"Je fais ça par passion", on a retrouvé Laurent Pionnier, l’ex-gardien de Montpellier, devenu agent de sécurité lors des JO de Paris 2024
Tout est parti d’une tentative avortée. Celle de demander à Tyrese Haliburton un mot sur Felix Lebrun (ce sera fait quelques jours plus tard). Lors de son arrivée à l’Accor Arena de Bercy pour soutenir Simone Biles au concours général individuel de gymnastique, le 1er août dernier aux Jeux olympiques de Paris 2024, le meneur de jeu de Team USA ne répond pas à notre sollicitation. Derrière les barrières de sécurité, nous filmons tout de même la star d’Indiana en train d’entrer par la zone VIP. Rien de très croustillant, à priori. Sauf que…
Quelques jours plus tard, dans le centre de presse attenant à la salle de judo, un reporter d’RMC Sport repère un homme en costume noir sur notre vidéo. C’est visiblement un agent de sécurité. Mais à y regarder de plus près, son visage nous paraît soudain familier. Après un moment de réflexion, c’est sûr, c’est un ancien sportif. Mais qui? Un footballeur… "Je le reconnais, c’est Laurent Pionnier", s’exclame notre collègue. En zoomant tant bien que mal sur une image arrêtée, nous parvenons à distinguer le nom écrit sur son accréditation. Et il s’agit bien de Laurent Pionnier, l’ancien gardien de Montpellier, sacré champion de France en 2012…
"Vous devez vous demandez ce que je fais là?"
Mais pourquoi l’ex-rempart du club héraultais, aujourd’hui âgé de 42 ans, se trouve en tenue de vigile à l’entrée de Bercy? Pour le savoir, nous revenons sur place cinq jours plus tard, alors que Simone Biles effectue ses dernières acrobaties de la quinzaine à l'intérieur. Après une longue attente en compagnie des photographes et des chasseurs de selfies, Laurent Pionnier apparaît à nouveau avec sa tenue sombre, son air concentré et son oreillette. "Vous devez vous demander ce que je fais là", s’amuse-t-il lorsque nous le sollicitons. Une heure plus tard, nous le retrouvons à la sortie de son service. Souriant et disponible, l’ancien portier du MHSC prend le temps de se confier sur sa nouvelle vie loin du rectangle vert. Enfin, pas si loin que ça…
Laurent Pionnier, que faites-vous dans la zone VIP de l’Accor Arena de Bercy?
"Je travaille lors des JO pour SGPS, une société de sécurité privée. Je suis en zone hospitalité, celle qui concerne l’accueil des guest et des dignitaires français ou étrangers. L’objectif c’est qu’ils puissent venir voir toutes ces belles épreuves dans de bonnes conditions, en respectant des normes de sécurité strictes. On a une bonne équipe, complémentaire, avec des coordinateurs qui nous indiquent la marche à suivre. Ils nous donnent les directives bien à l’avance et on fait le job le plus proprement possible."
Comment vous-êtes-vous retrouvé à ce poste?
"J’ai toujours aimé ce métier, que j’ai découvert via un de mes meilleurs amis. Je fais ça sur mes à côté, parce que je travaille toujours à l’UNFP. J’ai pris des congés pour pouvoir faire les quinze jours des JO à Bercy. J’ai obtenu ma carte pro et averti mon employeur de cette particularité. Par rapport à mon activité à l’UNFP, qui me prend déjà beaucoup de temps, ça me permet de faire d’autres choses très intéressantes. Chez SGPS, on travaille en équipe avec des objectifs très élevés. Ça me passionne. Je suis très heureux de collaborer avec cette entreprise, qui opère en France et à l’étranger. Ils portent les mêmes valeurs que moi: la solidarité et le don de soi dans l’effort, pour un objectif commun. Je veux préciser que pendant les JO, on bosse avec les forces de l’ordre et on travaille vraiment de concert avec eux, quand c’est nécessaire. C’est appréciable de voir cette unité pour la sécurité de tous."
Vos missions dans la sécurité vous permettent-elles de retrouver une adrénaline comparable à celle que vous connaissiez dans le football?
"Oui, c’est exactement ça. On connaît l’importance des JO dans le monde. On sait qu’on vit des temps difficiles. Tout doit être mis en œuvre pour que ce soit le plus sécurisé possible. On a des briefings en amont de la part des coordinateurs SGPS, mais aussi du directeur de la sécurité de l’Accor Arena de Bercy. Je les remercie d’ailleurs tous les deux pour la confiance qu’ils m’accordent. Et comme dans une équipe de foot, il y a un coach, des leaders, des capitaines et des objectifs élevés à atteindre chaque jour. Il faut se remettre en question pour rester dans l’exigence. Ça fait maintenant plus d’un an que je bosse avec eux. Je fais pas mal de concerts puisque SGPS est spécialisé dans la sécurité événementielle. Ce sont des gens qui m’ont bien accueilli. Ils savaient que j’avais joué au foot en pro. Mais le foot, c’est fini, et ça n’a rien à faire dans ce métier-là. Donc on en rigole, mais après on passe aux choses sérieuses. En arrivant, j’ai appris de chacun d’eux et je le fais toujours aujourd’hui. C’est vraiment un grand plaisir de mener ces missions très intenses."
