JO 2024 (athlétisme): comment expliquer l’explosion du sprint africain, incarné par Tebogo
Letsile Tebogo a signé une nouvelle victoire symbolique quelques heures après être entré dans l’histoire. Jeudi, le Botswanais est devenu le premier Africain de l’histoire à remporter un sacre olympique sur le 200m. Vendredi, il était de nouveau sur la piste du Stade de France pour aider le relais 4x400 m à se qualifier en finale en signant le meilleur temps des séries (2’57’’76). Devant les Américains, 3es, comme ce fut le cas de Tebogo jeudi face à Kenneth Bednarek et Noah Lyles.
"Dans les années qui viennent, on verra des très grands sprinteurs africains"
"Nous avons battu les Américains, ce qui est l'objectif", lance Busang Collen Kebinatshipi, deuxième relayeur. "Maintenant, nous allons récupérer pour la finale demain (samedi) et courir plus vite qu'aujourd'hui." Le Botswana, pays enclavé de 2,7 millions d’habitants situé au nord de l’Afrique du Sud, se positionne lors de ces JO comme le fer de lance d’un sprint africain en plein renouveau avec huit représentants en demi-finales du 100m et du 200m. Ils étaient deux en finale sur la ligne droite (le Sud-Africain Akani Simbine, 4e en 9’’82 et Letsile Tebogo, 6e en 9’’86), et trois jeudi sur 200m (Tebogo donc et les Zimbabwéens Tapiwanashe Makarawu et Makanakaishe Charamba).
"Nous progressons bien", poursuit Kebinatshipi. "Des projets comme Letsile, il y aura encore beaucoup dans les années à venir." Renaud Longuèvre, incontournable entraîneur de l’athlétisme français qui s’est notamment occupé de Ladji Doucouré, s’attend aussi à cette montée en puissance.
"Dans les années qui viennent, je pense qu'on verra des très grands sprinteurs africains", prédit-il. "On était plutôt habitués à voir les Africains briller sur le demi-fond ou sur le fond. Maintenant, et c’est pareil au Kenya avec Ferdinand Omanyala (éliminé en demi-finale du 100m), ce sont des pays qui sont en train de faire un gros travail de développement. Le Kenya, par exemple, a accueilli les championnats du monde juniors. Ce sont des facteurs qui favorisent le développement de toutes les épreuves. Des pays qui étaient ultra spécialisés dans un domaine ont su utiliser les résultats de pointe de certaines épreuves. Par exemple, le Kenya grâce au demi-fond a injecté des moyens sur d'autres épreuves."
Des fonds injectés mais des infrastructures encore insuffisantes
Alex Isaboke Ogutu, journaliste kényan croisé sur les épreuves d’athlétisme au Stade de France, note aussi ce virage impulsé en Afrique, et notamment dans son pays avec Ferdinand Omanyala, recordman d’Afrique depuis 2021 (9’’77). "Il a montré aux Kenyans que nous avions des sprinteurs", explique-t-il. "Ils ont donc investi plus d'argent maintenant dans les sprints par le biais du Comité national olympique du Kenya et le fonds de solidarité olympique. Ils utilisent cet argent pour envoyer des sprinteurs à Miramas, dans le sud de la France. Ils y sont restés les deux dernières années. Mais les ressources ne sont pas si nombreuses. Pour qu’un sprinteur soit bon, il faut courir dans les ligues de diamant, par exemple, ou dans les ligues continentales, il faut être très régulier. Et pour courir dans ces ligues de diamant, il faut de l'argent. Parfois, ces athlètes n'ont pas les ressources pour venir courir dans ces grandes courses."
Selon lui, le Kenya n’a pas encore suffisamment de moyens malgré les récents efforts déployés. "Si nous les avions eu ces ressources, Ferdinand Omanyala aurait dû être médaillé", estime-t-il.
Dans une interview à NBC, Tebogo partageait récemment le même constat. "Je pense qu’il faudrait avoir quelques pistes indoor en Afrique et ensuite créer l’une des meilleures pistes dans l’un des pays afin que nous puissions avoir un lieu pour nous réunir", avait-il lancé. Cela ne l’a pas empêché d’inscrire le Botswana et tout un continent sur la carte du sprint, quelques mois après être devenu le premier médaillé Africain sur 100m aux Mondiaux. "Ça représente beaucoup pour le continent africain: maintenant, on voit que l'Afrique existe sur la carte du sprint, il fallait que le message soit clair et net", a lancé la pépite de 21 ans.