"Elles ont dû prouver qu'elles étaient capables": quand courir le marathon aux JO était interdit aux femmes

"Ma mère m'enfermait dans la chambre et je passais par la fenêtre pour aller m'entraîner", se souvient la marathonienne française Maria Rebelo. Qu'il semble loin le temps où on l'empêchait de pratiquer la course à pied parce qu'elle était une femme. Il ne l'est pourtant pas vraiment.

Ce dimanche 11 août, pour la première fois, c'est le marathon féminin qui vient clore ces Jeux olympiques, "pour valoriser les performances des athlètes féminines", écrit le CIO. L'épreuve mythique n'est ouverte aux femmes que depuis l'édition de Los Angeles en... 1984. Soit tout juste 40 ans.

"Une bonne chose" pour l'athlète tricolore Françoise Bonnet, qui avait concouru en 1988 quelques jours après la cérémonie d'ouverture -ce qui l'avait d'ailleurs empêché de participer aux festivités- alors que la version masculine se tenait à la fin des 16 jours de compétitions, en point d'orgue de l'événement.

Une course symbolique

"Faire courir le marathon féminin après les hommes, en point final des Jeux, c'est très symbolique. Particulièrement dans le marathon, les femmes ont mis beaucoup de temps à pouvoir participer, à faire accepter aux dirigeants et à l'opinion publique qu'elles pouvaient courir de telles courses", explique l'historienne du sport Florence Carpentier.

En outre, le parcours de ce marathon 2024 est un hommage à la marche des femmes sur Versailles d'octobre 1789, durant la Révolution française, où plusieurs milliers de Parisiennes ont traversé Paris pour rejoindre Versailles et ramener le roi aux Tuileries. Ce jour-là, Louis XVI a enfin accepté de ratifier la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen.

Pour la première fois dans l'histoire, une parité parfaite est atteinte entre les athlètes femmes et hommes aux JO de Paris. C'est également le cas pour le marathon pour tous, organisé ce samedi 10 août pour près de 20.000 coureurs amateurs. Une situation inédite qui était loin d'être gagnée d'avance.

Une discipline jugée trop difficile

Si les Jeux olympiques modernes sont fondés en 1896, il a fallu attendre 1928 pour que les femmes aient le droit de concourir dans les épreuves d'athlétisme. De nombreux dirigeants sportifs du CIO, comme Pierre de Coubertin lui-même, s'opposaient tout bonnement à leur participation.

Le 800 mètres est alors la plus longue distance au programme pour les femmes. "Pendant très longtemps, on considérait que leur physique ne leur permettait pas de courir des courses comme le marathon", explique Florence Carpentier. En effet, on disait que l'exigeant entraînement pour ce genre d'épreuves pouvait faire tomber leur utérus, les rendre infertiles ou encore provoquer des changements corporels qui les rendraient "plus masculines".

"Et en plus, ce n'était pas bien vu d'avoir une femme en short qui court dans les rues", se souvient Maria Rebelo.

Dès 1928 justement, l'épreuve du 800 mètres féminin fait polémique. Épuisées à la fin des deux tours de piste, comme les hommes finalement, certaines athlètes s'allongent sur le sol. Il n'en fallait pas plus pour les membres du CIO et de nombreux médias.

John Tunis, journaliste sportif américain réputé raconta ainsi le déroulement de la course: "Sous nos yeux, sur la piste cendrée, se trouvaient onze pauvres femmes, cinq ont abandonné avant la fin de la course, et cinq se sont effondrées sur la ligne d'arrivée". Le CIO décida ne plus faire disputer de courses supérieures à 200 mètres aux femmes. Cette décision restera en vigueur jusqu'aux Jeux olympiques de 1960.

"Sors de ma course"

Des interdits qui n'ont toutefois pas découragé de nombreuses femmes. "Au contraire, ça donne une impulsion de montrer qu'on est capable", raconte Françoise Bonnet. Celle qui a terminé quatorzième du marathon aux Jeux olympiques de 1988 se souvient de plusieurs courses où l'on récompensait uniquement le vainqueur masculin, et jamais la première femme.

Lorsqu'elle a commencé l'athlétisme dans les années 1970, elle a d'abord couru sur des courtes distances, avant de réaliser qu'elle pouvait faire de l'endurance. "Pendant longtemps, on ne pensait même pas aux longues distances, et encore moins aux marathons, parce qu'elles étaient interdites", abonde dans le même sens Maria Rebelo.

"On n'avait pas de beaucoup de références pour s'inspirer", ajoute-t-elle.

Il aura fallu des pionnières. En 1966, portant le bermuda de son frère et un sweat-shirt à capuche pour se fondre dans la masse, Roberta Gibb intègre le peloton du célèbre marathon de Boston après être sortie du buisson où elle se cachait. Son inscription officielle avait été refusée par une lettre l'informant que les femmes n'étaient pas physiologiquement capables de courir de marathon.

L'année suivante, c'est avec un dossard officiel que Kathrine Switzer participe. Racontant plus tard les réticences de son entraineur, elle dira qu'il était imprégné des fausses idées selon lesquelles "une femme trop sportive risque de se retrouver avec de grosses jambes, la poitrine velue et l'utérus qui descend".

La jeune coureuse de 20 ans s'inscrit en utilisant ses initiales pour cacher son prénom. Arborant maquillage et rouge à lèvres, elle s'élance mais, très vite, le directeur du marathon de Boston se jette sur elle et l'agrippe en criant: "Sors de ma course et donne-moi ton numéro". Elle finit toutefois la course, mais sera disqualifiée. "Les femmes ont dû se battre et prouver qu'elles étaient capables", souffle ainsi Maria Rebelo.

Quelque chose "d'exceptionnel"

Finalement, c'est en 1984 que la célèbre course de 42,195 kilomètres fait son entrée aux Jeux olympiques pour les femmes. L'épreuve est remportée par l'Américaine Joan Benoit, mais très vite les regards se tournent vers l'athlète suisse Gabriela Andersen-Schiess qui termine sa course en titubant.

Maria Rebelo se souvient bien de cette image: "Ça avait choqué, ça montrait que les femmes n'étaient pas capables, alors que beaucoup d'hommes finissaient des marathons comme ça aussi: on cherchait à mettre la femme en position inférieure", déplore-t-elle.

En effet, comme le rappelle Le Figaro, le surlendemain, la photo de Gabriela Andersen-Schiess s'affiche en une du journal avec le titre: "Le calvaire olympique de Gabriella", avec au passage une faute dans son prénom.

Pour son premier marathon, Maria Rebelo se rappelle avoir beaucoup souffert. "On manquait de préparation à l'entraînement, on ne faisait pas assez de kilomètres et on n'avait jamais été habitué à courir sur ces longues distances", commente-t-elle aujourd'hui.

Celle qui participé aux éditions de 1988 et de 1992 des Jeux olympiques et a de nombreuses autres compétitions dit réaliser "plus maintenant qu'à l'époque où ça me semblait banal: c'est avec du recul que j'ai pleine conscience que c'était quelque chose d'exceptionnel et pas donné à tout le monde", confie-t-elle.

Article original publié sur RMC Sport