Droits TV: pourquoi beIN Sports n'a toujours pas versé un euro pour diffuser son match de L1

L’argent est là, prêt à être versé. Mais près de deux mois après le coup d'envoi de cette saison de Ligue 1, beIN Sports se refuse toujours à payer la première traite des droits de diffusion d'une affiche par journée dont la chaîne qatari a pourtant fait l'acquisition.

Ses dirigeants ne veulent surtout pas passer pour de mauvais payeurs, ce qu’ils n’ont jamais été depuis leur implantation en France en 2012. Mais là, selon eux, impossible de procéder à ce paiement sans que la Ligue n'accède à leurs demandes. Quelles sont-elles? RMC Sport fait le point sur ce bras de fer économique.

Un deal de dernière minute

Après la finalisation du deal avec DAZN le 25 juillet dernier, beIN Sports parvenait à son tour à un accord avec la Ligue le 31 juillet pour diffuser un match de Ligue 1 (samedi 17h) contre 98,5 millions d’euros dont 20 millions de sponsoring pro-Qatar à négocier auprès de chaque club. Malgré la présentation en Conseil d’administration de la complexité de l’opération, l’accord global avait été validé par les clubs.

Dans les discussions entre la Ligue et beIN, la LFP avait bien précisé que toute demande de sous-licence pouvait être envisagée sous réserve d’approbation. En revanche, toute codiffusion a toujours été exclue. "La codiffusion réduit le champ concurrentiel. On ne veut pas créer un précédent pour nos prochains appels d’offres. Cela mettrait clairement en danger la valorisation de nos droits", explique-t-on à la Ligue.

La difficulté vient aussi du fait qu’accepter le principe d’une codiffusion reviendrait à pouvoir la proposer à tous les diffuseurs. Or DAZN, diffuseur principal (8 matchs sur 9), ne veut pas en entendre parler. Cela reviendrait, pour la Ligue, à renégocier avec la plateforme britannique le contrat le plus lucratif. Impensable.

"On est pris en otage, cela ne peut pas durer"

Restant bloqué sur cette exigence, beIN Sports n’a toujours pas payé l’échéance de droits TV du mois d’août pour la Ligue 1. Les clubs ont donc un trou de trésorerie de 24% de leur revenu sur cette échéance-là d’août. Cela représente environ 15 millions d’euros à répartir entre les clubs. La prochaine est prévue en octobre et ne sera pas payée non plus.

Preuve que ce point est au centre de cet imbroglio, la chaîne qatari a réglé à la date prévue toutes ses traites liées aux autres droits dont elle a fait l'acquisition, comme ceux de diffusion de la Ligue 1 en Turquie, en Afrique du Nord, au Moyen Orient et en Amérique du Nord, ainsi que les droits domestiques de la Ligue 2.

Selon nos informations, la Ligue, voulant maintenir un dialogue permanent avec beIN, a formellement demandé aux dirigeants qataris de payer cette première échéance des droits domestiques de ce match de Ligue 1 afin de poursuivre les discussions plus sereinement.

"Ils diffusent gratuitement notre produit depuis quasiment deux mois. On est pris en otage, cela ne peut pas durer", s’emporte un président de club de Ligue 1.

En parallèle, beIN s’est ému, au lancement de la saison, de voir Free continuer à proposer gratuitement son service Free Foot avec des mini-clips vidéos permettant de regarder les buts et meilleurs actions de matchs en quasi-direct. Free avait réussi à négocier le maintien de ce service lors des négociations sur la distribution avec DAZN, disponible sur les Free Box. La Ligue a tout de même dû rappeler à Free qu’il n’était plus diffuseur officiel, l’obligeant à réduire la quantité de contenu mise à disposition des consommateurs.

"L’usine à gaz" du sponsoring

Autre dossier complexe à gérer lié à l’accord avec beIN Sports: le sponsoring. Sur les 98,5 millions d’euros par saison promis par beIN figurent donc 20% de sponsoring. L’idée étant que chaque club propose une solution de visibilité pour le compte de Qatar Tourism, organisme de promotion du tourisme dans l’émirat.

La Ligue a donc demandé à tous les clubs de L1 et L2 de lui fournir un inventaire de possibilité à faire valider par les qataris. A ce jour, elle attend encore le retour d’une dizaine de clubs et une dead-line au 30 novembre a été fixée pour valider l’ensemble des accords.

Plusieurs situations de conflit concurrentiel ont été identifiées. Des solutions alternatives doivent donc être trouvées afin d’éviter que le sponsor d’un club ne se retrouve lésé par cet accord. D’autres entreprises qataris pourraient donc remplacer Qatar Tourism et profiter de la visibilité offerte par ce deal. Dans ce travail très chronophage, la Ligue n’a qu’un seul interlocuteur: beIN Sports. Charge ensuite à la chaîne de tomber d’accord avec ses partenaires qataris. Une fois l’ensemble des négociations finalisées, le paiement au club (environ 20 millions d’euros) pourra s’opérer de manière échelonnée.

"Quelle usine à gaz", souffle-t-on à la Ligue.

"beIN fait tout pour alléger la facture"

Face à tant de complexité, plusieurs présidents se posent des questions. A quoi joue beIN Sports? L’un d’eux avance une explication: "beIN n’avait pas du tout prévu d’investir dans les droits TV de la Ligue 1. Ils étaient arrivés à l’équilibre grâce au contrat de distribution exclusif avec Canal +. Après d’âpres discussions et négociations, ils ont finalement accepté mais avec beaucoup de contraintes dans le seul but, selon moi, d’alléger leur facture. L’argent des 20% de sponsoring ne sortira pas a priori de leur caisse. La codiffusion leur permettrait de rembourser une bonne partie de leur investissement. On peut comprendre leur situation. On a décidé collectivement d’y aller avec eux. On peut accepter certaines contraintes mais on ne peut pas tout accepter non plus."

Reste à savoir si le blocage peut s’inscrire dans le temps avec des retards de paiements qui s’accumuleraient et aggraveraient la trésorerie des clubs déjà bien mal en point. Un sujet qui devrait être au centre des discussions lors du prochain collège de Ligue 1, prévu le 17 octobre.

Article original publié sur RMC Sport