La formation française pourrait-elle encore passer à côté d’un "joueur à maturité physique tardive" comme Griezmann?

"Un pin’s", un "rase-motte", c’est en général la description des recruteurs pour parler du jeune Antoine Griezmann version 2003. Sa petite taille et sa corpulence détonent face aux autres garçons de 12-13 ans. "À cet âge-là, avec 10kg de plus que les autres, un joueur peut survoler un match", analyse Jean-François Vulliez, ex-directeur de l’académie de l’Olympique Lyonnais. Sauf que Griezmann affiche plutôt 10kg de moins et "beaucoup moins de force dans les jambes". En somme, l’archétype du joueur à maturité physique tardive.

Kévin Diaz, consultant RMC Sport et directeur sportif de l’US Lusitanos Saint-Maur, a lui-même fait partie de cette catégorie. "Tu n’arrives pas à percer car tu n’as pas ton corps d’adulte… à mon époque, soit tu repassais par la N2 ou N3, soit par l’étranger". Diaz a filé en deuxième division néerlandaise pour devenir pro.

À l’OL, les ados Tolisso et Benzema ont fait débat

Et les exemples se sont multipliés pendant les années 1990/2000. N’Golo Kanté, Riyad Mahrez, Mathieu Valbuena, Franck Ribéry, Éric Carrière... Que des joueurs devenus internationaux aux trajectoires accidentées. Mais les clubs professionnels se sont adaptés pour gérer ces joueurs atypiques aujourd’hui, selon Jean-François Vulliez.

"On a plus d’ouverture d’esprit sur ce sujet. À l’OL, on a développé une lecture plus fine des joueurs, avec beaucoup de patience". Si bien que le club lyonnais s’est installé comme une référence mondiale question formation. "Il faut être tenace. Il n’y a pas de vérité sur la réussite des jeunes, mais il faut bien garder le cap sur le projet de formation. Chez nous, Corentin Tolisso n’était pas loin de nous quitter après les U16. Un Karim Benzema était loin de surnager. Ils faisaient débat mais ils sont restés".

"Accompagner le développement naturel du joueur"

Damien Tibéri acquiesce. Ancien responsable de l’école de foot de l’AC Ajaccio, il assure qu’on ne passerait plus à côté d’un Griezmann. "Depuis, les clubs se sont armés au niveau des recruteurs et des formateurs. Eux-mêmes sont mieux formés". Également éducateur, l’ancien ailier de Sedan insiste sur la relation du jeune avec le ballon, son intelligence de jeu.

"Les ados peuvent prendre 15cm en un an. On individualise tout aujourd’hui, certains percent à 16 ans, d’autres à 21 ans", explique-t-il.

Vulliez a deux magnifiques exemples de cette adaptation des clubs. "Barcola et Lukeba, ils n’étaient jamais surclassés, jamais en équipe de France. Castello en jeune, il pouvait faire du ski nautique derrière un attaquant. On a tout simplement accompagné leur développement naturel, physique, psychologique et cognitif". Kévin Diaz se félicite de ces jeunes moins costauds à qui on laisse plus de temps. "Un Maghnes Akliouche, il explose à 23 ans, il a pris du poids et surtout une maturité exceptionnelle dans le jeu! On peut aussi parler de Ben Seghir, d’Enzo Le Fée ou Nathanael Mbuku. C’est aussi comme ça qu’on a des joueurs très techniques".

La détection française au top niveau

Les clubs pros s’adaptent et la Fédération française de football ratisse. Le maillage territorial est particulièrement fin. "À partir de 12-13 ans, on a les sélections de districts, les sélections de Ligues. Puis les sélections jouent entre elles dans des tournois, on finit par avoir la crème de la crème". Kévin Diaz assure qu’on connaît très facilement "les 100 meilleurs joueurs par génération".

Jean-François Vulliez confirme. "Le maillage est exceptionnel. La FFF a même mis en place des sélections pour les jeunes du second semestre, ceux nés de juin à décembre qui sont désavantagés puisqu’ils sont les plus jeunes de leur catégorie d’âge". Une sorte de deuxième chance pour les apprentis footballeurs de se révéler devant les recruteurs des clubs professionnels. "Puis en France, on a même des pôles espoirs dans les collèges pour les 4e et 3e, où il n’y a pas d’enjeu sportif, donc on ne s’intéresse pas au jeune qui tape plus fort, qui court plus vite. On peut développer le jeune tranquillement".

Sous-classer les jeunes, une autre solution?

Des joueurs, à l’image de Griezmann, qui deviennent souvent encore meilleurs grâce à leur frêle physique d’antan. Des profils très techniques, avec de la grinta, des chiens de la casse comme Grizou", confirme Kevin Diaz. Vulliez détaille: "Comme ils évoluent dans des contextes où l’adversité va plus vite et plus fort, ces joueurs ont souvent une très bonne lecture de jeu, un sens de l’anticipation accru. Ils trouvent les solutions plus vite que les autres. Ils construisent des compétences capitales, la vitesse d’appui, la compréhension de l’espace, le jeu sans ballon".

Le regret de l’ancien directeur de l’académie OL reste l’impossibilité en France de sous-classer des joueurs. "On peut surclasser de catégories les jeunes qui sont en avance physiquement. Mais on ne peut pas sous-classer. Au Danemark, où je travaille désormais, ça existe et ça marche bien. J’avais fait une demande à la Fédération mais elle n’a rien donné. Le but, c’est toujours de rester au plus proche de la zone proximale de développement".

Les défenseurs centraux, talon d’Achille de la formation française

La formation française s’est donc remise en question et les chances de passer à côté d’un nouvel Antoine Griezmann ont beaucoup diminué. Mais si on fait le bilan, tous les exemples cités précédemment concernent des joueurs offensifs. "Les capacités cognitives sont les plus difficiles à percevoir. C’est le plus important mais parfois, on regarde peut-être plus des qualités athlétiques qui vont pouvoir compenser ce déficit tactique et technique", reconnaît Vulliez. Avec par exemple la mise en avant de défenseurs comme Isaak Touré ou El Chadaille Bitshiabu, très tôt sous la lumière des projecteurs en raison de leur carrure monstrueuse.

Pendant ce temps, la défense de l’Espagne, championne d’Europe, interroge Kévin Diaz. "Robin Le Normand et Aymeric Laporte, ça reste un échec pour les Français". Les deux Tricolores de naissance ont changé de nationalité sportive après avoir été formés ou post formés respectivement à la Real Sociedad et à l’Athletic Bilbao. En Espagne, comme Antoine Griezmann.

Article original publié sur RMC Sport