"Soit il est idiot, soit il nous teste": pourquoi les impôts tendent les échanges entre Barnier et les macronistes

"C'est notre totem et on va le défendre." C'est ainsi que la porte-parole démissionnaire du gouvernement Prisca Thevenot résume auprès de BFMTV.com l'ambiance dans l'ex-majorité. Si Michel Barnier s'attelle depuis 13 jours à constituer un gouvernement, l'hypothèse d'une hausse d'impôts évoquée par le Premier ministre auprès de certains de ses interlocuteurs a mis le feu aux poudres - même si son entourage a assuré par la suite qu'"aucune mesure fiscale n'est envisagée à ce stade".

Il est "hors de question" d'"entrer dans un gouverment qui augmente la fiscalité voire même de "le soutenir", a assuré Gérald Darmanin sur France 2 ce mercredi 18 septembre, laissant planer la possibilité d'une motion de censure.

"Quand on veut créer un gouvernement, on décide d'abord de quel est le menu plutôt que d’avoir ensuite une soupe à la grimace", explique un très proche de Gérald Darmanin. "Un sujet comme les impôts, il faut en parler avant."

"On ne peut pas défaire tout ce qu'on a fait"

"En s'y opposant, Gérald Darmanin lui rend service", assure un autre familier du ministre de l'Intérieur démissionnaire. "Les députés EPR (Renaissance) et les LR ont été élus sur la promesse d’un bouclier anti-hausses d’impôts. Et après on retournerait sur les marchés pour se prendre des tomates?"

Il est vrai qu'Emmanuel Macron n'a eu de cesse de multiplier les baisses d'impôts pour les ménages et les entreprises depuis 2017: fin de la taxe d'habitation, disparition de l'impôt sur la fortune, baisse des impôts sur les sociétés... Une politique volontariste qui a permis à Bruno Le Maire de se vanter lors de son discours d'adieux à Bercy d'avoir mis en place "55 milliards d'euros de baisse d'impôts depuis 2017."

"On ne peut pas défaire tout ce qu'on a fait depuis sept ans", s'agace le sénateur macroniste Xavier Iacovelli.

"Remettre en cause notre ADN politique et penser qu'on va dire oui... Et Michel Barnier croit qu'on va se laisser faire? Soit il est idiot, soit il nous teste", juge plus vertement l'un de ses collègues à l'Assemblée nationale.

"Plus grande justice fiscale"

Mais face à une situation financière très tendue, la politique fiscale menée depuis 2017 semble désormais difficile à tenir. Le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, a estimé mercredi que l'objectif fixé par le gouvernement sortant de réduire le déficit public à 5,1% du PIB en 2024 ne serait pas atteint, jugeant "vraiment inquiétante" la situation des finances publiques françaises.

"On a trop de déficits et de dette, il faut faire des compromis", a abondé le gouverneur de la Banque de France François Villeroy de Galhau sur BFMTV-RMC ce mercredi matin. Michel Barnier a évoqué de son côté une situation budgétaire "très grave" ce mercredi matin qui mérite mieux que "des petites phrases".

Si la pression est montée ces dernières heures, le Premier ministre avait déjà annoncé la couleur, moins de 24 heures après son arrivée à Matignon.

"Je ne m'interdis pas une plus grande justice fiscale", avait assumé le nouveau chef du gouvernement lors de sa première interview sur TF1, sans entrer dans le détail.

Une étude menée par l'économiste Gabriel Zucman en janvier dernier démontrait que le taux d'imposition réel des ultra-riches en France n'avait été que de 2% en 2022.

"On passe pour des imbéciles après des électeurs"

"Concrètement, Barnier a évoqué devant moi une taxe sur les grands énergéticiens qui ont gagné beaucoup d'argent ces dernières années et sur les milliardaires", détaille un député LR, pressenti pour rentrer au gouvernement. "Il n'a jamais évoqué l'impôt sur les sociétés ou sur le revenu."

On pourrait donc potentiellement trouver sur la table une contribution exceptionnelle sur les "superprofits" de certaines entreprises les années passées ou encore une hausse de l'impôt sur le revenu pour le dernier décile - des mesures soutenues respectivement par 66% et 54% des Français, selon notre dernier sondage Elabe pour BFMTV publié ce mercredi.

"On n'a pas du tout envie d'aller en circonscription défendre quelque chose comme ça", s'énerve pourtant un ministre démissionnaire. "On passe pour des idiots auprès des électeurs. On ne sait rien de ce que veut faire Michel Barnier à part augmenter les impôts."

"Les impôts, c’est la boîte de Pandore", estime un pilier de la majorité sortante. "Même s'il promet que ça ne touchera que telle catégorie de Français, la porte est ouverte. Alors que le problème c'est plutôt: est ce qu’il n’y a pas déjà trop d’impôts en France Et est ce qu’on n'a pas avant tout un problème de dépenses?"

Pour ce cadre de la majorité, cette perspective des hausses d'impôts signe en tout cas l'impossibilité d'entrer au gouvernement: "On ne va pas entrer au gouvernement à n'importe quel prix. La hausse des impôts, c'est une ligne rouge. S'il y a bien une chose qui nous rassemble c'est celle-là."

"Rendre la vie impossible à Barnier"

Mais la question d'une éventuelle hausse de la fiscalité pour les plus riches n'expliquerait pas à elle seule la mauvaise humeur des macronistes. "Certains disent que leur problème, ce sont les impôts. Je crois plutôt qu'ils veulent rendre la vie impossible à Michel Barnier et donc affaiblir le président en réalité", nuance un soutien de la première heure d'Emmanuel Macron, en visant Gérald Darmanin et Gabriel Attal.

C'est que les macronistes se sont agacés ces derniers jours de voir les poids lourds LR chercher à atterrir aux postes d'envergure au sein du gouvernement - ont ainsi été cités les noms de Laurent Wauquiez pour l'Intérieur, Valérie Pécresse pour Bercy, Annie Genevard pour l'Éducaton nationale...

"Si tous les ministères importants sont occupés par des LR, il y a un vrai problème", prévient le sénateur macroniste Xavier Iacovelli. "On ne peut pas avoir que des ministères délégués et des secrétariats d'État."

Manifestement soucieux de défendre ses troupes, Gabriel Attal a saisi le sujet d'une éventuelle hausse d'impôt pour exiger auprès de Michel Barnier une clarification de "la ligne politique" pour déterminer "la participation des macronistes".

Une réunion était prévue ce mercredi matin entre Michel Barnier et son prédécesseur pour arrondir les angles mais elle a finalement été annulée au dernier moment, sans nouvelle date prévue.

"Si un effort est demandé à certains parce que la situation l'exige, le temps de mettre de l'ordre dans nos finances... c'est acceptable", défend encore un vieux compagnon de route du Premier ministre. "Mais ce ne peut être que temporaire et accompagner une politique d'économies", prévient-il.

"Est-ce que les impôts sont un prétexte pour nous mettre la pression? Oui, probablement. Charge à nous de prendre l'opinion à témoin et de dire qu'on assume d'aller chercher des sous chez ceux qui en ont beaucoup gagné ces dernières années", remarque encore un élu LR, proche de Michel Barnier.

Avec un atout dans la besace du Premier ministre: celui de pouvoir se targuer d'être, pour l'instant, la personnalité politique préférée des Français.

Article original publié sur BFMTV.com