"Mais qui gère ce compte?": l'humour grinçant du compte TikTok des Jeux paralympiques divise les athlètes
Cool et décalé ou hors de propos et irrespectueux? Avec 4,7 millions d'abonnés et 176 millions de likes au 4 septembre, le compte officiel des Jeux paralympiques a un certain succès sur TikTok. La plupart des vidéos qui y sont publiées ces derniers jours mettent en avant les performances exceptionnelles des sportifs en lice dans les épreuves à Paris. Comme ce 10/10 réalisé en tir à l'arc par la jeune archère indienne Sheetal Devi, née sans bras et nouvelle détentrice du record du monde de sa catégorie grâce à ses pieds et ses dents. Ou alors ce saut en hauteur du médaillé d'or américain Ezra Frech. Mais ce n'est qu'un pan de la ligne éditoriale du compte. Et l'autre partie, à portée bien plus humoristique, ne fait pas l'unanimité.
"Mais ça va pas ou quoi?"
La vidéo épinglée sur le compte, au moment de la rédaction de cet article, illustre cette dualité. Elle montre le triathlète américain Brad Snyder, déficient visuel, qui tâtonne pour trouver son vélo après avoir nagé. La musique qui accompagne le clip? Une sonate de Beethoven, car le mouvement des mains du sportif, finalement aidé par son guide, rappelle ceux d'un pianiste. La comparaison a fait mouche: la vidéo, qui date de juin dernier, a fait plus de 37 millions de vues et plus de 2,5 millions de likes.
"Mais ça va pas ou quoi là 😭😂", peut-on lire dans les commentaires en français. "Mais qui gère ce compte 😭😭😭😭😭", s'interroge un autre internaute amusé, comme beaucoup d'autres. "Je n'ai pas réalisé qu'il s'agissait (du compte) des Jeux paralympiques au début et j'étais tellement confus", admet un autre utilisateur.
Mêmes réactions pour l'une des vidéos les plus virales, à 4,9 millions de likes depuis février 2023. Sur celle-ci, le cycliste australien Darren Hicks, amputé de la jambe droite, donne tout pour terminer une course. Issue d'une tendance TikTok, la musique choisie fait entendre "left, left, left!" pour "gauche, gauche, gauche!"
Toujours en février 2023, le compte met une chanson des Griffin qui parodie Walk Like an Egyptian des Bangles avec les paroles suivantes: "J'ai mal au dos à cause de la chaise sur laquelle je suis assis!" À l'écran: une joueuse néerlandaise de basket fauteuil qui tombe à la renverse lors d'un match.
Des athlètes enthousiastes, d'autres bien plus sceptiques
À chaque fois, les avis sont partagés. Et pas seulement parmi les anonymes, mais aussi chez les concernés. "On vit avec le handicap, ça ne devient plus un problème. On en rigole beaucoup. Dans les sports collectifs, on se chambre beaucoup", témoigne le basketteur en fauteuil français Louis Hardouin auprès de France Inter. "Il s'agit d'essayer de normaliser le fait d'être à l'aise avec les personnes handicapées et de normaliser les différences. Je pense que c'est un excellent moyen de faire connaître les choses et de les mettre en valeur, car les gens les regardent et en tirent des enseignements", abonde la basketteuse anglaise Jess Whyte pour la BBC.
Darren Hicks, l'homme de la vidéo de para cyclisme, a été sollicité par NBC. Lui non plus ne voit pas de problème: "Je n'ai pas l'impression qu'ils se moquent de moi, mais plutôt qu'ils utilisent une chanson qui emploie le mot 'gauche', et il se trouve que je pédale avec ma seule jambe gauche".
À l'inverse, Sean Jackson, un footballeur anglais amputé du pied droit, désapprouve. "Beaucoup d'enfants sont sur TikTok, et s'ils voient ce genre de vidéos qui se moquent des personnes handicapées, ils risquent de penser qu'il n'y a rien de mal à se moquer des gens. La frontière entre plaisanter et se moquer de quelqu'un est très mince", déplore-t-il dans le Washington Post. "Quand vous lisez les commentaires... Je ne sais pas, j'hésite. (...) Je ne pense pas que ces personnes iront ensuite regarder un sport para parce qu'elles ont vu cette vidéo. Il n'y a pas de véritable développement en dehors de ces réseaux sociaux, et cela ne fait qu'alimenter les stéréotypes autour du handicap", objecte le rugbyman néo-zélandais Dylan Lloyd chez RNZ.
Un ancien para athlète aux manettes
Aux critiques, le Comité international paralympique (CIP) rétorque que le compte est en partie géré par un ancien para athlète. En l'occurrence: Richard Fox, qui a participé en 2008 au tournoi de football à sept pour athlètes atteints de paralysie cérébrale. "Je voulais montrer des personnes handicapées en train de faire du sport, mais d'une manière différente de ce qui se faisait auparavant, explique-t-il dans une interview pour AdWeek. C'est donc en utilisant les sons viraux et les tendances que nous y parvenons. (...) Il ne devrait pas y avoir de différence dans la manière de traiter les athlètes, qu'il s'agisse d'athlètes olympiques, d'athlètes valides ou d'athlètes handicapés".
"Nous sommes conscients que le contenu ne plaira pas à tout le monde et qu'il nous arrive de ne pas faire les choses correctement, mais nous surveillons de près les messages, nous y réagissons toujours et nous tirons des leçons de tous les commentaires", avait par ailleurs précisé le Comité international paralympique lors des premiers retours négatifs.
Cette stratégie de communication est donc totalement approuvée en haut lieu. À un mois du début des Jeux de Paris, l'instance s'est officiellement félicitée des chiffres de son compte TikTok: "La recette de notre succès a été de mettre en valeur les fantastiques compétences sportives des athlètes paralympiques, de souligner les aspects propres au sport paralympique et de montrer - comme dans tout autre sport - les accidents qui surviennent de temps à autre. Le compte est un mélange d'humour et de célébration, qui suscite la discussion et l'intérêt pour le sport paralympique et les questions de handicap dans le monde entier. Personne ne comprend mieux le handicap qu'une personne handicapée, et le fait d'avoir un athlète paralympique comme producteur principal du compte a permis de donner au contenu une touche d'authenticité, de réalisme et d'amusement, ce qui a permis de toucher de nouveaux publics".
Tout en continuant de surfer sur les codes de la plateforme, les publications mettent majoritairement en avant les exploits des athlètes depuis que les Jeux de Paris ont commencé. Et l'audience est au rendez-vous, avec déjà plusieurs millions de vues comptabilisées. Le développement de l'audience en amont a sans aucun doute aidé.