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Snecma prêt pour le grand saut avec le moteur d'avion LEAP

par Cyril Altmeyer et Tim Hepher

VILLAROCHE, Seine-et-Marne (Reuters) - Deux-mille moteurs d'avions LEAP, de conception nouvelle, fabriqués en 2020, en partant de zéro en ce début 2016 : c'est une ascension vertigineuse vers des sommets jamais atteints, l'un de ces paris fous dont l'aéronautique raffole.

CFM International, une coentreprise entre Snecma (groupe Safran) et General Electric, prévoit de livrer le premier exemplaire en avril à Airbus.

Il équipera l'A320neo, version remotorisée du monocouloir vedette du constructeur européen, avant une entrée en service de l'appareil anticipée en juillet. L'autre moteur proposé, le Geared Turbofan, est conçu par l'américain Pratt & Whitney, filiale de United Technologies.

Les cadences vont monter à un rythme inédit: 150 moteurs produits cette année, aux deux tiers pour Airbus, le reste essentiellement pour l'avion concurrent, le 737MAX de Boeing, plus trois ou quatre exemplaires pour le futur C919 du chinois Comac. En 2017, ce sera le double, et ainsi de suite jusqu'à atteindre le rythme annuel de 2.000 à partir de 2020.

On pourrait s'attendre à une effervescence digne d'une ruche. Il n'en est rien. Le silence de l'usine de Villaroche est à peine troublé par le bruit régulier et rassurant des machines qui préparent ces nouveaux moteurs.

Les équipes accélèrent le rythme, les vacations se multiplient, débordent sur la nuit, mais ouvriers et ingénieurs sont d'un calme olympien.

"Je dors peu, mais je dors bien", résume dans un sourire Sébastien Imbourg, responsable du programme LEAP, qui sent peser en grande partie sur ses épaules le défi majeur du patron de Safran, nommé l'an passé, Philippe Petitcolin.

Tout juste concède-t-il qu'avant l'entrée en service du LEAP cet été chez Airbus et au troisième trimestre 2017 chez Boeing, les feux sont parfois passés au rouge. Maintenant, assure-t-il, ils sont tous revenus à l'orange ou au vert.

Depuis dix ans, Snecma et GE ont augmenté sans cesse leurs cadences pour atteindre plus de 1.600 moteurs produits - à parts égales entre la France et les Etats-Unis - en 2015 et encore cette année.

"STRESS TESTS" POUR LES FOURNISSEURS

La solidité des fournisseurs, même (ou surtout) les plus petits, est surveillée comme le lait sur le feu, une telle montée en cadence étant inédite.

Afin d'éviter toute mauvaise surprise, ces derniers sont soumis à des "stress tests" et doivent être capables de produire pendant deux semaines au rythme qui leur sera demandé dans 18 mois, afin de vérifier que le processus est bien huilé.

Pour pimenter les choses, Airbus et Boeing ont annoncé une accélération de leurs cadences de production afin d'écouler leurs impressionnants carnets de commandes, qui comprennent un mélange de moteurs traditionnels et de versions remotorisées - 60 A320 mi-2019 et, pour l'instant, 52 Boeing 737 en 2018 contre 42 actuellement.

Plus facile à dire qu'à faire : la montée en cadence est jalonnée de paliers afin de valider le processus. Ces vérifications ralentissent le rythme mais tout faux pas risquerait de causer un retard majeur.

Pratt & Whitney vient d'en faire l'amère expérience. La livraison du premier A320neo à Lufthansa, prévue avant la fin 2015, n'est finalement intervenue que le 20 janvier, à la suite de difficultés liées au moteur américain.

A ce stade, CFM détient une part de marché d'environ 53% sur l'A320neo face à Pratt & Whitney et de 74% sur l'ensemble des avions civils de plus de 100 places, en concurrence avec d'autres motoristes comme le britannique Rolls Royce.

"Sur un 'Power Point', certains disent un peu rapidement : 'rajoutez des usines, des hommes et des machines et vous produirez plus, où est le problème ? Il vous faudra trois ou quatre ans pour y arriver si vous décidez maintenant", raconte Cédric Goubet, à la tête des avions civils de Snecma.

"Mais la réalité de la chaîne des fournisseurs n'est pas aussi simple qu'un 'Power Point'", ajoute celui qui fut le chef de cabinet de Nicolas Sarkozy à l'Elysée, avant de rejoindre Snecma et CFM International en 2011.

Pour y parvenir, le consortium franco-américain ne part pas d'une page blanche : le CFM56, qui équipe les A320 et 737 actuels, est le moteur plus vendu au monde, avec plus de 28.700 unités livrées depuis 1982, mais sa montée en cadence avait pris 12 ans, contre trois années seulement pour le LEAP.

En attendant l'arrivée du LEAP, la fabrication du CFM56 - dont le carnet de commandes continue encore à augmenter - ne baissera qu'en 2017. Au total, le carnet de commandes de CFM compte plus de 13.500 moteurs, soit huit ans de production.

"Ce que nos compagnies aériennes chéries nous demandent c'est : tenez vos objectifs. Beaucoup de gens parlent du futur mais loupent le présent", observe Sébastien Imbourg.

Car cette fois, la difficulté tient aux nouveaux matériaux composites qui équipent ces moteurs, qui promettent de faire économiser aux avions 15% de carburant par rapport aux versions actuelles.

"Nous sommes en train de nous préparer comme jamais nous l'avons fait dans notre histoire", souligne Cédric Goubet.

Principale innovation pour la production du LEAP, tous les fournisseurs seront en "double source", ce qui n'était pas toujours le cas pour le CFM56 : deux fournisseurs produiront ainsi systématiquement le même équipement, ce qui évite des problèmes d'approvisionnement en cas de défaillance de l'un d'entre eux.

(Edité par Jean-Michel Bélot)