JEU DECISIF – On a tous en nous quelque chose de Tennis Mag’
Le journal qui nous a fait aimer le tennis va disparaitre sous sa forme actuelle après son prochain numéro. Je suis triste, comme beaucoup
C’est le sujet dont parlaient les quelques représentants des médias français à l’Open d’Australie : Tennis Magazine vit ses dernières heures. Quand je dis ses dernières heures, c’est évidemment le Tennis Mag tel qu’on l’a connu, ce magazine que l’on guettait chaque mois dans la boite aux lettres (impatients que nous étions, l’attente semblait interminable), ce journal qui nous a fait aimer ce sport plus qu’un autre, qui a forgé notre culture tennis, bref un putain de vrai journal, celui qui vous accompagne une vie durant, si tant est qu’il ne change pas. Car finalement rien n’est plus conservateur et intransigeant qu’un « vieux » lecteur.
Comme beaucoup, c’est sur la table basse du club house que j’ai attrapé un Tennis Mag pour la première fois. Je ne me souviens plus qui était en couverture mais je sais que c’était en 1978. Je ne sais pas pourquoi, Tennis de France, ça me parlait moins. Et puis il y avait ce logo vert, devenue l’un des marques fortes de la presse en France. Ce fut le début d’une histoire d’amour dont le point final fut la vente par Jean Couvercelle, l’un des fondateurs et éternel commandant, à Benjamin Badinter, il y a un peu moins de quatre ans.
Les posters (Noah et Connors me concernant), les reportages à l’autre bout du monde, les résultats des tournois (même de clubs, j’y ai eu mon nom deux fois, c’était la consécration ultime à 13 ou 14 ans), les longues interviews, les sujets chez les joueurs (Ah la visite chez Vitas Gerulaitis ! Ah l’appart style rock de Noah rue Poussin), à l’heure où le tennis à la télévision demeurait un événement et où les inventeurs d’internet n’avaient pas encore sévi, Tennis Mag était une fenêtre ouverte sur un monde qui me fascinait et une invitation au voyage. Ce magazine, parmi d’autres lectures, est pour beaucoup dans mon envie d’être devenu journaliste. Quant à travailler un jour avec ceux qui m’avaient fait rêver…
Et puisque le destin, souvent taquin, est parfois copain, c’est ce qui m’est arrivé en 1992. A l’époque le journal était encore installé Rue de Berri, près des Champs-Elysées, ce qui donnait encore plus de poids à l’événement. Ce ne fut pas tous les jours facile. Je n’étais pas très bon au début et la direction du journal était exigeante. Heureusement, je me suis amélioré -a priori…- et ce fut le point de départ de belles années, faites de voyages, de rencontres, de bouclages tardifs suivis d’une choucroute à la maison de l’Alsace à deux heures du matin (je vous raconte tout) et surtout la naissance d’amitiés qui perdurent aujourd’hui encore.
Allez quelques souvenirs (il y en a tant), comme ça éparpillés :
– La première rencontre avec Yannick Noah. On m’avait prévenu : aie un paquet de cigarettes sur toi, même si tu ne fumes pas. S’il te taxe une clope au bout de cinq minutes, c’est gagné. Ça n’a pas loupé. Ce jour-là, j’avais béni Serge Philippot, l’historique photographe du journal.
– Voir Andre Agassi débarquer sur la terrasse du players lounge à Miami alors que j’étais en train d’interviewer Thomas Muster. Me tendre la main et me dire : « Andre, please to meet you. « Heuh…. Christophe… »
– Assister à l’hallucinant quart de finale Courier – Sampras à Melbourne, Open d’Australie 1995, où Pete avait fondu en larmes. Je me souviens avoir écrit mon papier dans la foulée -ce qui n’était pas nécessaire- jusqu’à trois heures du matin, très ému parce ce que je venais de voir.
– Avoir découvert le Madison Square Garden lors d’un Masters féminin.
– Avoir eu la chance de couvrir l’une des rencontres de Coupe Davis les plus abracadabrantesques de l’histoire : la demi-finale Russie – Allemagne 1995 à Moscou.
– Avoir interviewé Anna Kournikova aux Petits As. Elle devait avoir 12 ou 13 ans et parlait déjà comme si elle avait 20. Effrayant.
– Avoir vu le revers à une main de Richard Gasquet aux championnats de France benjamins par équipes.
– Avoir traversé sous la neige et sur des routes défoncées la Slovénie du Sud au Nord pour aller chez Iva Majoli à Zagreb. Comment n’a-t-on pas crevé ?
– La conception du numéro spécial 20 ans. On avait bossé comme des chiens et je crois qu’on pouvait en être fiers.
– Les visites, le soir, de Pierre Richard, actionnaire du journal, et qui une fois, tel l’un de ses personnages au cinéma, avait commencé à faire le pitre au milieu de la rédaction avec la fort heureusement oubliée raquette à double manche.
– Avoir eu l’occasion de taper des balles avec Ken Rosewall lors d’une étape du Senior Tour à Paris, avoir été fasciné par la qualité et la longueur de sa balle et par son formidable revers, mi-slicé, mi frappé.
Ce Monsieur Badinter va donc choisir de positionner Tennis Mag sur un nouveau créneau. Appelons ça « un-truc-machin-bidule-soi-disant-plus-grand-public-lifestyle ». A l’opposé de l’ADN-même du journal, dont la force et la raison d’être ont toujours été de tenter de satisfaire les frapadingues de tennis, les déglingos de la balle jaune, bien plus intéressés par les performances d’un cordage monofilament sur le jeu d’attaquant du dimanche que par des pages shopping/mode vendues aux annonceurs. Je résume vite fait mais il y a de ça et les forcenés ne s’y reconnaissent plus, c’est une évidence. C’est bête mais pour moi, un journal spécialisé doit être spécialisé. Il y a dans ce Tennis Magazine-là des articles qui auraient pu paraitre dans VSD ou ne je ne sais quelle publication loisirs plus générique. Or justement, non : tout le contenu de Tennis Magazine ne peut être que dans Tennis Magazine.
De cette évidence, ce monsieur à fait fi pour envoyer plus de quarante ans d’histoire dans le mur. On nous explique que Tennis Magazine continue sa vie, via le numérique et un trimestriel, piloté par le groupe L’Equipe… toujours propriétaire de la marque Tennis de France ! Bah non, c’est autre chose, je ne sais pas quoi mais surtout pas le journal qu’on a aimé. Quelle misère !
PS : Et une pensée évidemment à tous ceux qui y travaillaient encore et risquent de se retrouver sur le carreau.