Spams, faux comptes… La stratégie de la Chine pour stopper la contestation

Une armée de faux comptes poste et republie à une allure effrénée
Une armée de faux comptes poste et republie à une allure effrénée

Face à la vague de protestations d’ampleur en Chine, le gouvernement de Xi Jinping a tenté de noyer les revendications des manifestants dans la masse, avant d’annoncer un allégement des restrictions anti-covid.

Au grands maux les grands remèdes. La "stratégie Zéro Covid" prônée par le gouvernement chinois depuis le début de l’épidémie a déclenché ces dernières semaines une vague de colère sans précédent depuis les manifestations de Tian’anmen en 1989. L’incendie d’un immeuble confiné à Urumqi le 24 novembre dernier, où 10 personnes ont perdu la vie, a mis le feu aux poudres. Les Chinois déjà échaudés par les tests quotidiens et les confinements sans fin sont descendus en masse dans la rue au péril de leur vie.

"Ces manifestations ternissent l’image de Xi Jinping qui veut donner une impression de toute puissance au niveau national comme international, souligne Julie Remoiville, docteure de l’EPHE et spécialiste de la Chine. Les appels à sa démission montrent une faiblesse du régime insupportable pour lui." Depuis le début de l’épidémie de Covid-19, le pays ne veut aucun cas de coronavirus sur son territoire et en a fait une idéologie le différenciant de l’Occident. Vivre sans plutôt que vivre avec, comme les autres. Revenir sur cette stratégie serait un camouflet difficilement tolérable pour le président de la République populaire de Chine qui cherche par tous les moyens à garder le cap.

Une vague de spams

"Grâce à la grande muraille du net, le pays filtre et contrôle ce qu’il se passe sur le territoire, rappelle Julie Remoiville. Le fait nous ayons eu accès aux images des protestations montre qu’énormément de vidéos ont circulé et que tout n’a pas pu être censuré assez vite." Outre les réseaux sociaux nationaux, les Chinois doivent ruser pour communiquer avec le monde. L'utilisation de VPN permet de se connecter à des applications normalement interdites comme Twitter sans passer par le réseau de télécommunication public. Maintenant, "les policiers confisquent directement les téléphones pour enlever les VPN et empêcher la diffusion d’images", note la spécialiste de la Chine.

Une fois les images diffusées, une technique déployée pour rendre la contestation inaudible est de faire déferler une vague de spams sur les réseaux. Sur Twitter, des milliers de messages à caractère sexuel encombrent les fils d'information relatifs au mouvement de contestation en Chine. "Les recherches en chinois avec les noms des villes où les manifestations ont lieu sont inondées de publicités affichant de jeunes femmes”, note ainsi James Millward, enseignant en histoire de la Chine à l'université de Georgetown, aux États-Unis.

Franceinfo, qui s’est penché sur la question, montre que sur 3 142 tweets comportant le mot-clé "Shanghai" en caractères chinois postés le 1er décembre en 90 minutes, 95% affichent des photos érotiques. Soit un toutes les deux secondes. La recherche d’images inversées révèle que ces photos proviennent de sites chinois.

Une armée de faux comptes

Cette vague de désinformation est notamment possible grâce à une armée de faux comptes qui poste et republie à une allure effrénée. Le cas "Wilson Edwards" en est une bonne illustration. Le 24 juillet 2021, un prétendu biologiste suisse a publié un texte sur Twitter et Facebook laissant penser que les États-Unis faisaient pression sur l’OMS pour que son enquête indique que le laboratoire chinois de Wuhan était à l’origine de la pandémie de Covid-19. Une publication largement relayée par les médias chinois avant que l’ambassade de Suisse à Pékin ne précise que le nom de "Wilson Edwards" ne figurait sur aucun de ses registres. Le compte a par la suite été supprimé et les citations dépubliées.

Une enquête de Meta publiée fin novembre 2021 a mis en avant que dans ce cas précis, des comptes avaient été créés depuis une société chinoise de sécurité informatique (Sichuan Silence Information Technology Co, Ltd), mais aussi par des salariés de sociétés officielles ou de fonctionnaires chinois dans plus de 20 pays. L’information a notamment pu faire le tour du monde grâce aux millions de personnes employées par la Chine pour protéger son image sur internet.

Les campagnes de désinformation ont, semble-t-il, leurs limites. Malgré les efforts déployés, la Chine a annoncé mercredi un allégement des restrictions sanitaires contre le Covid-19, sans pour autant renoncer complètement à la "stratégie zéro covid". Désormais, les personnes infectées asymptomatiques et les cas légers ne seront plus obligés d’aller en centre de quarantaine et pourront rester confinées à domicile. La cadence des tests vont aussi être réduits. "Nous allons maintenant voir s’il y a un décalage entre le discours et la pratique et si ces allégements seront suffisants", conclut Julie Remoiville.

VIDÉO - Covid-19 : la Chine annonce un allègement général des règles sanitaires