"Au sommet de son art": en mode cannibale, Tadej Pogacar est-il définitivement entré dans la légende du Tour de France?

"Au sommet de son art": en mode cannibale, Tadej Pogacar est-il définitivement entré dans la légende du Tour de France?

Un paysage lunaire pour un Tadej Pogacar solaire. Un extraterrestre intouchable face à des concurrents réduits au rang de simples terriens. Même après avoir levé les bras à Valloire, au Pla d'Adet et au Plateau de Beille, l’ogre slovène n’était pas rassasié. Il lui en fallait encore plus. Marquer davantage les esprits. Parachever sa reconquête du Tour de France. Asseoir plus que tout sa domination sans partage. Pari réussi. À son aise mais patient dans la cime de la Bonnette, le toit de cette Grande Boucle et la route la plus haute route asphaltée du pays, juchée à 2.802 m d'altitude et où il aurait pu se rapprocher un peu plus des étoiles, le zébulon de Komenda a préféré s’envoler dans l’ultime montée menant à la station d'Isola 2000.

"Le meilleur Pogacar"

Alors qu’il pensait aller chercher la victoire en guise de lot de consolation pour des frelons de Visma décidément en panne de venin, le pauvre Matteo Jorgenson s’est fait croquer comme tous les autres par un alpiniste déterminé à écrire l’histoire. Sauf chute ou improbable pépin, Pogacar deviendra ce dimanche le premier coureur depuis Marco Pantani en 1998 à réaliser le doublé Giro-Tour la même année. Ce qui plongeait dans un bonheur difficilement descriptible son directeur sportif Matxin Fernandez, ce vendredi, à l’arrivée de la 19e étape, au pied d’un bus UAE-Emirates transporté dans une euphorie propre à ces journées où tout vous réussit. "C'est le meilleur Tadej Pogacar et le meilleur coureur que j'ai vu de ma carrière", souriait l’Espagnol devant une foule de journalistes.

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"Aujourd'hui, l'objectif de l'équipe était de travailler pour Tadej, pour essayer de gagner l'étape. C'est le meilleur coureur en ce moment sur le Tour de France. Aujourd'hui, on en voulait plus, c'était le plan", insistait-il, avant de s’interrompre pour donner une franche accolade à Adam Yates, un des fidèles lieutenants de "Pogi", lui-même rejoint par un Marc Soler envoyant du grand "Vamoooos". Quelques mètres plus loin, juste après avoir débriefé l’étape avec un certain Alberto Contador, double vainqueur du Tour reconverti consultant, Mauro Gianetti manquait lui aussi de mots pour décrire les performances de son protégé.

Une concurrence forcée de rendre les armes

"C'est extraordinaire. Tadej a finalisé un boulot d'équipe avec une action de champion. Jorgenson a vraiment fait une très bonne étape, il était très costaud, chapeau à lui parce qu'il a roulé toute la journée devant et il s'est fait rattraper juste à la fin. Il fallait un très grand Pogacar pour le priver de la victoire. Tadej, c'est immense ce qu'il a fait, c'est incroyable. Et Jonas (Vingegaard) n’est probablement pas dans une condition idéale", savourait le manager de la formation émiratie devant les cinq minutes séparant désormais le roi de ce Tour de son plus proche rival au général. Déjà tout heureux de son statut de troisième homme derrière le duo Pogacar-Vingegaard, Remco Evenepoel se disait au moins autant admiratif: "Tadej est juste un niveau au-dessus de tout le monde."

De rares esprits un brin naïfs voulaient croire à un retour du suspense pour les trois dernières étapes de cette 111e édition, arguant d’un Pogacar peut-être moins à l’aise au moment de dompter les longs cols. Raté. Ses derniers défauts ont été gommés, sa préparation réglée au millimètre, sa blessure au poignet de l’an dernier oubliée, et personne n’est aujourd’hui en mesure d’effleurer son niveau. D’autres avaient ricané de sa démonstration au printemps sur les routes du Giro, pointant du doigt une concurrence faiblarde qui l’aurait grandement aidé à rafler six étapes et à repousser à près de dix minutes son dauphin Daniel Felipe Martinez. Deux mois plus tard, le casting n’a plus rien à voir et Pogacar dégage pourtant la même "facilité" pour reprendre le terme spontanément employé par son sherpa Pavel Sivakov pour le décrire.

À quand un triplé historique?

"Il y a son flow sur le vélo et en dehors, la manière dont il flotte dans le peloton… C'est vraiment un coureur à part", soulignait le Français. Mais alors où situer dans la légende du vélo celui qui répète à l’envi qu’il veut être "le meilleur de l'histoire" ? Avec bientôt trois Tours de France à son palmarès, il ne sera plus si loin du record de cinq victoires codétenu par Jacques Anquetil, Eddy Merckx, Bernard Hinault et Miguel Indurain, les sept succès obtenus par Lance Armstrong entre 1999 et 2005 ayant été rayés par l’UCI. Au petit jeu des comparaisons, rappelons que Merckx a remporté au total onze grands Tours et dix-neuf Monuments. Le "Cannibale" a aussi été champion du monde à trois reprises, là où Pogacar tentera en septembre de l'être pour la première fois sur un parcours à sa convenance en Suisse. En observateur éclairé, Cédric Vasseur, le manager de Cofidis, saluait ce vendredi un coureur "au sommet de son art".

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"Il n’y a pas eu de tactique aujourd’hui, c’était vraiment à la pédale. Celui qui est surpris de le voir gagner, c'est qu'il n'a pas beaucoup suivi le cyclisme ces derniers temps. Pogacar a envie d'entrer dans l'histoire. Il va marquer de son empreinte la saison 2024. Pour nous, c'est un peu désespérant parce qu'on sait que quand on a un Pogacar au départ, aller dans les échappées, ce n'est pas payant. On doit gérer la course d'une manière différente. Mais c'est aussi un honneur, pour les organisateurs, de voir le maillot jaune gagner. On a vu Merckx, Hinault, Lemond, Indurain, tous les grands se sont imposés avec le maillot jaune. Il faut tirer un grand coup de chapeau à Pogacar." Au regard de sa forme et de ses ambitions sans limites, certains l’imaginent même tenter un historique triplé Giro-Tour-Vuelta, qui n’a jamais été réalisé sur la même année. Jusqu’à présent, le principal intéressé préfère en plaisanter et affirme ne pas y penser. Pour encore combien de temps?

Article original publié sur RMC Sport