussé pour ce nouveau format, je me suis positionné du côté du développement du sport. Notre enjeu en tant qu’organisateur est d’élargir notre audience et d'aller chercher des gens non spécialistes", détaille Tony Estanguet. "Le canoë slalom correspond plutôt à un public spécialiste. Ce n’est pas toujours facile de comprendre les subtilités, les pénalités, les trajectoires… Là, c’est un format en concurrence directe. Le premier qui passe la ligne d’arrivée a gagné, on a le droit de toucher les portes… On a simplifié le format pour le rendre le plus spectaculaire et compréhensible possible." Au regard de ce qu’il s’est passé sur le bassin de Vaires-sur-Marne, le contrat est plutôt bien rempli.