La soumission chimique au cœur du procès de 51 hommes accusés d’avoir violé une femme droguée par son mari

Pendant 10 ans, Dominique P. a recruté des inconnus sur Internet pour violer son épouse après l’avoir droguée avec des anxiolytiques. Le procès hors norme doit durer quatre mois.

Quatre mois d’audience et 51 accusés âgés de 21 à 68 ans. Un procès hors norme s’ouvre ce lundi 2 septembre à Avignon avec un sujet central : celui de la soumission chimique. Pendant 10 ans, Dominique P. a recruté des inconnus sur Internet pour violer son épouse après l’avoir droguée avec des anxiolytiques.

Dans la lutte contre les violences faites aux femmes, la soumission chimique est un angle mort

Pour l’épouse, ce procès devant la cour criminelle de Vaucluse sera « une épreuve absolument terrible ». Car la septuagénaire, qui souhaite conserver l’anonymat, « va vivre pour la première fois, en différé, les viols qu’elle a subis pendant dix ans », explique Me Antoine Camus, l’un de ses avocats.

Cette affaire hors du commun avait débuté quatre ans plus tôt, le 12 septembre 2020, par un fait divers : surpris par un vigile, Dominique P., retraité d’EDF, est interpellé au centre commercial Leclerc de Carpentras (Vaucluse) en train de filmer sous les jupes de trois clientes. En fouillant son ordinateur, saisi à son domicile de Mazan, village proche du mont Ventoux, les enquêteurs découvrent des milliers de photos et vidéos de son épouse, visiblement inconsciente, souvent en position fœtale, violée par des dizaines d’inconnus, au domicile familial.

« Tous savaient » qu’elle était droguée

Les policiers retrouvent aussi des conversations du mari sur le site coco.fr, où il invitait ses interlocuteurs à venir profiter de sa femme. Dénoncé comme un « repaire de prédateurs », ce site de rencontres a été fermé en juin par la justice. Au total, 92 faits de viols sont recensés, par 72 hommes. Mais seule une cinquantaine seront formellement identifiés.

Cariste, intérimaire, officier chez les pompiers, infirmier, entrepreneur ou journaliste, célibataires, mariés ou divorcés, pères de famille souvent : les 50 co-accusés de Dominique P., 71 ans désormais, maintiennent pour beaucoup avoir seulement participé aux fantasmes d’un couple libertin.

L’ex-mari maintient que « tous savaient » que son épouse était droguée à son insu, et il n’aurait jamais raconté un quelconque « scénario ». Si l’absence de consentement de l’épouse, dans un état « plus proche du coma que du sommeil », selon un expert, est acquise, la perception des faits par les 50 co-accusés sera au cœur des débats. Même si, pour l’instruction, « chaque individu disposait de son libre arbitre » et aurait pu « quitter les lieux ». Selon Dominique P., seuls trois l’auraient pourtant fait, repartant « sans conclure ».

C’est finalement le 2 novembre 2020 que l’épouse de l’ex-électricien apprend de la bouche des policiers qu’à 68 ans, malgré 50 ans de vie commune, elle ne savait rien de son mari. C’est aussi une famille de trois enfants et cinq petits-enfants qui se retrouve pulvérisée. Et j’ai cessé de t’appeler papa deviendra le titre du livre d’une des filles du couple, Caroline Darian (son nom de plume).

Celle-ci transforme le choc en combat et accepte de revenir longuement dans les médias et dans son livre sur l’affaire avec un seul but, que cela serve aux autres. Car la soumission chimique qu’a subi sa mère est selon elle « un fléau de société », encore largement méconnu et délaissé par les pouvoirs publics, qu’elle dénonce avec son association M’endors pas.

« Le miroir d’une réalité bien plus vaste »

Quand on parle de soumission chimique, c’est-à-dire le fait d’administrer une substance à quelqu’un sans son consentement dans un but criminel, on pense surtout à un inconnu qui glisse dans un verre en soirée du GHB, aussi surnommé « la drogue du violeur ». Or selon l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), plus de la moitié des cas recensés de soumission chimique se déroule en réalité dans la sphère privée, par un proche.

Des chiffres qui seraient le « miroir d’une réalité bien plus vaste », selon Caroline Darian, les statistiques de l’ANSM étant basés principalement sur les plaintes alors que les victimes n’ont souvent pas conscience qu’elles ont été droguées. « Autrement dit, les quelques centaines de signalements suspects recensés chaque année ne sont que la partie visible de l’iceberg, qui ne prend pas en compte les personnes en errance thérapeutique et dont les symptômes liés à la soumission chimique n’ont pas été détectés », regrettait-elle dans une tribune publiée sur Le HuffPost en novembre 2023.

« Aucun dispositif sanitaire n’est aujourd’hui mis en place pour donner aux professionnels les moyens de repérer les violences et de protéger les victimes. Aucun renforcement des liens entre soins de ville et justice ne permet pour l’instant d’encourager le signalement ou la judiciarisation des affaires, » déplorait-elle également.

Les parties civiles n’ont finalement pas demandé le huis clos pour le procès qui s’ouvre ce lundi. En juillet 2023, Caroline Darian disait à Libération ses espoirs qu’il ouvre la voie sur la soumission chimique : « J’attends qu’ils prennent tous très, très cher. Cela doit faire jurisprudence. »

À voir également sur Le HuffPost :

Deux victimes de soumission chimique racontent comment elles ont été droguées à leur insu

Six ans après #Metoo, la France en a-t-elle fait assez contre les violences faites aux femmes ?