Au Niger, quels scénarios militaires ou diplomatiques après l’expiration de l’ultimatum de la Cedeao ?
NIGER - Le compte à rebours s’est achevé et l’incertitude règne au Niger. L’ultimatum posé par Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) aux putschistes a pris fin dans la nuit du dimanche 6 au lundi 7 août. L’organisation avait donné sept jours à la junte pour rétablir de l’ordre constitutionnel et rendre ses fonctions au président élu Mohamed Bazoum, sous peine d’une intervention militaire.
Mais les putschistes s’accrochent au pouvoir et ont fermé l’espace aérien du pays. « Face à la menace d’intervention qui se précise à partir des pays voisins, l’espace aérien nigérien est fermé jusqu’à nouvel ordre », a indiqué un communiqué du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP, qui a pris le pouvoir). Alors que la tension continue de monter, l’avenir du Niger dépend des décisions politiques de ses voisins.
La Cedeao va-t-elle passer à l’attaque ?
Pour l’heure, la Cedeao n’a pas franchi le cap de l’attaque armée. Aucun déploiement de troupe n’avait été officiellement déclenché lundi matin. Une intervention militaire immédiate pour rétablir le président Mohamed Bazoum n’est pas envisagée à ce stade, selon une source proche de la Cedeao. Un sommet des dirigeants de ses pays membres aura lieu dans « les prochains jours » pour en décider, a-t-elle ajouté.
Pour autant les moyens sont prêts à être mobilisés des deux côtés. Les choses pourraient donc aller très vite si une attaque se déclare. La Cedeao a achevé vendredi un plan d’intervention après deux jours de travail pour mettre en commun notamment les forces du Nigeria, du Bénin, de la Côte d’Ivoire et du Sénégal.
Les zones de l’attaque potentielles, ainsi que l’ampleur des moyens mobilisés restent secret-défense. On sait cependant que la défense du Nigeria, l’une des armées les plus fournies avec environ 200 000 soldats, serait en tête des opérations. Selon une source militaire interviewée par Le Monde, près de 50 000 soldats pourraient être mobilisés pour cette opération, un chiffre plausible selon plusieurs experts.
La France a assuré son soutien à la Cedeao dans ses opérations. « Il faut prendre très au sérieux la menace de recours à une intervention » a ainsi déclaré samedi 5 août sur France Info la ministre française des affaires étrangères Catherine Colonna. Pour autant, le départ des soldats français n’est « pas à l’ordre du jour ».
De son côté, le CNSP affirme que « les forces armées nigériennes et les forces de défense et de sécurité sont prêtes pour défendre l’intégrité de notre territoire et l’honneur de notre patrie ». Il précise que « toute tentative de violation de l’espace aérien » entraînera « une riposte énergique et instantanée ».
Ce dimanche, près de 30 000 partisans du coup d’État militaire se sont réunis dans un stade de Niamey. Le général Mohamed Toumba, l’un des dirigeants du CNSP, a pris la parole devant cette foule pour dénoncer ceux « qui sont tapis dans l’ombre » et qui « sont en train de manigancer la subversion » contre « la marche en avant du Niger ». « Nous sommes au courant de leur plan machiavélique », a-t-il dit.
#Niger #Cédéao #CNSP
Des milliers de manifestants ont pris d'assaut ce dimanche après-midi, le Stade général Seyni Kountché de #Niamey pour exprimer leur soutien au #CNSP et contre les sanctions et menaces d'intervention militaire de la #Cédéao. pic.twitter.com/gBgcLGJIiF— Aboubacar Y. Barma (@aboubacarybarma) August 6, 2023
Les militaires nigériens ont reçu le soutien de leurs homologues du Mali et du Burkina Faso, également arrivés au pouvoir par des coups d’État en 2020 et 2022. Ces derniers affirment qu’une intervention au Niger serait une « déclaration de guerre » à leurs deux pays. L’armée malienne a annoncé ce lundi l’envoi à Niamey par le Mali et le Burkina Faso d’une délégation officielle conjointe en « solidarité » avec le Niger.
L’option « politique et diplomatique »
Cependant le scénario d’une attaque armée est pointé du doigt par deux États influents d’Afrique, non-membres de la Cedeao : le Tchad et l’Algérie. « Le Tchad n’interviendra jamais militairement. Nous avons toujours soutenu le dialogue », a ainsi déclaré Daoud Yaya Brahim, ministre de la Défense du Tchad. À eux deux, l’Algérie et le Tchad partagent près de 1 000 km de frontière avec le Niger. Le ministère des Affaires Étrangères algérien a appelé « à la prudence et la retenue », estimant qu’une intervention armée pourrait aggraver la crise actuelle plutôt que de la résoudre. Le président Abdelmadjid Tebboune a estimé à la télévision publique qu’une intervention serait « une menace directe » pour son pays. « Il n’y aura aucune solution sans nous » l’Algérie, a-t-il ajouté, craignant que « tout le Sahel s’embrase » en cas d’intervention.
Au Nigeria des voix se sont aussi élevées pour empêcher un déclenchement des hostilités. Samedi les sénateurs du Nigeria ont appelé le président Bola Tinubu, également à la tête de la Cedeao, à « renforcer l’option politique et diplomatique ». Le Sénat nigérian demande d’ « intensifier les négociations avec les putschistes en envoyant à nouveau une délégation » à Niamey.
L’hypothèse diplomatique d’accorder un délai supplémentaire au Niger est aussi évoquée. L’Italie « espère » que l’ultimatum de la Cedeao « sera prolongé », a déclaré son ministre des Affaires étrangères ce lundi en soulignant que « l’unique issue est diplomatique ». « Il faut trouver une solution : il n’est pas dit qu’on ne trouvera pas une solution qui ne soit pas la guerre », a-t-il ajouté.
« Il faut empêcher le scénario catastrophique d’une guerre », a martelé de son côté un collectif de chercheurs, spécialistes du Sahel, dans une tribune publiée samedi dans Libération. « Une guerre de plus au Sahel n’aura qu’un vainqueur : les mouvements jihadistes qui depuis des années construisent leur expansion territoriale sur la faillite des États », écrivent-ils.
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