Avec Spider-Man New Generation, les réalisateurs voulaient "rendre l'expérience de celle des autres films Spider-Man"

Six versions de Spider-Man pour le prix d'un film : c'est que nous offrent Peter Ramsey, Bob Persichetti et Rodney Rothman avec New Generation, long métrage animé aussi sublime qu'il est intelligent et malin, dans sa façon d'évoquer la place de l'Homme-Araignée dans la pop culture. Trois réalisateurs qui ont profité de leur passage au Comic-Con de Paris pour nous faire entrer dans le multivers qu'ils ont mis en place.

AlloCiné : Ce film vous permet de réunir toutes les versions de Spider-Man dans une même histoire. Est-ce pour cette raison que le projet vous a plu, car vous n'aviez pas à en choisir une seule ?
Bob Persichetti : Quand nous avons commencé à travailler dessus, il y a trois ans, notre but était de faire un film sur Miles Morales. Un gamin de Brooklyn âgé de 13 ans, avec une mère et un père..., une petite histoire de famille intimiste qui se mue en un spectacle super-héroïque. Et Miles vient d'une réalité alternative, ce qui nous a donné un point d'entrée pour tous les autres personnages : Peter Parker bien sûr, mais également Spider-Gwen, qui est aussi Spider-Woman, Spider-Cochon, Spider-Noir, Penny et SPDR. Autant de personnes qui vivent simultanément dans l'univers Marvel, mais dans des mondes parallèles, donc nous avons eu la chance de pouvoir trouver une astuce narrative, au sein de l'origin story de Miles, à savoir ouvrir un portail qui réunit les personnages et prouve ainsi au jeune homme que malgré tout ce qu'il a à surmonter, il n'est pas tout seul. Commes les ados ne le sont pas.

Des comic books précis vous ont-ils servi d'inspiration ?
Rodney Rothman : Non, nous étions libres de faire ce que nous voulions. Mais nous nous sommes beaucoup appuyés sur les comic books mettant Miles Morales en scène, ainsi qu'une série de numéros centrée sur le Spider-Verse. Et certains de leurs créateurs ont été consultants sur le film, il y en a qui ont même participé sur le plan artistique, donc nous avons pu nous baser sur un matériau pré-existant pour, ensuite, dévier quand nous le voulions, afin que l'ensemble fonctionne mieux sur le plan cinématographique.

Bob Persichetti : C'est vraiment notre adaptation de l'histoire de Miles Morales.

"C'est davantage l'esprit du comic book que nous avons essayé de capturer" - Rodney Rothman

Le mot "adaptation" est particulièrement bien choisi car il convient aussi pour décrire l'animation, sublime, avec ces petits points qui donnent l'impression qu'un comic book prend vie sous nos yeux.
Peter Ramsey : C'était vraiment le but oui. L'une des choses qui nous importaient le plus, était de rendre l'expérience différente de celle des autres films Spider-Man. Il y en a eu beaucoup de très bons, donc notre défi a été d'apporter quelque chose de nouveau et de frais. Vu que nous travaillons dans l'animation, nous avons pu revenir au matériau original, les comic books, qui reposaient sur les dessins - comme l'animation -  et une dynamique visuelle claire, et aller plus loin en reprenant la façon dont ils étaient imprimés pour que notre style, notre esthétique, aient vraiment quelque chose d'unique et que l'on ne voit pas dans la plupart des films d'animation.

Cela veut-il dire que les comic books vous ont aussi servi de storyboard ?
Peter Ramsey : Pas littéralement. Mais bon nombre des techniques de récit du comic book ont été incorporées dans notre storyboard.

Rodney Rothman : Et notre film est fait par des artistes, dont la plupart ont été inspirés par les comic books. Donc même si quelques plans en sont directement issus, c'est davantage l'esprit que nous avons essayé de capturer.


Rodney Rothman, Peter Ramsey & Bob Persichetti

"Spider-Man New Generation" fourmille d'idées. Vous a-t-il été compliqué de les concrétiser dans le film ?
Bob Persichetti : Oh oui ! (tous trois rient) Nous avons une histoire complexe, avec différents récits qui évoluent en son sein, mais nous en revenions toujours à l'histoire de famille. Il a toujours été question de Miles et de sa relation avec sa famille, c'était notre devise, ce à quoi nous nous accrochions. Quand nous avons compris que nous pourrions raconter cette histoire en adéquation avec notre esthétique, nous avons cherché ce que nous pourrions rajouter pour creuser l'esprit recherché et son expression cinématographique. C'est pour cette raison que nous avons des inscriptions dans des bulles, des cartons, même si nous cherchions toujours à montrer l'histoire à travers les yeux de Miles.

C'est notamment pour cela que toutes ces choses apparaissent au-dessus de sa tête après qu'il se soit fait piquer. Ou que nous avons pu représenter visuellement le Spider-Sense, et nous étions très excités à l'idée de pouvoir le faire. Lorsque vous regardez les comic books, il y a beaucoup de moments de narration visuelle qui n'avaient jamais été transposés sur grand écran. Nous avons eu une grande liberté créative.

Rodney Rothman : Le monde de Miles est une version alternative du nôtre. Il se trouve qu'il ressemble à un comic book, mais pour lui c'est la réalité. C'est à partir de cela que nous avons travaillé : cette idée que le monde devait sembler réel pour Miles, et amusant pour nous.

On pense aussi au jeu vidéo, en matière d'esthétique, de rendu visuel. Était-ce aussi l'une de vos influences ?
Peter Ramsey : (il hésite) Peut-être de façon secondaire. Ce qui nous intéressait avant tout était de capturer l'esprit d'un bon comic book. Leur force est de vous présenter des images fortes et claires qui vous restent. Nous voulions que tout, du style d'animation à l'éclairage, ait le même type de dynamisme et vous donne ce sentiment, très intime, que vous avez en lisant à votre rythme, en vous perdant dans les pages. C'est une expérience différente de celle que vous vivez en jouant à un jeu ou en regardant un film.