Votre expérience d’ancien sportif de haut niveau vous sert-elle dans votre activité d’agent de sécurité?
"Oui, c’est comme ça que j’apporte ma pierre à l’édifice. Le métier, je l’ai appris avec eux et je continue de me perfectionner. De mon côté, j’ai un vécu par rapport à ce qu’attend une personnalité, un sportif et surtout ce qu’il ne veut pas. J’ai donc des idées à partager sur une manière de faire. Dans ce métier, il faut trouver le juste milieu, la bonne attitude à avoir. On doit savoir déceler les comportements extérieurs, gérer son stress et ses émotions comme dans le sport pro. J’ai été novice, j’apprends beaucoup. Ma première vie pro intense m’a offert une expérience riche qui me sert dans ce domaine. Et je suis tombé sur des gens qui me laissent exprimer mes idées."
Il arrive qu’on vous reconnaisse lorsque vous êtes en poste?
"Oui, ça arrive souvent. Quand je suis hors du travail, c’est super, on peut se parler. Mais quand je suis en mission, ce n’est pas le moment. J’essaie de le faire comprendre aux gens et généralement, ça se passe bien. Un selfie pendant que je suis en train de travailler, ce n’est pas possible, le boss n’apprécierait pas et je le comprendrais."
Zinedine Zidane est venu à l’Accor Arena de Bercy pour assister à certaines épreuves de gymnastique…
"Il venu ici. On s’est occupés de lui avec mes collègues. Il y a eu aussi Antoine Griezmann. On est focus sur l’aspect sécuritaire, avec parfois simplement quelques secondes à gérer donc, évidement, il n’y a pas de place pour des discussions sur le foot. Et on ne met pas de dimension amicale avec les gens dont on s’occupe, en tout cas pas durant le temps où on doit les prendre en charge."
Nathalie Portman, John Travolta, Tom Brady, Eva Mendes, Kendal Jenner… de nombreuses stars ont transité par votre zone durant ces JO de Paris. Certains fans vous ont même pris un jour pour l’acteur américain Jesse Williams (Dr Jackson Avery dans la série Grey’s Anatomy)…
"Lors de la première semaine avec la gymnastique, Simone Biles a attiré du monde. De grands sportifs, pas mal de stars d’Hollywood aussi. Beaucoup de dignitaires de pays étrangers sont venus voir leurs champions. Il y a eu également des personnalités politiques françaises. Beaucoup de personnes dont l’accueil est sensible. Mais je n’ai jamais été fan de qui que ce soit. C’est aussi ce qui fait un bon agent, je pense. On a un accompagnement similaire strict pour tous les gens qui passent par cette entrée-là à Bercy, peu importe leur identité. Quand on est passé au basket, avec Team USA et les Français, les effectifs ont été adaptés en conséquence."
Allez-vous poursuivre dans la sécurité après les JO de Paris?
"Oui bien sûr. Comme je l’ai été dans ma première vie avec mon club de Montpellier, je suis fidèle à SGPS, qui me permet de vivre cette passion avec tous ces agents au top. Je bosse sur des grands événements, avec une belle équipe et toujours cette notion de mission à accomplir. Gérer la sécurité d’un club, m’intéresserait également mais c’est un travail à pleins temps donc... Je dis juste que j’aime ce métier. Si ça devait se faire, ça serait forcément en équipe, avec des gens avec qui ça fonctionne bien pour être dans le même professionnalisme qu’avec SGPS."
Cette activité vous permet-elle de vous épanouir aujourd’hui?
"Mon métier, c’est travailler à l’UNFP. C’est mon emploi principal. J’ai des missions à la commission juridique de la LFP chez les garçons, en lien avec les problèmes contractuels des joueurs. Je m’occupe aussi des élections professionnelles dans les clubs pros et j’ai une grosse mission pour le développement du foot féminin. C’est mon travail à plein temps, mon CDI. Les missions de sécurité, je les fais le soir, si je ne suis pas très loin. Ou alors je pose des congès, comme je l’ai fait pour ces JO. Après ces quinze jours à Bercy, j’ai une semaine de vacances. Ce sont des sacrifices familiaux, mais ma femme sait que ça me permet de m’épanouir et d’être bien dans ma tête."
Six ans après la fin de votre carrière, le football professionnel vous manque-t-il encore?
"Ce manque-là, je crois qu’il faut vivre avec, parce qu’il sera éternel. C’est une chose pour laquelle tu es conditionné depuis tout petit et à un moment donné, ça s’arrête. Quand ça arrive, c’est un traumatisme. Et encore, ce mot est petit par rapport à la réalité des choses. Au début, tu cherches à surmonter ça, mais en fait ce n’est pas ce qu’il faut faire. Il faut juste savoir vivre avec. Le foot, c’est fini. Je ne jouerai plus au haut niveau, malgré mon envie. Ce n’est plus possible, point. Il faut essayer de trouver d’autres choses qui vous passionne et vivre avec cette idée que le foot c’est fini. C’est comme ça."
