JO 2024 (boxe): "Elle a le physique qu’elle a", l'éclairage précieux de la boxeuse française Emilie Sonvico sur l'affaire Imane Khelif
Emilie Sonvico, que pensez-vous de cette polémique autour d’Imane Khelif, engagée dans le tournoi de boxe des Jeux olympiques de Paris 2024?
Je vois que ça prend une proportion incroyable. Même Donald Trump s’en mêle… Moi, j’ai une position assez neutre sur le sujet, puisque je connais les protagonistes depuis plusieurs années. Ça m’attriste qu’on en arrive à de telles extrémités. Pendant une compétition, c’est bien de laisser les athlètes un peu tranquilles, même si je comprends que derrière les gens se posent des questions. Il y a beaucoup d’amalgames. C’est un peu le flou artistique et là ça tombe sur Imane, même si ce n’est absolument pas la seule. Elle est un peu le fer de lance malgré elle. Ça me fait de la peine. Ce n’est pas nécessaire. Elle a le physique qu’elle a, c’est comme ça. C’est déjà suffisamment compliqué pour elle dans la vie quotidienne.
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Imane Khelif n’est pas la seule engagée aux JO de Paris dont le profil suscite des interrogations et des débats?
Non, il y a d’autres boxeuses qui sont exactement dans le même cas, voire dans des cas différents. Imane est née femme, il n’y a pas de débat là-dessus. Il n’y a pas eu de choix de sa part comme d’autres athlètes ont pu le faire. Il y a par exemple une Philippine en -75kg qui a annoncé sa transition sur les réseaux sociaux, c’est de notoriété publique. Ça ne dérange personne. Il y a des cas comme ça en boxe, mais aussi en athlétisme ou en natation. Ce n’est pas quelque chose de nouveau. Ce qui interpelle les gens, c’est le fait que la boxe soit un sport où l’intégrité physique est mise en jeu. Donc ils se posent évidemment des questions.
Avez-vous compris l’abandon rapide de l’Italienne Angela Carini lors de son combat face à Imane Khelif en 8es de finale?
Venant d’elle et connaissant sa réputation, je m’attendais à une telle réaction. On ne va pas se mentir. Et beaucoup d’athlètes sur le circuit s’y attendaient aussi. Personnellement, je ne pense pas que c’est ce qu’il fallait faire. Sur le peu que j’ai vu de la séquence, on fait de la boxe, pas de la danse. À mon sens, elle n’a pas pris de coup suffisamment fort qui justifieraient ça. On a l’impression qu’elle a un peu exagéré. Après, je ne suis pas à sa place. Je ne peux pas être à 100% sûre qu’elle n’a pas pris un coup qui lui a fait très mal. C’est son ressenti à elle. On a tous un niveau de tolérance à la douleur plus ou moins élevé. Angela Carini, je l’ai affrontée beaucoup de fois, c’est une boxeuse qui a quand même de l’expérience.
Après son abandon, l’IBA (la fédération internationale de boxe) lui a offert une récompense comme si elle était championne olympique. Qu’en pensez-vous?
C’est par rapport au CIO (Comité international olympique), parce qu’il y a une guerre intempestive entre les deux instances (l'IBA a été écartée de l'organisation des JO, NDLR) depuis quelques années maintenant. Nous les athlètes, on est en bas, donc savoir précisément ce qu’il se passe… Le CIO a des désidératas, l’IBA en a d’autres. Ils n’arrivent pas à se mettre d’accord. Et j’estime que ce n’est pas ce qu’il y a de mieux à faire de mettre les athlètes au milieu de tout ça. Ils balancent des informations et ils mettent mal tout le monde. Il faut laisser les athlètes tranquilles, faire ce qu’elles ont à faire. Il y a des gens qui sont payés pour réfléchir, qu’ils fassent leur travail. Je ne pense pas que le CIO ait le désir de mettre en danger les boxeuses des équipes nationales. Ce n’est pas du tout dans leur intérêt que quelqu’un se fasse mal ou qu’il y ait des accidents. S’ils ont autorisé Imane à participer, c’est qu’il y a eu très certainement des tests ou des choses qui ont été faites.