Bob Persichetti : C'est interactif.

Peter Ramsey : Oui, vous êtes seul avec le comic book. Et nous avons essayé de renouer avec cet esprit.

"Si nous ne représentons pas cela à travers notre art, c'est que nous vivons dans une bulle" - Bob Persichetti

Tous les personnages du film sont inédits au cinéma, à l'exception de Peter Parker, dont les précédents films font l'objet de blagues. Cela signifie-t-il que votre Peter s'inscrit dans la continuité de l'un des acteurs l'ayant incarné ?
Rodney Rothman : (rires) Des gens le pensent, mais la réponse est non. Notre Peter Parker est une création originale, il se suffit à lui-même. Ceci étant dit, nous traitons ici l'histoire de Spider-Man comme un mythe, car c'est une histoire qui existe depuis des décennies, qui a parcouru le monde entier, rapporté beaucoup d'argent et vraiment résonné en nous. C'est un mythe moderne ! Et ce type d'histoire voyage, donc notre Spider-Man a vécu de choses que Tobey Maguire a pu vivre, mais il n'est pas Tobey Maguire.

Pourquoi le personnage de Spider-Man est-il toujours aussi aimé, toujours aussi mythique, pour reprendre vos termes ?
Peter Ramsey : Je pense que cela a beaucoup à voir avec le fait que sous le masque se trouve une personne normale, avec des peurs normales, des problèmes normaux, une famille, des relations. Et cette idée que les super-pouvoirs ne résolvent pas tout, car il faut toujours se frayer un chemin dans une vie normale et assumer la responsabilité des pouvoirs que l'on a reçus, décider de la façon dont on va s'en servir. Il y a la réplique "Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités", et le clé de la popularité de Spider-Man réside, pour moi, dans cette idée que n'importe qui peut avoir ces pouvoirs, se cacher sous ce masque, mais que ce sont nos actions en tant que personne, pour être à la hauteur de cet idéal, qui définissent si nous sommes un héros ou une simple personne masquée.

Est-ce aussi l'approche qu'il faut avoir dans un film de super-héros selon vous ? Se focaliser sur l'humain derrière le masque ?
Bob Persichetti : Il le faut ! C'est le tissu conjonctif. Nous aspirons tous à faire de grandes choses dans notre vie et ces gens reçoivent des dons qui les défient de faire immédiatement quelque chose de grand. Ils doivent faire preuve de résilience et être altruistes pour se montrer à la hauteur. Aider les autres est quelque chose d'héroïque, c'est un comportement humain en soi.


Miles Morales, héros en devenir

Vous vous focalisez surtout sur Miles Morales, alors qu'il y a eu "Black Panther" cette année et que "Captain Marvel" arrive. Pensez-vous que la diversité prend enfin de l'ampleur dans les films de super-héros ?
Bob Persichetti : Définitivement. Dans le monde même. Le monde se mélange, et si nous ne représentons pas cela à travers notre art, c'est que nous vivons dans une bulle.

Peter Ramsey : Cela paraît nouveau dans les films, de super-héros ou pas, et même dans le nôtre. Mais c'est ce que la plupart des habitants du monde vivent en réalité. Il y a des millions de Miles Morales ! Et chacun peut s'identifier à ses problèmes et aux situations qu'il traverse, peu importe sa nationalité et son ethnicité.

Rodney Rothman : Vous avez devant vous trois personnes qui ont travaillé sur ce film et se sont toutes senties connectées à Miles. Nous avons mis des morceaux de nous dans ce film auquel nous nous sommes identifiés.

Bob Persichetti : Alors que nous avons tous des expériences différentes. Nous sommes trois réalisateurs, ce qui peut passer pour une anomalie, et nous sommes très variés, donc c'était facile à représenter à l'écran.

Comment avez-vous travaillé à trois sur "Spider-Man New Generation" ? Aviez-vous des tâches bien spécifiques ?
Bob Persichetti : L'idée était surtout d'essayer de finir le film (rires) Chacun est allé vers son domaine de prédilection quand il le fallait, mais si j'étais, par exemple, sur l'animation, Peter à la caméra et Rodney aux pages de scénario, nous faisions en sorte de nous regrouper dans la salle de montage pour échanger sur ce que nous avions, pour tenter d'améliorer l'histoire et faire en sorte que ce soit la meilleure possible. Mais l'ensemble donne l'impression de venir d'une seule voix et c'était notre plus grande victoire que de savoir que nous pouvions nous réunir et débattre sur ce que nous voulions mettre à l'écran, mais donner l'impression qu'il y avait une seule vision derrière cette collaboration.

Rodney Rothman : Mais c'est aussi parce que nous avions le même but. Tous ceux qui ont travaillé sur le film étaient désireux de tenter de créer un nouveau type de long métrage, ce qui est très stimulant comme mission. C'est ce qui nous a tous inspirés et, lorsque vous avez un objectif aussi unifié, tout est plus facile.

Ce film ressemble au film Spider-Man ultime, mais pensez-vous déjà à une suite [celle-ci a été annoncée quelques semaines après notre interview, ndlr] ?
Bob Persichetti : (rires) Il est impossible de faire un tel film dans le contexte actuel sans avoir de suite dans les idées. Et les réactions des spectateurs, qui en redemandent, nous donnent envie de faire des suites.

Peter Ramsey : Le Spider-Verse est grand (rires)

Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 27 octobre 2018

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