Jeux paralympiques: Tracy Otto, la revanche d'une miraculée, laissée pour morte par son ex-compagnon

Tracy Otto est une miraculée. L'emploi de ce terme est bien souvent galvaudé mais pas dans son cas. Le 24 octobre 2019, l'Américaine de 28 ans a frôlé la mort de la main même de son ex-petit ami, qui lui a laissé le corps criblé de stigmates.

Presque cinq ans plus tard, elle apprend sa sélection pour les Jeux paralympiques de Paris. La bonne nouvelle lui vient de la bouche de son compagnon, Ricky Riessle. "Quand il me l'a annoncée [la nouvelle], j'étais en train de manger. J'avais de la nourriture dans la bouche. Je mangeais et je pleurais et il y avait des caméras partout", relate-t-elle, émue, à la BBC.

Aux Invalides, la jeune femme participe cet été aux épreuves de para tir à l'arc de la catégorie W1. Si son aventure en simple à pris fin samedi 31 août face à une Chinoise en quart de finale, elle est toujours engagée en double mixte. Avec son compère Jason Tabansky, elle prendra part mardi à un nouveau quart de finale, face à l'Italie cette fois.

Équipée d'un harnais conçu sur mesure, Tracy Otto a la particularité de tirer ses flèches en utilisant à la fois ses mains et sa bouche. Paralysée de la poitrine au bas du corps, elle ne dispose que d'un usage réduit de ses bras et ses mains. L'Américaine a également perdu l'usage de son œil gauche et souffre de séquelles aux intestins et à la vessie. À ces handicaps lourds, s'ajoute une impossibilité pour son corps de se réguler correctement la température de son corps et à suer.

"Un bruit sourd"

Une rupture a fait basculer la vie de Tracy Otto. En ce triste mois de septembre 2019, elle se sépare de l'homme qui partage sa vie, en Floride. Il vient de se montrer violent à son égard. C'est la goutte de trop pour elle. Elle le met dehors et fait changer les serrures.

Un mois s'écoule. La jeune américaine a rencontré Ricky Riessle. Elle s'apprête à ouvrir avec lui un nouveau chapitre de sa vie. Le jour de l'agression, elle passe la soirée avec son nouveau petit ami. Elle s'endort.

Quand "tout à coup, j'entends un bruit sourd", raconte-t-elle à nos confrères anglais. La lumière d'une lampe torche est braquée en direction de son visage. "Je ne comprends pas ce qu'il se passe. Après, j'ai entendu sa voix et compris que c'était mon ex", reprend-elle.

Un pistolet à plomb, un couteau et une paire de menottes

L'homme s'était garé devant la maison. Il quitte les lieux et revient muni d'un pistolet à plomb. "Il a fait le maximum pour avoir un vrai pistolet avec un couteau et une paire de de menottes", rembobine la para ahtlète.

L'individu s'introduit par effraction et réveille le couple. "Il nous hurle dessus pour qu'on sorte du lit. Il nous dit qu'il va nous tuer et que s'il ne se tue pas, il appelera la police." La suite n'est pas très claire dans son esprit. "Mon cerveau a en quelque sorte tout maintenu hors de ma mémoire", image-t-elle.

Le récit de l'agression proposé par la BBC est terrifiant. D'abord, l'individu assène plusieurs coups de poing à Tracy Otto. Puis tire sur Ricky Riessle à deux reprises dans le visage avant de le poignarder dans le dos, causant un affaisement pulmonaire.

L'homme se saisit ensuite de nouveau de son pistolet et tire dans l'œil gauche de celle dont il partageait le domicile encore un mois auparavant. Il l'a poignarde dans le bas du cou et lui inflige une agression sexuelle.

"Il finit par appeler la police de lui-même et dit: 'Voici mon nom, voici où je me trouve'. Il dit que je suis sa compagne mais admettra plus tard que nous avions rompu. Il disait: 'J'ai tué ma copine et son nouveau mec'. Quand la police arrive, il est assis dans l'allée. Ils l'embarquent." En janvier 2023, l'homme est jugé. Face à toutes les charges retenues contre lui, il plaide coupable et est condamné à 40 ans de prison.

Un nouveau corps à apprivoiser

Encore aujourd'hui, Tracy Otto n'a pas terminé l'apprivoisement de ce corps que son ancien compagnon lui a laissé. Elle constate cependant à quel point il est fragile et nécessite de l'attention.

"Si je m'assois au soleil, comme je le fais pour le tir à l'arc, mon corps et ma température interne grimpent en flèche. On doit faire tout notre possible pour faire en sorte que je ne surchauffe pas et éviter l'insolation", cite-t-elle en guise d'exemple.

"Si quelque chose m'arrive sous le niveau de ma blessure et crée un stimuli non voulu, mon corps se met immédiatement en mode lutte ou fuite, ce qui fait grimper ma tension artérielle", ajoute la jeune floridienne.

Plus jeune, elle s'imaginait mannequin dans le monde de la fitness. Ce temps paraît infiniment loin aujourd'hui, mais elle n'a pas fait de croix sur sa vie active. En mars 2021, elle se dit que pratiquer un sport pourrait lui faire du bien. Sur un coup de tête, elle opte pour le tir à l'arc, une discipline inconnue pour elle.

"Ricky m'a dit: 'Tes mains ne fonctionnent plus'. Mais je me suis juste dit qu'on trouverait une solution", positive-t-elle. "J'ai fait quelques recherches et j'ai trouvé un cours de tir à l'arc adapté dans notre secteur. Une semaine plus tard, je tirais pour la première fois."

Une vie "bien plus colorée et remplie d'amour"

Dès son premier tir, elle se surprend à atteindre la cible. "J'ai voulu faire les Jeux paralympiques directement", se souvient-elle. "Durant ma deuxième semaine d'entraînement, j'ai demandé à quoi ressemblait la compétition." Bientôt, elle se lance dans un tour des tournois du pays.

Son quotidien est usant, "très dur", et remercie grandement son compagnon de veiller à son bien-être. Mais elle parvient à en tirer le meilleur: "J'ai toujours voulu avoir un impact sur ce monde, être un phare. Il y a tant de noirceur et de haine, je ne peux pas ne pas être un exemple pour les gens blessés comme moi".

Tracy Otto assure même que sa vie est "bien meilleure aujourd'hui, bien plus colorée et remplie d'amour et de rires qu'avant". "De mon lit de mort aux Jeux paralympiques, c'est une aventure incroyable. Je suis émerveillée de ce que mon équipe et moi avons fait", s'étonne presque la jeune femme. Mais pour elle, plus rien ne semble impossible, y compris aller arracher une médaille olympique.

Article original publié sur RMC Sport