Le Somaliland, en quête de reconnaissance, élit son président
Dès l'aube, les habitants du Somaliland, république autoproclamée qui a fait sécession de la Somalie, sont sortis mercredi pour élire leur président, au moment où leur quête de reconnaissance internationale secoue la Corne de l'Afrique.
Les 1,22 million d'électeurs doivent choisir entre le président sortant Muse Bihi, au pouvoir depuis 2017, le leader du principal parti d'opposition (Waddani) Abdirahman Mohamed Abdullahi, dit "Irro", et celui du Parti de la justice sociale (UCID) Faysal Ali Warabe.
Au-delà du résultat, "c'est un jour très important", explique Hamza Moussa Ali, arrivé dès 01H00 du matin - soit cinq heures avant l'ouverture du scrutin - à son bureau de vote situé sur la place principale de la capitale Hargeisa, où trône un avion de chasse somalien abattu lors du bombardement de la ville par l'armée somalienne en 1988.
"Nous devons montrer que la manière dont nous votons est un processus démocratique. Nous devons montrer au monde que le Somaliland (...) peut être reconnu en toute sécurité", explique ce travailleur humanitaire de 32 ans.
Ancienne Somalie britannique, ce territoire de la taille de l'Uruguay (175.000 km2) à la pointe nord-ouest de la Somalie a déclaré unilatéralement son indépendance en 1991, alors que la République de Somalie sombrait dans le chaos après la chute du régime militaire de l'autocrate Siad Barre.
Le Somaliland fonctionne depuis en autonomie, avec ses propres monnaie, armée et police, et se distingue par sa relative stabilité comparé à la Somalie, minée par l'insurrection islamiste des shebab et les conflits politiques chroniques.
Mais il n'est reconnu par aucun pays, ce qui le maintient dans un certain isolement politique et économique malgré sa situation à l'entrée du détroit de Bab-el-Mandeb, sur l'une des routes commerciales les plus fréquentées au monde reliant l'océan Indien au canal de Suez.
- "Yeux rivés sur nous" -
Sa quête de reconnaissance est depuis 10 mois au cœur d'une profonde crise diplomatique entre la Somalie et l'Ethiopie, avec qui le gouvernement somalilandais a signé un protocole d'accord controversé.
Le texte n'a jamais été rendu public mais, selon les autorités d'Hargeisa, il prévoit la location de 20 kilomètres de côtes à l'Ethiopie, plus grand Etat enclavé au monde, en échange d'une reconnaissance formelle.
Dénonçant une "violation" de sa souveraineté, la Somalie s'est depuis rapprochée de l'Egypte, grand rival de l'Ethiopie, déclenchant une escalade verbale et militaire qui inquiète la communauté internationale.
Le texte ne s'est pour l'instant pas concrétisé mais le président somalilandais Muse Bihi, 76 ans, assure que la reconnaissance tant attendue est imminente.
"Notre reconnaissance est maintenant sur la table. La communauté internationale a les yeux rivés sur nous", estime Khadra, une de ses partisanes de 26 ans qui ne donne que son prénom, exhibant son auriculaire teinté d'encre, preuve de son vote.
"Beaucoup de gens critiquent Muse Bihi, mais il est le seul à avoir fait avancer le pays", juge-t-elle, citant notamment des progrès pour l'armée et dans l'éducation.
- Ancien diplomate contre ancien militaire -
Les deux autres candidats, dont son principal rival "Irro", ne s'opposent pas au protocole d'accord mais reprochent au dirigeant d'avoir divisé le Somaliland.
Ancien diplomate (ambassadeur en URSS et Finlande) et président de la Chambre des représentants (2005-2017), âgé de 68 ans, "Irro" s'affiche en figure unificatrice face à la personnalité à poigne de Muse Bihi, ancien militaire.
Il accuse notamment le président sortant d'avoir attisé les divisions claniques qui ont abouti à la perte d'une partie de la région de Sool, dans le sud-est du territoire.
Après des mois de violents combats contre une milice pro-Mogadiscio qui ont fait au moins 210 morts, les forces somalilandaises se sont retirées en août 2023 de la moitié de cette région.
Initialement prévue en 2022, l'élection avait été reportée pour des "raisons techniques et financières". L'opposition avait dénoncé une prolongation du mandat du président. Des manifestations avaient été violemment réprimées, faisant cinq morts.
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