Vous avez connu des moments difficiles après avoir raccroché…
"Oui effectivement… mais je pense que c’est un passage obligé pour tous les sportifs de haut niveau qui arrêtent leur carrière. Aujourd’hui, je n’ai pas de honte à dire que j’ai fait de la dépression. Peut-être aussi parce qu’il y a moins de tabou à ce sujet… Heureusement, j’ai pu compter sur le soutien de ma famille et de mes proches. C’est primordial dans ces moments-là. Depuis tout petit, tu rêves de faire quelque chose, tu te donnes tous les moyens pour y arriver et quand tu as la chance d’atteindre ce but, tu vis des émotions plus qu’intenses. Quand tout s’arrête, forcément, il y a le vide, le manque, le néant. J’ai eu l’opportunité d’enchaîner un autre métier rapidement au sein de l’UNFP, qui me passionne aussi, tout comme la sécurité aujourd’hui, ça m’a permis de ne pas sombrer.
Continuez-vous à jouer au football à titre amical?
"On joue un peu entre collègues ou avec des anciens pros. J’essaie de jouer aussi avec mes fils, mais le temps me manque."
Votre carrière en Ligue 1 ne vous a pas permis de vous mettre à l’abri financièrement?
"Je n’ai pas gagné suffisamment ma vie pour arrêter de travailler. Mais même si c’était le cas, je n’ai pas une nature à rester sans rien faire. Donc j’aurais toujours continué à faire quelque chose. J’ai eu ma première carrière professionnelle. J’ai gagné ma vie. Evidemment, je n’ai pas eu les salaires de certains joueurs du PSG ou autres. Mais je suis arrivé à me reconvertir. Je travaille à l’UNFP et la sécurité, c’est un métier-passion. Je ne fais pas ça parce que j’en ai besoin pour vivre. J’en ai besoin psychologiquement. Ça met du beurre dans les épinards, évidemment, mais j’assouvis une passion avant tout."
Contrairement à certains anciens joueurs, vous n’avez pas tout perdu dans des mauvais placements, des arnaques ou des dépenses excessives…
"Je n’ai jamais gagné ma vie outre-mesure pour me permettre de faire des dépenses excessives. Avec ma femme, nous travaillons tous les deux. Nous avons un rythme de vie très simple. Le football nous a permis d’avoir une vie confortable aujourd’hui, mais ce n’est pas suffisant pour ne plus travailler. Je ne me plains pas en disant cela, c’est juste une réalité."
Êtes-vous installé à Paris?
"Non, je vis toujours à Montpellier. Ce serait difficile de vivre ailleurs que dans ma ville, mon sud. Je n’ai pas bougé de toute ma carrière pro, je ne vais pas dire à la fin à mes enfants qu’on déménage (sourire). Par contre, mes fonctions à l’UNFP m’amènent à beaucoup bouger en France dans les clubs. A Paris aussi, puisqu’il y a les bureaux de l’UNFP. Je voyage souvent la semaine et je rentre le week-end."
En dehors de vos heures de service, vous avez profité des JO pour aller voir certaines épreuves?
"Non, pas du tout. La quasi-totalité de mon temps, c’est comme un jour de match: je bosse, je mange, je me repose et je retourne bosser. Ce sont de grosses missions. Les gens ne voient pas les coulisses, c’est normal, mais c’est intense. Et après, il faut du repos aussi parce que notre métier, c’est beaucoup de vigilance. Si tu arrives fatigué, la vigilance baisse et tu es moins efficace."
Que vous inspire la réussite des athlètes français lors de ces JO?
"Je suis les résultats le soir. J’ai vu que Léon Marchand avait fait de très belles perfs. A Montpellier, j’ai eu la chance de recevoir Teddy Riner il y a quelques semaines. Je m’étais occupé de sa venue. On avait un peu échangé lors d’un moment où on pouvait le faire. Le voir gagner en individuel et en équipe, c’est juste magnifique parce que quand je l’ai côtoyé quelques semaines avant, il était déterminé comme jamais. Plus globalement, quand on donne des moyens aux sportifs, on obtient des résultats. Parce pour que beaucoup d’entre eux, c’est de l’investissement personnel, que ce soit financier ou en termes de temps. Ce n’est pas facile. Moi, j’ai joué au foot. C’est un sport populaire, il y a de l’argent, on est choyés. Mais dans certaines disciplines c’est compliqué financièrement pour performer. Décrocher une médaille est une prouesse encore plus louable. Et voir tous ces Français réussir, ça fait énormément plaisir.
Comment vivez-vous l’ascension de Felix et Alexis Lebrun, également originaires de Montpellier?
"Ce sont deux frères que je suis depuis longtemps, parce qu’ils sont de Montpellier et que mon fils aîné pratique le tennis de table. On a suivi leur ascension. Ils sont de la team Nicollin. C’est bien que des entreprises comme ça les soutiennent, parce qu’ils ont beaucoup de déplacements et d’entraînements. Les moyens, tu les as quand tu gagnes des médailles. Mais on ne naît pas avec. Il faut s’entraîner pour la gagner, donc c’est une fierté pour notre région de voir les frères Lebrun."