Trump tire contre son camp avant de rencontrer Poutine

Après plusieurs mois à s'échanger des compliments à distance, le président américain Donald Trump et son homologue russe Vladimir Poutine tiennent leur premier sommet, lundi dans la capitale finlandaise Helsinki, en forme de danger potentiel pour Trump et de victoire géopolitique pour Poutine. /Photo prise le 15 juillet 2018/REUTERS/Ints Kalnins

par Andrew Osborn et Jeff Mason

HELSINKI (Reuters) - A quelques heures d'un premier sommet politiquement risqué avec Vladimir Poutine, Donald Trump a tenu la "stupidité" de son propre pays pour unique responsable de la dégradation des relations américano-russes, dont il a estimé qu'elles n'avaient "jamais été aussi mauvaises".

La charge virulente sur Twitter du président américain contre l'administration de son prédécesseur, Barack Obama, contraste avec l'assurance tranquille du Kremlin, qui tout en disant s'attendre à un entretien "difficile", le voit déjà comme une victoire pour Vladimir Poutine et la fin de l'ostracisation de la Russie par les Occidentaux.

La situation est beaucoup plus délicate pour Donald Trump, empêtré dans les méandres de l'enquête du procureur spécial Robert Mueller sur les soupçons d'ingérence de la Russie dans l'élection présidentielle américaine de 2016 et sur une possible collusion entre Moscou et son équipe de campagne - ce que les intéressés démentent avec véhémence.

Le sommet intervient trois jours après qu'un grand jury américain a inculpé 12 membres des services de renseignement russes pour avoir piraté les systèmes informatiques d'Hillary Clinton, candidate démocrate à la présidentielle de 2016.

Donald Trump a promis d'aborder "fermement" le sujet avec son homologue russe à Helsinki mais il n'a pu s'empêcher de dénoncer une nouvelle fois lundi ce qu'il considère comme une "chasse aux sorcières".

"Nos relations avec la Russie n'ont JAMAIS été aussi mauvaises en raison de nombreuses années d'irresponsabilité et de stupidité des Etats-Unis et maintenant la chasse aux sorcières biaisée", a-t-il écrit sur Twitter.

TRUMP SAIT-IL POUR QUELLE ÉQUIPE IL JOUE?

Dans un autre tweet, Donald Trump a accusé Barack Obama de n'avoir "rien fait" pour empêcher de possibles ingérences russes dans la campagne de 2016 après en avoir été averti par le FBI, et de n'avoir monté cette affaire en épingle qu'après sa victoire aux dépens de la candidate démocrate Hillary Clinton.

Cette dernière s'est d'ailleurs rappelée au bon souvenir de son rival républicain en twittant dimanche à l'issue de la Coupe du monde de football en Russie: "Super Coupe du monde. Question pour le président Trump avant son entretien avec Poutine: Savez-vous pour quelle équipe vous jouez?"

Le président américain a multiplié depuis son élection les éloges à l'intention de Vladimir Poutine, dont il a vanté à maintes reprises les qualités de dirigeant, et promis un rapprochement américano-russe.

Mais il a jusqu'à présent été freiné dans ses ardeurs par l'enquête du procureur Mueller ou plus récemment l'affaire de l'empoisonnement de l'ancien agent double russe Sergueï Skripal en Grande-Bretagne, qui a entraîné l'expulsion de 60 diplomates russes basés aux Etats-Unis - et réciproquement.

Alors que ni Washington, ni Moscou, ne disent s'attendre à des avancées majeures lors du sommet d'Helsinki, l'hypothèse d'un retour des diplomates expulsés et de la réouverture des consulats russe à Seattle et américain à Saint-Pétersbourg a été évoquée en guise de possibles signes de bonne volonté.

Soucieux de présenter la tenue du sommet comme un succès quelle qu'en soit l'issue, le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a fait savoir que le Kremlin le considérerait comme un succès si un accord est trouvé ne serait-ce que pour rouvrir les lignes de communication entre les deux capitales.

Du point de vue russe, la tenue du sommet est en elle-même une victoire géopolitique pour Vladimir Poutine car elle montre que Washington reconnaît Moscou comme une grande puissance dont il faut prendre en compte les intérêts.

L'organisation de ce sommet prouve, aux yeux du Kremlin, que les efforts occidentaux pour isoler la Russie ont échoué.

POUTINE À TOUT À GAGNER

"Les risques politiques sont plus faibles pour Poutine que pour Trump", souligne Andreï Kortunov, directeur du Riac, groupe de réflexion moscovite proche du ministère russe des Affaires étrangères. "Poutine a moins à perdre et plus à gagner, parce qu'il n'a pas d'opposition intérieure (...) et n'est pas l'objet d'une enquête comme l'est Trump."

Alliés de Washington et politiciens américains sont inquiets de ce que Donald Trump pourrait dire ou des concessions qu'il pourrait faire lors du sommet, après une semaine en Europe durant laquelle il a qualifié l'Union européenne d'"ennemie" des Etats-Unis, critiqué ses alliés de l'Otan et mis en doute l'importance des relations entre Washington et Londres.

Donald Trump a eu beau assurer lundi dans un tweet que le sommet de l'Otan avait été "vraiment super" et accuser "la plupart des médias" d'en avoir fait un compte rendu déformé, les Européens craignent que les Etats-Unis rompent avec la solidarité occidentale en se rapprochant de la Russie.

De nombreux dirigeants occidentaux reprochent à la Russie l'annexion de la Crimée en 2014, son soutien aux séparatistes en Ukraine et son soutien au régime syrien de Bachar al Assad. Ils estiment qu'une normalisation complète des relations avec Moscou ne peut intervenir sans concessions de Vladimir Poutine sur ces points.

Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a déclaré lundi que Donald Trump attendait de la Russie qu'elle use de son influence auprès de Bachar al Assad pour obtenir le départ de Syrie des forces déployées par l'Iran et ses alliés.

"Nous savons tous ce que Washington pense de l'Iran. Mais dans le même temps, l'Iran est un bon partenaire pour nous en matière de commerce, de coopération économique et de dialogue politique. Donc l'échange de points de vue ne va pas être simple", a-t-il prévenu.

(Avec Steve Holland à Helsinki, Christian Lowe et Polina Devitt à Moscou; Jean Terzian et Tangi Salaün pour le service français, édité par Véronique Tison)