Comment avez-vous réagi aux messages postés sur les réseaux par la Hongroise Luca Anna Hamori, qui a qualifié Imane Khelif d’homme avant leur combat?
On s’est affrontées en Hongrie il y a quelque temps. En regardant sur ses réseaux, je suis tombée sur une photo à laquelle je ne m’attendais pas. Je me suis dit que ça va loin. Chaque pays a sa culture, pas de problème, mais l’éducation, c’est pour tout le monde. S’il y a vraiment quelque chose, autant que tout le monde en parle calmement plutôt que de s’envoyer des images interposées. Moi, ça me choque. Ce n’est pas utile. Ça ne nous aide pas. On est aux Jeux olympiques, il y a autre chose à faire que d’envoyer des posts. C’est peut-être aussi une manière de déstabiliser Imane. On a ce côté-là aussi à la boxe, où le mental joue. J’espère qu’Imane se protège et pour connaître un peu les coachs algériens, je pense qu’ils essaient de faire une bulle autour d’elle. Ce n’est pas simple à vivre pour elle et ce n’est pas forcément juste. L’avantage, c’est que le village olympique est quand même fermé. Mais vu que tous les athlètes sont au courant, il doit y avoir des regards et des interrogations. J’espère que tout le monde la laisse tranquille. S’il y a des choses à faire, ce n’est pas aux boxeuses de s’en charger. Il y a des gens qui sont là pour ça, pour nous mettre en sécurité et dire si c’est bon ou pas.
Vous avez affronté Imane Khelif en avril dernier et vous avez perdu, comment s’est déroulé ce combat?
C’était plutôt un combat tactique, à la touche. Rien d’extraordinaire. On avait mis une tactique en place, même ce n’était pas forcément la bonne. Tout simplement. Je n’ai pas reçu de coups qui m’ont mise au sol. Il ne s’est absolument rien passé. On s’est embrassées avec Imane après le combat. On a discuté avec les coachs algériens. On a rigolé comme à chaque fois, parce que ça se passe toujours bien entre nous.
Avez-vous senti dans ses coups une puissance supérieure à celle des autres boxeuses?
Mon style de boxe fait que je prends très peu de coups à pleine puissance. J’espère que ça va continuer (sourire). Dans ma carrière, ce n’est pas la femme qui m’a frappé le plus fort. J’ai rencontré une puncheuse une fois et j’ai vraiment senti le danger. Une puncheuse, c’est un profil à part dans la boxe. Après, bien sûr qu’Imane frappe. On est dans une catégorie assez lourde (-66kg), où toutes les boxeuses sont plus ou moins dangereuses.
A-t-elle vraiment un physique beaucoup plus développé que les autres filles que vous avez affrontées?
Elle a un physique plus masculin que la plupart des femmes, c’est évident. On a tous des yeux, on le voit. Je la connais depuis 2018 et elle a toujours eu un physique plutôt sec. C’est sa morphologie. Elle est plus plate que la moyenne, avec moins de poitrine, mais je n’ai aucun doute sur sa féminité. On se côtoie, on va aux pesées, je l’ai vu en sous-vêtements, c’est une femme. Après, qu’elle ait plus de testostérone ou pas, je n’en sais rien.
Au niveau de sa personnalité, comment vous décririez Imane Khelif en dehors du ring?
Elle a toujours été respectueuse avec moi. Jamais un mot plus haut que l’autre. Je n’ai jamais eu d’accrochage avec elle ou quoi que ce soit. On s’est toujours bien entendues et respectées.
Avez-vous hésité à accepter de combattre face à elle au printemps?
On en a parlé avec le staff et on a pris la décision de faire le match. Mais oui, c’est vrai, on en a parlé, ce serait mentir (de dire l'inverse). Les gens sont dans le flou, mais nous un peu aussi. Certains de mes proches m’ont conseillé de ne pas le faire, mais pour le reste, ça s’est bien passé. Et on s’est quittés sans problème avec Imane.
