Bordures, favoris pas planqués, "sans pitié jusqu’à la fin": c'était quoi cette 13e étape totalement folle sur le Tour de France?
La sieste attendra. Au moins jusqu’à lundi. À la veille d'un week-end pyrénéen au menu pour le moins copieux, avec au total 8.800m de dénivelé positif, certains esprits naïfs ou critiques avaient misé sur une nouvelle journée dite de transition ce vendredi. Avec la crainte d’un énième scénario cousu de fil blanc: deux-trois audacieux à l’avant, des équipes de sprinteurs qui mettent en route sans s’affoler, et au bout le triomphe d’une paire de grosses cuisses. Mais il faut croire que ce Tour de France 2024 se plaît à jouer la carte de l’inattendu.
La malice des UAE
Si la victoire est revenue à Jasper Philipsen, devant deux autres lions affamés, Wout van Aert et Pascal Ackermann, cette 13e étape tracée entre Agen et Pau a proposé un feu d’artifice bienvenu au pied des Pyrénées. Avec un rythme infernal, des tentatives de bordures à la pelle et des organismes déjà bien essorés à l’heure de retrouver la haute altitude et des terrains susceptibles de faire des ravages. Avant même ce combat de coqs espéré et attendu pour le maillot jaune, le peloton a donc eu droit à 165km courus à une vitesse moyenne de 48,8 km/h. Suffisant pour en faire la huitième étape la plus rapide de l'histoire de la Grande Boucle.
"C’est ça le Tour de France! On s’attendait surtout à un sprint, à une étape pas facile à regarder à la télévision, mais au final on a eu une grande étape", souriait à l’arrivée Mauro Gianetti, boss de Tadej Pogacar chez UAE Emirates et tout heureux du coup tactique mis en place par son équipe. Car le ton a été donné d’entrée avec des premiers kilomètres ultra-nerveux et la formation d’une échappée d’une grosse vingtaine d’éléments, parmi lesquels de sacrés CV comme Mathieu van der Poel, Matej Mohoric, Michal Kwiatkowski et… Adam Yates. La présence du grimpeur britannique, lieutenant de "Pogi" et huitième du général, en a surpris plus d’un.
Yates "a mis les autres sur les nerfs"
Elle a brouillé les pistes et surtout forcé les Visma-Lease a Bike de Jonas Vingegaard à réagir et éprouver les mollets sur un parcours vallonné mais sans difficulté apparente. "C’était une bonne chose d’avoir Yates (devant). On n’a pas eu à rouler, on est restés relax. Il a mis les autres sur les nerfs, ça fait partie du jeu. On était également bien placés quand il y a eu la jonction entre l’échappée et le peloton, puis les bordures. Mais tout ça était dur et usant avant les Pyrénées. Ce qui est bien, c’est que Tadej a évité les chutes", soulignait Gianetti, qui relevait comme seul (gros) bémol l’abandon de son soldat espagnol Juan Ayuso pour cause de Covid.
Resté serein lorsque les frelons de Visma et la machine UAE se sont amusés avec le vent pour essayer de mettre la pagaille, Remco Evenepoel, dauphin de Pogacar au général, dressait le même constat: "Ce n’était pas vraiment de la transition ! On va entrer dans les Pyrénées avec beaucoup de fatigue. Il faudra avoir les jambes sinon il y aura de grands écarts dès demain. Ça annonce un beau week-end." Avant d’être plombée par le carambolage brutal survenu à la flamme rouge, cette 13e étape aura été le théâtre d’expérimentations tactiques suffisamment épicées pour esquisser la promesse d’un grand spectacle dans les Pyrénées.
"Une course totale"
"Je vous confirme que cette étape était assez folle vue de l’intérieur. On pouvait imaginer une course engagée, oui, mais on ne s’attendait pas à ce que ce soit une course totale à ce point-là! J’imagine que c’était très plaisant à regarder pour le public. UAE a bien joué en plaçant Yates à l’avant. Ça a malheureusement condamné l’échappée mais ça a poussé les autres équipes jouant le général à faire beaucoup d’efforts. Ça a été sans pitié jusqu’à la fin. UAE et Visma se rendent coup pour coup", relevait au micro de RMC Sport Benoît Génauzeau, directeur sportif de TotalEnergies. Marc Madiot, lui, avait un peu plus de mal à digérer la stratégie déployée par les UAE autour de Yates.
"Il fallait tout sauf lui… Ça a foutu notre journée en l’air. C’est un peu dommage", regrettait le manager de Groupama-FDJ, qui avait réussi à placer Romain Grégoire et Kevin Geniets dans l’échappée, et qui a finalement dû se contenter d’une septième place au sprint avec Clément Russo. "On savait que ça pouvait vachement batailler aujourd’hui", commentait ce dernier. "Des équipes ont perdu des coureurs, tout le monde est fatigué… Dans ces moments-là, il y a beaucoup d’actions, tout le monde veut être devant. Ça n’a fait que rouler à fond, c’était encore bien difficile. Il n’y a pas eu de moment de répit, ça voulait faire mal aux autres avec des coups de vice où ça a cassé", insistait l’Isérois entre deux gorgées d’eau, les trais déformés par plus de trois heures d’efforts.
Alléchant avant les Pyrénées
Il suffisait d'observer chez certains acteurs les rictus sur leurs visages lessivés, semblables à ceux qu'on peut voir lors des arrivées en altitude, pour mieux comprendre la folie de cette 13e étape. "Quand on a levé la tête pour voir la longue montée à la sortie du départ fictif, on a compris que ça allait partir à la jambe et que ça allait casser. Le vent a ensuite donné une très belle journée de vélo", soulignait Anthony Turgis (TotalEnergies), marqué par "la nervosité" palpable de la première à la dernière minute. Pour notre consultant Jérôme Coppel, aucun doute, cette étape "va laisser des traces".
"On a eu droit à une énorme bagarre. Tout le monde a fini cramé physiquement et mentalement. Ce sont des journées qui vident les coureurs sur le plan nerveux parce qu’il toujours être bien placé, faire attention à la direction du vent et veiller à ne pas être piégé. Il ne s’est rien passé pour les classements mais personne ne s’est économisé. Personne ne pensait à demain." L’intensité devrait pourtant monter de plusieurs crans entre Pau et Saint-Lary-Soulan, ce samedi. Trois ascensions de haute volée seront au programme : le mythique col du Tourmalet (19 km à 7,4 %), la Hourquette d'Ancizan (8,2 km à 5,1 %) et la montée au Plat d'Adet (10,6 km à 7,9 %) où sera jugée l'arrivée. Le cocktail parfait pour de nouvelles étincelles.