JO 2024 (cyclisme sur piste): la Madison pour les nuls

Et soudain tous les quatre ans, l'espace de 40 minutes, une fois chez les filles, une fois chez les garçons, les vélodromes olympiques se chamarrent de 15 équipes de deux cyclistes dont le but est de marquer le plus de points possibles pour gagner la course. 30 vélos donc sur un anneau de 150 mètres, un capharnaüm géant dans lequel la France arrive à se retrouver parmi les meilleures nations du monde. Chez les filles comme chez les garçons elle prétendra à la médaille.

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Quelques éléments de contexte d'abord. La Madison a été inventée au 19e siècle aux Etats-Unis, et tient son nom du Madison Square Garden où elle s'est disputée pour la première fois à New York. Soucieux de la santé des coureurs qui s'élançaient à l'époque en solo pour des courses de 24 heures, les organisateurs avaient alors décidé de créer ce format en relai, histoire de diviser les efforts par deux. Quelle générosité !

Des sprints intermédiaires et des tours d'avance pour marquer un maximum de points

Il en reste aujourd'hui une course toujours très folle de 200 tours chez les garçons (50 km) et 120 chez les filles (30km) bien plus courte heureusement, durant laquelle chaque équipe de deux coureurs dispose d'un seul coureur actif sur le vélodrome pendant que l'autre récupère à vitesse modérée sur le haut de la piste. Ils peuvent à tout moment se passer le relais par un contact au niveau de la main ou du cuissard.

Leur but, marquer le plus de points possibles lors de sprints intermédiaires disputées tous les 10 tours et rapportant 5, 3, 2 et 1 point(s) aux quatre premières équipes. Les duos ont aussi la possibilité à tout moment de glaner 20 points supplémentaires en partant en échappée et en parvenant à prendre un tour au peloton principal.

"C'est le bordel général, il faut attacher la ceinture"

Vous avez dû vous concentrer pour comprendre ? Alors imaginez les coureurs sur la piste. "La course est composée de trois moments forts, prévient Benjamin Thomas, double champion du monde de la discipline et médaillé de bronze aux JO de Tokyo en 2021 avec Donavan Grondin et qui partagera cette fois-ci l'affiche avec Thomas Boudat. Au début tout le monde est frais dans le peloton et il faut surtout courir juste pour prendre des points au bon moment. Ensuite la deuxième partie de course, c'est là où les stratégies sont les plus importantes. Quant à la dernière partie, c'est le bordel général. Il y en a partout et il faut rester concentré pour faire les choix justes. Mais pour les spectateurs, il faut mettre la ceinture, car ce n'est pas facile à suivre."

Rester concentré malgré la fatigue, voilà donc l'immense défi des coureurs dans le money time, sur les 40 à 50 derniers tours. Une exigence qui se travaille malgré le peu d'Américaines de très haut niveau que disputent chaque année les pistards, tout au plus deux ou trois par an, un peu plus en France grâce à des entraînements grandeur nature comme il y en a eu quelques-uns depuis début juillet lors de la préparation sur le Vélodrome de Roubaix, ceux-là rendu possible par la belle densité de l'endurance française jusque dans les catégories juniors.

Des jeux à l'entraînement pour entraîner sa concentration

A l'entraînement, lors de séances en comités plus restreints, les coureurs comme Benjamin Thomas se voient imposés des exercices pour travailler la concentration sur la piste en dépit de la fatigue. "Parfois, on est à fond derrière un derny, et on nous demande de prendre toutes les infos possibles et imaginables, sourit le Tarnais. Une fois, à la fin d'une séance de lactiques, alors que mon cœur battait la chamade et que j'étais mort, mon coach m'a dit: tu as un tour pour me dire combien il y a de panneaux publicitaires sur la piste. J'ai dit 7, il y en avait 8. Ce sont des jeux bêtes, mais ça permet de s'entraîner à prendre de l'information en conditions difficiles. Tout ça se travaille à l'entraînement."

De quoi permettre donc aux duos de ne jamais perdre le fil pendant les courses. Et pendant que celui en piste gère le tempo, le relayeur en récupération regarde le tableau de marque pour prendre des informations, repère où sont positionnés les adversaires principaux. "Si je vois que mon collègue est dans la roue des Anglais à trois tours d'un sprint intermédiaire explique Benjamin Thomas, je ne quitte pas des yeux son équipier au repos pour savoir comment je vais gérer le sprint face à lui quand on va me passer le relai. C'est une discipline très technique, très spécifique. Il y a des coureurs très forts physiquement, mais qui n'y arrivent pas, car ils n'ont pas le bon timing. D'arriver à prendre la roue au bon moment, lancer le sprint au bon moment. Certains ne sont juste pas fait pour ça."

Communication et confiance, pierre angulaire de la Madison

D'autant qu'au-delà de toutes ces qualités, il existe un facteur ultime faisant la différence entre une bonne et une mauvaise paire de Madison: l'entente sur la piste du binôme. "La confiance en l'autre, c'est vraiment hyper important, juge ainsi Clara Copponi, médaillée d'argent ou de bronze dans la discipline lors des quatre dernières éditions des championnats du monde. Même s'il n'y a pas d'atomes crochus dehors, sur la piste, ma coéquipière a toute ma confiance. On communique beaucoup, on parle tout le temps, le coach aussi nous parle. Vraiment la communication et la confiance, c'est le principal."

Car vu le nombre d'adversaires et de faits de course potentiels, il est hors de question d'établir des plans en avance. Aux mondiaux l'an passé à Glasgow, Clara Copponi avait par exemple établi à l'avance une stratégie avec son équipière Victoire Berteau, mais celle-ci avait explosé en vol. "Même pour prendre un Tour d'avance, cela se fait plus au feeling qu'autre chose", reconnaît la Provençale. "On se parle, on voit où on en est, comment sont les autres... Si je dis à ma collègue, "c'est bon t'es prête, on y va" et qu'elle me répond "attends je ne suis pas ouf", on attend un peu. Parfois c'est mieux d'y aller avant un sprint intermédiaire, parfois après, ça peut tellement changer d'une course à l'autre et en fonction de la coéquipière. On a beau partir avec un plan, ça peut toujours exploser en vol." De quoi faire de la Madison un évènement plein d'incertitudes, et l'une des courses les plus spectaculaires du cyclisme sur piste.

Article original publié sur RMC Sport