Depuis quand le cas d’Imane Khelif alimente les discussions dans le monde de la boxe?
C’est quelque chose qui dure depuis un petit moment, comme pour d’autres. Ça éclate maintenant parce qu’il y a une grosse audience médiatique, avec les caméras du monde entier, donc ça se voit plus. Mais ce n’est pas nouveau dans la boxe féminine. Angela Carini n’a pas découvert Imane Khelif il y a quinze jours. Ça fait des années qu’on se connaît.
Comment peut-on éclaircir cette situation et stopper cette polémique?
C’est aux instances de clarifier. Mais c’est compliqué... Certaines personnes ont leur avis et ils vont rester dessus.
Voir Imane Khelif combattre aujourd’hui dans les catégories féminines, ça ne vous pose pas de souci?
Non, à partir du moment où ils ont estimé que c’était possible et qu’il n’y avait pas de danger. À très haut niveau, il y a aussi une part de génétique. Certains ont des caractéristiques naturelles qui font qu’ils ont de base des capacités physiques au-dessus de la normale. C’est comme ça. Certains athlètes peuvent s’entraîner toute leur vie, ils ne courront jamais aussi vite qu’Usain Bolt.
Certains se demandent si Imane Khelif est androgène, hyperandrogène ou en transition…
Très sincèrement, c’est elle la seule qui peut répondre à ça, si elle en a envie.
Pensez-vous que cette polémique va l’inciter à dévoiler les tests qu’elle a effectués, pour apporter une réponse médicale?
Je n’en sais rien. Il faut lui demander, mais je comprends qu’on n’ait pas envie de dévoiler ses tests médicaux devant la planète entière.
Avez-vous déjà passé des tests d'éligibilité de genre depuis le début de votre carrière?
Oui, ça m’est arrivé. Durant un tournoi, des coachs se un peu plaints de certains cas et le superviseur qui gérait n’était pas sûr. Donc on a eu droit à un test simple. Je suis arrivée un matin à la pesée et sans me prévenir avant, on m’a demandé de baisser mon pantalon et on a regardé, quoi. Je n’étais pas en joie derrière... Quelque part, c’est un peu humiliant. Le lendemain, je suis arrivée en brassière pour qu’on ne me demande pas si j’étais une femme. Qu’ils fassent les tests à toutes les filles pour des raisons d’équité, je le comprends. Mais ça m’a surprise qu’on ne m’ait pas prévenu avant.
Et concernant les tests hormonaux?
Je ne peux pas vous dire parce que ça ne m’ait jamais arrivé. Personne n’a jamais eu de doute sur moi. Ces tests-là ont lieu à partir du moment où plusieurs personnes parlent et se plaignent. Dans ce cas, ils préfèrent vérifier.
Y a-t-il des différences entre les tests effectués par le CIO et ceux de l’IBA?
Je ne sais pas. C’est ce qui entretient le flou, parce qu’on ne sait pas vraiment ce qu’ont fait l’IBA et le CIO. Et ce flou artistique entraîne des comportements déviants derrière.
Si l’IBA interdit à Imane Khelfi de combattre, ils doivent se baser sur des données concrètes…
C’est ce qu’on se dit. Je pense qu’ils se basent sur quelque chose qui leur est propre. Mais nous, les boxeuses, on n’en sait pas plus.
La boxe féminine doit-elle profiter de cette polémique pour modifier ses règlements?
Ils ont peut-être besoin de ratifier et d’écrire les choses noir sur blanc. Les cas dont on parle en ce moment aux Jeux se passent dans beaucoup d’autres pays aussi. Il y a des cas un peu partout. Si ça peut faire jurisprudence, peut-être que ça les aidera pour la suite.
Faut-il créer de nouvelles catégories mixte ou transgenre?
Intellectuellement, je comprends l’idée. Après, il faut voir si c’est faisable au niveau de la logistique et de l’organisation. Si c’est envisageable, pourquoi pas. Tout le monde doit pouvoir faire du sport. Ça permettrait d’apaiser les tensions en tout cas, c’est certain.